Intervention de Eva Sas

Séance en hémicycle du 17 octobre 2012 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 - projet de loi de finances pour 2013

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEva Sas :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous tenons, tout d'abord, à saluer un projet de loi de finances courageux. C'est en effet un budget de justice, un budget de rétablissement des comptes publics, un budget de responsabilité. Nous appelions de nos voeux le renforcement de la progressivité de l'impôt sur le revenu, l'alignement de la taxation des revenus du capital sur celle du travail, le retour sur la réforme de l'impôt sur la fortune ; le Gouvernement prend ces mesures, et ce n'est pas chose aisée. Nous saluons un budget courageux, qui opère le nécessaire redressement des comptes publics, après des années de baisses d'impôts décidées par la droite et de cadeaux fiscaux faits aux plus aisés.

Le paquet fiscal, la niche Copé, la réforme de l'ISF, ont creusé les déficits et alourdi la dette.

Sur ce point, et en réponse à ceux qui accusent la majorité de matraquer les plus aisés de nos compatriotes, dois-je rappeler que la contribution de 75 % sur les revenus ne devrait rapporter à l'État que 210 millions d'euros, alors que le bouclier fiscal devrait encore constituer en 2013, malgré sa suppression, un cadeau de 350 millions d'euros aux plus aisés ? C'est cet héritage que la majorité de gauche doit aujourd'hui assumer, un héritage qui nous contraint aujourd'hui à un effort budgétaire sans précédent, certes difficile, mais qui sera opéré dans la justice.

Nous soutenons ce budget parce qu'il opère le redressement par la réhabilitation de l'impôt, qui a trop longtemps été stigmatisé, et parce qu'il concentre l'effort, pour un tiers au moins, sur les 10 % des contribuables les plus aisés. C'est la façon la plus juste de redresser les comptes publics, c'est également celle qui affectera le moins l'économie française, car elle touchera plus l'épargne que la consommation.

Ces choix, nous les partageons, nous les défendons, et nous serons unis derrière vous pour les porter, n'en déplaise à ceux qui traquent les dissensus dans la majorité.

Qu'il me soit permis, toutefois, monsieur le ministre, de vous faire part d'une inquiétude et d'un regret. Une inquiétude d'abord, parce qu'il serait, à notre sens, contre-productif de vouloir maintenir coûte que coûte l'objectif d'un déficit réduit à 3 % pour 2013. Le budget repose en effet sur des prévisions de croissance de 0,8 % pour l'année prochaine – des prévisions fort optimistes, vous en conviendrez, quand le FMI vient de publier une prévision de croissance à 0,4 % pour la France. L'acquis de croissance pour la fin 2012 sera, vous le savez, probablement nul. Il nous reste donc fort peu de chances d'atteindre le taux de 0,8 % attendu. Or, si la croissance n'était pas au rendez-vous, c'est encore 20 milliards d'euros supplémentaires qu'il faudrait aller chercher.

Notre pays n'est pas en situation de faire face à une restriction budgétaire supplémentaire qui aurait immanquablement un impact très négatif sur l'emploi.

Comme vous le savez, monsieur le ministre, nous avons vu reculer le nombre d'emplois en France au deuxième trimestre 2012 : sur un an, c'est près de 40 000 emplois que nous avons perdus. Notre priorité commune, c'est la lutte contre le chômage. Et nous vous le disons solennellement, monsieur le ministre, nous ne tiendrons pas les engagements que nous avons pris ensemble devant les Français en matière d'emploi si nous restons enfermés dans la contrainte des 3 %.

Après cette inquiétude, je voudrais maintenant exprimer un regret. Nous avons salué le courage de ce budget en matière de justice fiscale, nous aurions aimé pouvoir en saluer le courage en matière d'écologie. Or, nous sommes contraints de constater qu'aucun signe n'aura été donné en faveur de l'écologie dans ce budget, notamment pour réduire les niches fiscales anti-écologiques.

