Intervention de Bernard Accoyer

Séance en hémicycle du 25 juillet 2013 à 9h35
Soins sans consentement en psychiatrie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Accoyer :

Madame la ministre, mes chers collègues, la loi de 2011 relative aux droits et à la protection des patients faisant l’objet de soins psychiatriques a apporté un réel progrès de la réponse au difficile et douloureux problème de la prise en charge des malades psychiatriques. Élaborée après une longue préparation transpartisane et une vaste concertation, elle a en particulier fait évoluer les pratiques pour les soins sans consentement. Au prix, certes, d’inévitables lourdeurs administratives, ses dispositions ont apporté des améliorations globales parfois très importantes de l’efficacité des soins pour les patients, pour les soulager dans leurs souffrances comme pour leur permettre une meilleure réinsertion dans leur vie personnelle, sociale et même professionnelle. L’ampleur des avancées avait conduit le législateur de 2011 à prévoir l’évaluation de leur mise en oeuvre afin d’améliorer les dispositions du texte. Tel était le souhait des deux auteurs du rapport sur l’application de la loi, Guy Lefrand et Serge Blisko. Mais le 20 avril 2012, le Conseil constitutionnel, à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité, a censuré deux articles de la loi de 2011. Il est important de préciser que la censure ne visait pas à annuler les dispositions relatives aux soins sans consentement et au suivi renforcé mais à leur apporter des précisions de niveau législatif.

Nous voici, madame la ministre, au dernier jour de la session extraordinaire, en plein mois de juillet, obligés d’examiner en urgence un texte touchant à l’encadrement juridique des soins sans consentement, sujet éminemment complexe car il est au croisement des libertés individuelles, de la protection des personnes et de la sécurité publique. L’équilibre en la matière est délicat. On ne peut donc que regretter que le Gouvernement n’ait pas jugé utile de déposer à temps un texte que nous aurions pu discuter dans les délais raisonnables d’une procédure normale. Pour la loi de 2011, le législateur avait disposé de huit mois seulement entre la question prioritaire de constitutionnalité du 26 novembre 2010 et la date d’effet de la censure, fixée au 1er août 2011. Le président de l’Assemblée nationale que j’étais alors et le président du Sénat, Gérard Larcher, avaient indiqué au Gouvernement que les conférences des présidents de nos deux assemblées s’opposeraient à la mise en oeuvre de la procédure accélérée sur des textes touchant aux droits fondamentaux et éminemment complexes.

Il en est résulté que, dans le délai de huit mois fixé par le Conseil constitutionnel, l’élaboration de la loi a bénéficié de cinq lectures au Parlement, trois à l’Assemblée nationale en mars, mai et juin 2011 et deux au Sénat en mai et juin 2011, ce qui a été source d’un travail parlementaire approfondi. La décision du Conseil constitutionnel censurant deux articles de la loi de 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques date du 20 avril 2012, et l’entrée en vigueur de cette censure est prévue au 1er octobre 2013, soit un délai d’un an et demi, largement suffisant pour travailler sérieusement sur un texte nécessairement complexe portant sur un sujet difficile. Mais le Gouvernement a choisi de donner la priorité à la modification des modes de scrutin. Il a choisi la politique plutôt que la santé mentale. Opportunément, un important travail de suivi de l’application de la loi de 2011 avait été réalisé, préparant le terrain, ainsi qu’une mission d’information que la commission des affaires sociales avait créée.

On peut se réjouir d’ailleurs que les préconisations formulées sur l’application de la loi de 2011 par Guy Lefrand et Serge Blisko soient reprises dans plusieurs articles du texte. La lecture de leur rapport et les observations qu’ils y font montrent, s’il en était besoin, combien il convient d’être prudent lorsque l’on touche à l’encadrement juridique des soins psychiatriques sans consentement. La proposition de loi comporte donc des ajustements intéressants de la loi de 2011, fruits du suivi de l’application de ladite loi, en particulier la généralisation de la tenue des audiences dans une salle dédiée au sein des hôpitaux. Cette question avait d’ailleurs fait débat lors de la discussion de la loi de 2011, mais on redoutait alors une censure du Conseil constitutionnel. En effet, en pratique, les réticences de la hiérarchie judiciaire ainsi que des questions d’organisation ont eu raison de la volonté du législateur de permettre, autant que possible, la tenue des audiences dans les conditions les plus favorables pour le malade. Et la pratique a montré que l’écrasante majorité des audiences ont lieu dans les tribunaux, dans des conditions souvent inhumaines pour des malades par définition fragiles. Ce n’était clairement pas l’esprit de la loi. L’instauration du contrôle systématique par le juge des libertés de toute mesure d’hospitalisation sans consentement, demandée par le Conseil constitutionnel, constituait une importante avancée en matière de protection des droits des malades et du respect qui leur est dû.

Le juge intervient dans l’intérêt du patient pour contrôler la mesure de soins sous contrainte dont il fait l’objet. Il ne s’agissait en aucun cas de rendre l’expérience traumatisante pour des malades psychopathiques graves dont l’angoisse et parfois les délires sont une grande souffrance. Ils sont pourtant souvent transportés au tribunal, attendent à côté de gardés à vue menottes ou bien d’autres malades, parfois longuement. Évidemment, on ne peut que saluer la volonté d’avancer sur cette douloureuse question.

Vous avez ensuite décidé, monsieur le rapporteur, de toucher au délai d’intervention du juge pour le maintien de toute mesure d’hospitalisation sans consentement. Quand le rapport de la mission d’information annonçait qu’il convenait de réduire ce délai à cinq jours, vous avez finalement choisi le délai plus raisonnable de dix jours. Le délai de quinze jours avait été choisi en 2011 par prudence.

Le nouveau rôle donné au juge des libertés entraînait une augmentation importante du travail des magistrats qui aurait pu en pratique bloquer les procédures. Il faut ici saluer l’important travail conduit conjointement par le monde médical et le monde judiciaire qui n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble. En l’absence d’étude d’impact – le texte étant une proposition de loi et l’urgence ayant été déclarée –, si, à moyens constants, la Chancellerie considère qu’il est possible de réduire le délai de quinze à dix jours, nous n’y voyons pas d’inconvénient dans la mesure où cela constitue une adaptation de la loi de 2011 qui protégera mieux encore les patients. Vous proposez aussi, monsieur le rapporteur, la suppression du certificat médical du huitième jour, qui n’apparaissait pas indispensable, et la création de sorties thérapeutiques de courte durée réellement applicables, là encore recommandées par le rapport Lefrand. Si le texte s’arrêtait là, nous aurions pu soutenir sans problème ce qui constitue d’opportuns ajustements et de réelles améliorations de la loi de 2011.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion