Intervention de Fleur Pellerin

Séance en hémicycle du 20 novembre 2014 à 15h00
Dispositions d'adaptation au droit de l'union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel — Présentation

Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, le présent projet de loi a pour objectif de transposer en droit français trois directives communautaires : la directive du 27 septembre 2011 relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins ; la directive du 25 octobre 2012 sur certaines utilisations autorisées des oeuvres orphelines ; la directive du 15 mai 2014 relative à la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre.

Le contenu de ces directives étant essentiellement technique, le Gouvernement a fait le choix de les transposer par le biais d’une loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne. Le choix d’un tel vecteur législatif se justifie également au regard du retard pris dans la transposition des deux premières directives.

La directive 201177UE devait en effet être transposée au plus tard le 1ernovembre 2013. Les autorités françaises n’ayant pas informé la Commission européenne des dispositions prises pour se conformer à la directive, la Commission a adressé un avis motivé aux autorités françaises le 10 juillet 2014. La France pourrait donc faire l’objet, en l’absence de transposition rapide de cette directive, d’un recours en manquement devant la Cour de justice de l’Union européenne et se voir infliger une sanction pécuniaire d’un montant forfaitaire d’une dizaine de millions d’euros ainsi que de possibles astreintes à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros par jour.

Le retard de transposition de la directive 201228UE est moindre puisque celle-ci devait être transposée avant le 29 octobre 2014, mais, là encore, le retard pris expose la France à une condamnation pécuniaire dans les prochains mois.

Compte tenu de la situation rencontrée pour ces deux premières directives, le projet de loi transpose également la directive 201460UE, afin de respecter la date d’échéance de transposition de celle-ci, fixée au 18 décembre 2015.

En présentant ce projet de loi, j’entends veiller ainsi au respect des exigences européennes qui s’imposent au ministère de la culture et de la communication. C’est évidemment fondamental pour faire aboutir la transposition de textes attendus sur le fond, mais aussi pour assurer la pleine crédibilité de la France sur les sujets européens en matière de culture et de droit d’auteur, pour lesquels l’agenda des prochaines années sera lourd et important.

La première partie du projet de loi transpose la directive du 27 septembre 2011 relative à la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins. La durée des droits de l’ensemble des titulaires de droits – auteurs, artistes interprètes, producteurs de phonogrammes ou de vidéogrammes et entreprises de communication audiovisuelle – est harmonisée depuis une directive relative à la durée des droits adoptée le 29 octobre 1993.

La directive que le projet de loi transpose allonge de cinquante à soixante-dix ans la durée de protection des droits voisins dans le secteur musical. Cette extension de la durée de protection se justifie par une série de raisons qui tiennent tant à l’équité qu’à la préservation de la diversité culturelle et à la compétitivité du marché européen.

Compte tenu de la contribution essentielle des artistes-interprètes à la création, il est inéquitable que les artistes qui ont commencé leur carrière très jeunes se voient privés de toute rémunération au titre de leurs premiers enregistrements. L’allongement de la durée de la vie des artistes a aujourd’hui pour conséquence que des pans entiers du fonds de catalogue des années 1950 et 1960, représentant une part très significative du patrimoine national dans le domaine des variétés, tombent progressivement dans le domaine public alors même que les interprètes sont encore vivants et que les enregistrements continuent d’être exploités.

L’allongement de la protection est également nécessaire en termes de diversité culturelle, de renouvellement de la création et de financement de la filière musicale. Grâce à l’allongement de la durée de protection, les artistes-interprètes musiciens bénéficieront d’une source de revenus supplémentaire qui couvrira toute la vie de l’artiste et, en outre, les producteurs de phonogrammes disposeront d’une capacité nouvelle pour financer de nouveaux talents et s’adapter à la diffusion dématérialisée.

Le projet de loi prévoit trois séries de mesures destinées à garantir que les artistes-interprètes bénéficieront bien des effets de l’allongement des droits.

La première prévoit une obligation pour les producteurs d’exploiter les phonogrammes pendant la durée supplémentaire de protection, sous peine de perte définitive des droits. Ce dispositif permet aux artistes-interprètes de récupérer leurs droits dans l’hypothèse où le producteur ne commercialiserait pas leurs enregistrements pendant la période de protection additionnelle. De cette façon, l’artiste pourra soit trouver un autre producteur qui serait prêt à commercialiser sa musique, soit le faire lui-même, par le biais d’internet, par exemple.

La deuxième mesure prévoit que les musiciens de studio, qui sont le plus souvent rémunérés sur une base forfaitaire et dont les rémunérations n’augmentent pas avec le succès de l’enregistrement, bénéficient d’un droit de paiement annuel financé par les producteurs de phonogrammes. Ceux-ci sont ainsi tenus de verser au moins une fois par an 20 % des recettes provenant de l’allongement des droits. Afin que cette mesure n’entraîne pas de charge disproportionnée pour les petits et moyens producteurs, le projet de loi exempte de cette mesure certains producteurs considérés comme moyens ou petits, afin de préserver les labels indépendants, sous certaines conditions.

La troisième mesure a pour objet, pour les artistes dont le contrat prévoit une rémunération proportionnelle, de ne pas permettre au producteur de retrancher les avances ou déductions définies contractuellement au-delà de la période initiale de protection de cinquante ans, afin que ces artistes bénéficient réellement de l’augmentation de la durée des droits voisins.

La deuxième partie du projet de loi transpose la directive du 25 octobre 2012 sur certaines utilisations autorisées des oeuvres orphelines. Les technologies numériques créent de nouvelles opportunités pour l’exploitation d’oeuvres anciennes, parfois oubliées de tous et ne faisant plus l’objet d’exploitation commerciale. Cette évolution a ainsi engendré ces dernières années l’apparition de projets de numérisation à grande échelle visant, pour certains, à mettre en ligne gratuitement un très grand nombre d’oeuvres sans garantir la rémunération des auteurs et, pour d’autres, à sauvegarder notre patrimoine culturel et à permettre son accès à tous dans le respect de la propriété littéraire et artistique.