Les Français comprennent difficilement qu'en période de réduction des déficits, on continue d'une main à encourager fiscalement le diesel, le kérosène, les agrocarburants alors que, de l'autre, on finance le transport ferroviaire, les économies d'énergie ou les énergies renouvelables. Nous le comprenons d'autant moins que cette incohérence fiscale a été pointée depuis longtemps par les écologistes et par les associations environnementales, bien sûr, mais aussi par la Cour des comptes elle-même, qui a souligné à plusieurs reprises l'incohérence du budget sur ce point. Dans son rapport sur les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne de mars 2011 ainsi que dans son référé de novembre 2011, la Cour rappelait que les articles 26 et 48 de la loi Grenelle I prévoyaient qu'un rapport examinant l'impact environnemental des aides publiques serait publié et que ces aides seraient progressivement « revues de façon à s'assurer qu'elles n'incitent pas aux atteintes à l'environnement ». Elle notait que sur les 26 niches identifiées, seules deux avaient été remises en causes à ce jour, et elle chiffrait à 19,3 milliards d'euros les dépenses fiscales défavorables à l'environnement en y incluant clairement les exonérations accordées au diesel et au kérosène.

Monsieur le ministre, nous avons besoin de réorienter notre fiscalité pour qu'elle décourage les atteintes à l'environnement et qu'elle soutienne les activités économes en ressources. Ce sont en effet ces activités qui feront l'économie et les emplois de demain, une économie sobre, robuste, qui résiste aux chocs environnementaux et à l'augmentation inexorable du prix de l'énergie et des matières premières. Et comme les écologistes sont, contrairement à ce qu'on entend trop souvent, des gens réalistes, vous verrez, au travers de nos amendements, que nous vous proposons de réaliser progressivement cette réorientation de la fiscalité. En effet, nous sommes conscients que les ménages et les entreprises doivent avoir le temps de s'adapter. Et parce que, nous aussi, nous partageons votre volonté de justice fiscale, nous vous proposons également de commencer par les avantages fiscaux accordés aux plus aisés : la détaxation du diesel pour les voitures de fonction ou l'exonération du kérosène pour les amateurs de voyages en avion.

Une fois réalisées, ces économies pourront être utilement réinvesties dans la transition écologique, notamment dans deux domaines qui nous paraissent prioritaires et qui sont fortement créateurs d'emploi : les transports collectifs et la rénovation thermique. Que dire d'une loi de programmation prévoyant, pour le budget de l'écologie, une baisse de 11,5 % en trois ans et, en particulier, une autre de 330 millions d'euros du budget de l'Agence pour les infrastructures de transport en 2013 ? Vous me direz que cette baisse est compensée par l'écotaxe poids lourds, mais cette taxe était, à l'origine, prévue comme un financement complémentaire pour développer des alternatives aux transports routiers.

Je voudrais, pour finir, citer deux exemples de niches que nous souhaiterions voir progressivement disparaître. La première est l'exonération sur le kérosène, dont nous savons qu'il est le seul carburant échappant à toute taxe, alors que le transport aérien est aujourd'hui le mode de transport qui émet le plus de CO2 par passager transporté. Si nous souhaitons qu'il ne soit progressivement plus exonéré – nous proposons un plan sur quatre ans –, c'est pour permettre une transition vers des modes de déplacement moins polluants, tel le rail. Conscients des réalités économiques, nous ne proposons pas de taxer toutes les lignes aériennes, mais seulement les vols pour lesquels il existe une alternative crédible beaucoup moins polluante.

Le second exemple est celui des raffineries. Comment justifier que les produits pétroliers qui y sont consommés soient aujourd'hui défiscalisés ? Cela semble aberrant dans la situation actuelle de raréfaction des matières premières et d'un prix de l'essence élevé pour nos concitoyens – surtout quand on sait que les bénéficiaires de cette niche sont les grands groupes pétroliers, comme Total, et qu'elle coûte à l'État 105 millions d'euros par an. Cette niche n'a pas d'utilité sociale, elle est anti-écologique et ne fait qu'accroître les bénéfices de quelques entreprises qui en font déjà beaucoup.

La suppression des niches anti-écologiques sera longue, complexe, mais elle est nécessaire pour amorcer la transition écologique qui permettra la création d'emplois pérennes. C'est aussi parce que cela sera long et complexe qu'il faut commencer dès maintenant.

Ce budget est un budget juste, nécessaire. Il va dans la bonne direction et, je le redis, c'est un budget courageux. Nous vous soutiendrons donc sans réserve, tout en espérant que nous pourrons aller plus loin, ensemble, dans la justice fiscale, mais aussi dans la transition écologique. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

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