Intervention de Olivier Véran

Séance en hémicycle du 9 septembre 2014 à 15h00
Adaptation de la société au vieillissement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Véran :

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le gain spectaculaire d’espérance de vie, et d’espérance de vie en bonne santé, bouleverse nos référentiels. Nos aînés ne sont plus ceux chantés par Jacques Brel. Ils aspirent à conserver au-delà des frontières de l’âge une place intégrante dans notre société. Pas un seul cheveu blanc n’a poussé sur leurs rêves, pour reprendre Thiéfaine. Pourtant, ils angoissent à l’idée qu’un jour ils pourraient perdre leur autonomie, et s’interrogent : la société est-elle adaptée à notre vieillissement, est-elle prête pour le vieillissement de la population ?

Cette question ne se pose pas seulement en termes de moyens humains, financiers et techniques, elle appelle à une prise de conscience sociale et sociétale, que j’axerai autour de trois principes : se préoccuper des plus fragiles, se préoccuper de la façon dont on s’en préoccupe, mais aussi se préoccuper de ceux qui s’en préoccupent.

Se préoccuper des plus fragiles va de soi lorsque la fragilité a trait à la petite enfance ou à la maladie, mais les représentations sociales de la vulnérabilité liées à l’âge sont tout autres, lors même que, dans un contexte de vieillissement de la population, chacun de nous est confronté tôt ou tard à un parent fragile, malade, dépendant, et que la vulnérabilité des âgés s’en voit ancrée durablement dans la vie ordinaire.

Qui peut aujourd’hui se dire confiant dans l’avenir, dans la perspective de son propre vieillissement ? Cette inquiétude est d’ailleurs partagée par les professionnels, comme en atteste cette enquête européenne dans laquelle 80 % du millier de médecins interrogés déclarent être eux-mêmes anxieux de la manière dont ils seront traités lorsqu’ils seront vieux, en raison non pas seulement de la soutenabilité financière du système de santé, mais aussi du sentiment de distance, voire d’indifférence face au grand âge qu’ils remarquent dans leur milieu professionnel et qu’ils éprouvent parfois également en leur for intérieur.

Il est vrai que s’occuper de personnes dépendantes ou très âgées n’est pas un acte facile, d’abord parce que la part d’accompagnement est très longue, même lorsque l’acte de soins est bénin ou anodin, ensuite parce que la bienveillance que requiert tout geste envers une personne très âgée ou dépendante n’est pas seulement une question de gentillesse, c’est aussi et surtout une question d’éducation et de formation.

Cela demande des connaissances sur la psychologie du grand âge, sur les gestuelles et paroles qui calment et rassurent. Cela nécessite aussi des moyens adaptés, tandis que les rythmes imposés au personnel, notamment en EHPAD, sont peu tenables. Ce sera l’objet de deux amendements qui défendront l’idée d’un accès systématisé aux équipes mobiles de soins palliatifs dans les EHPAD, ainsi qu’à une infirmière, y compris en nuit profonde. Ayant moi-même travaillé plusieurs années comme aide-soignant dans divers établissements, je peux témoigner de la nécessité de progresser sur ce terrain professionnel. Je veux d’ailleurs redire mon profond respect à tous les soignants qui se consacrent à nos aînés.

Se préoccuper de la façon dont on se préoccupe, c’est aussi une culture qu’il faut remettre en cause, celle de la solitude. Patient, soignant, aidant, chacun est souvent seul dans ses attentes, ses interrogations, ses choix.

Une scène de l’excellent film Hippocrate, film récent, montre une femme en fin de vie pour qui va se poser la question de la réanimation, alors qu’elle a clairement stipulé son refus. Cela va créer un conflit, aboutissant à une décision couperet niant la volonté exprimée par la patiente. Martin Winckler, commentant ce passage dans Télérama, écrit : « Partout ailleurs qu’en France, cela ferait l’objet d’une discussion collégiale à laquelle la patiente et sa famille seraient associées. Et, si l’on n’arrivait pas à tomber d’accord, on irait vers la commission d’éthique… ».

Il faut se préoccuper, enfin, de ceux qui se préoccupent, sujet très important. Notre société, et, avec elle, notre modèle familial ont certes profondément évolué mais l’attachement à nos parents, à nos aînés est resté intact. Je crois que c’est à la société de s’adapter, en favorisant le maintien au domicile de nos aînés, ce qui est l’objet d’un pan entier de ce texte, et en accompagnant les aidants à chaque étape de la perte d’autonomie de leurs proches.

Un exemple. Chacun en conviendra, il est rare que le placement en EHPAD soit une démarche planifiée, voulue et organisée en commun avec la personne âgée. C’est le plus souvent l’ultime recours qu’envisagent des familles dépassées par le poids de la prise en charge d’un parent, voire qui s’y résolvent au terme d’années éprouvantes, parce qu’elles se sont épuisées à la tâche. Culpabilité, remords et épuisement ne sont pas les meilleurs alliés des décisions apaisées.

Autre exemple. Étant neurologue hospitalier, j’ai vu des familles amener leur aîné à l’hôpital un vendredi soir pour avoir un week-end de répit, un seul tout petit week-end rien que pour eux. Il est indispensable de reconnaître aux aidants le droit au répit et de leur donner les moyens d’exercer ce droit, ce que fera cette loi. Cela passera par la multiplication de structures d’accueil temporaire, par des périodes de répit, mais aussi des groupes de parole et de soutien pour les aidants. Quel soulagement que d’institutionnaliser enfin ces périodes de répit, dans des conditions adaptées pour eux et pour leurs proches !

Vous le voyez, derrière ces quelques lignes d’un projet de loi qui sera demain une loi entière, sont décrites des situations du quotidien, trop longtemps ignorées et qui parleront à des millions et des millions de familles françaises.

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