La directive du 25 octobre 2012 et le présent projet de loi qui vise à la transposer s’inscrivent dans cette deuxième voie en sécurisant les autorisations d’exploitation des oeuvres orphelines, c’est-à-dire des oeuvres pour lesquelles aucun auteur ne peut être identifié ou localisé à l’issue d’une recherche diligente, avérée et sérieuse, sans fragiliser la propriété littéraire et artistique.

Le projet de loi permet ainsi aux bibliothèques, musées, services d’archives et organismes similaires qui poursuivent des objectifs d’intérêt public tels que l’éducation ou la préservation et la diffusion du patrimoine culturel, de reproduire des oeuvres orphelines et de les mettre à la disposition du public en toute légalité.

Le projet de loi précise le champ des oeuvres concernées : il s’agit des oeuvres publiées sous la forme de livres, revues, journaux, magazines ou autres écrits, ainsi que les oeuvres cinématographiques et audiovisuelles. Concrètement, il reviendra aux institutions bénéficiaires, si elles le souhaitent, de procéder aux recherches appropriées, par la consultation de bases de données, pour pouvoir, une fois établie l’absence d’identification ou de localisation des titulaires de droits, mettre en ligne l’oeuvre reconnue comme orpheline.

Afin de préserver les intérêts des titulaires de droits, le projet de loi précise la nature des recherches qui devront être menées avant de déclarer une oeuvre orpheline et encadre précisément les modalités d’exploitation de ces oeuvres, notamment en excluant tout usage commercial et en préservant les droits moraux des auteurs.

Le projet de loi définit également les conditions dans lesquelles un titulaire de droits sur une oeuvre déclarée orpheline peut se manifester auprès de l’organisme exploitant cette oeuvre, pour lui demander de cesser cette exploitation et de lui verser une compensation équitable du préjudice qu’il a subi du fait de celle-ci.

Enfin, le projet de loi précise son articulation avec la loi du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle, qui permet l’exploitation à des fins commerciales des livres publiés avant le 1er janvier 2001 et qui ne font plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur. Les livres indisponibles ne sont pas exclus du champ d’application du régime d’exploitation des oeuvres orphelines institué par le projet de loi. En pratique, les bibliothèques pourront donc mettre en ligne les livres indisponibles et orphelins après avoir établi leur caractère orphelin à l’issue de recherches diligentes et sérieuses.

La troisième partie du projet de loi transpose la directive du 15 mai 2014 concernant la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre.

Dès son origine, l’Union européenne a envisagé la possibilité pour les États membres de protéger leur patrimoine, notamment en leur réservant la possibilité prévue dès le Traité de Rome d’édicter des mesures de restriction de circulation pour les biens culturels qu’ils considéraient comme des « trésors nationaux de valeur artistique, historique ou archéologique ». Cet objectif de protection rejoint la nécessité de lutter contre le trafic des biens culturels, dont le développement est devenu préoccupant tant sur le plan européen que sur le plan mondial.

Après l’ouverture du marché unique européen, le 1er janvier 1993, l’Union européenne s’est dotée de deux instruments complémentaires concernant la protection des biens culturels : un règlement instituant un dispositif de contrôle à l’exportation lors de la sortie du territoire de l’Union européenne et une directive permettant aux États membres de se voir restituer leurs trésors nationaux ayant quitté illicitement leur territoire et retrouvés sur le territoire d’un autre État membre.

En ce qui concerne la directive de restitution, les rapports réguliers établis par la Commission européenne à partir des informations fournies par les États membres depuis 1993 ont fait apparaître son efficacité limitée. Ce constat a conduit la Commission à entrer dans un processus de refonte destiné à améliorer le texte initial. L’instrument révisé qui en résulte entend mieux garantir la restitution par un État membre de tout bien culturel considéré comme un trésor national ayant quitté illicitement son territoire après le 1er janvier 1993.

Pour atteindre cet objectif, le projet de loi transpose les points nouveaux introduits par la directive du 15 mai 2014. Il procède à l’allongement du délai pour permettre aux autorités de l’État membre requérant de vérifier la nature du bien culturel trouvé dans un autre État membre, qui passe de deux à six mois, et à l’allongement du délai pour exercer l’action en restitution, qui est porté d’un à trois ans.

La directive révisée ayant un champ d’application dorénavant fixé aux trésors nationaux, selon la définition retenue dans chaque État membre, à l’exclusion de tout autre critère, le projet de loi représente une occasion légitime d’insérer dans le code du patrimoine une définition plus précise de la notion de trésors nationaux. Cette définition continue à inclure notamment les oeuvres des collections des musées de France et les objets mobiliers classés monuments historiques mais vise aussi désormais, de manière explicite pour éviter toute ambiguïté préjudiciable en termes de protection patrimoniale, les biens relevant tant du domaine public au sens du code général de la propriété des personnes publiques que des archives publiques.

Enfin, en totale conformité avec la directive révisée, le projet de loi applique en droit interne, dans le seul cas de demande d’indemnité, le transfert de la charge de la preuve au possesseur du bien culturel en cause et, dans cette perspective, introduit des critères communs pour interpréter de manière harmonisée la notion de diligence requise de l’acquéreur au moment de l’achat.

Il est ainsi espéré que la directive révisée conférera une protection plus efficace aux biens faisant partie de l’héritage culturel des États membres et contribuera à la prévention du trafic illicite de biens culturels et à la lutte contre ce phénomène.

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