Intervention de François Rebsamen

Séance en hémicycle du 20 novembre 2014 à 21h30
Désignation des conseillers prud'hommes — Présentation

François Rebsamen, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Monsieur le président, madame la présidente et madame la rapporteure de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les députés, les prud’hommes sont une institution singulière. Ils incarnent à la fois la spécificité du monde du travail dans la gestion de ses conflits, la singularité du paritarisme dans l’organisation de la vie professionnelle, mais aussi une forme d’avant-garde : les femmes en sont devenues électrices en 1907 et ont été éligibles en 1908, soit quarante ans avant que ces droits ne leur soient reconnus sur le plan politique.

Je ne crains pas de parler d’une autre exception culturelle française, et comme la première, je veux la défendre. C’est mon engagement.

C’est aussi celui de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, avec qui nous avons initié une réforme importante des conseils de prud’hommes qui figurera dans le projet de loi sur l’activité et la croissance, que le Conseil des ministres examinera le 10 décembre prochain. Je vous en dirai un mot même si ce n’est pas l’objet du texte que nous discutons à présent.

Le présent texte définit le nouveau mode de désignation des conseillers prud’homaux, qui passe de l’élection directe à une désignation fondée sur la mesure de l’audience.

Deux raisons principales commandent ce choix. La première tient à un constat : 75 % des inscrits n’ont pas participé à l’élection des conseils de prud’hommes en 2008. Ce taux s’élève d’élection en élection : la participation était de 63 % en 1979, 40 % en 1992 et 25 % en 2008. Cette abstention grandissante érode la légitimité même des juges et de l’institution.

La deuxième raison est l’évolution de notre démocratie sociale, qui a été profondément réformée ces dernières années. Nous l’avons progressivement dotée d’outils propres à mesurer le plus exactement possible la représentativité syndicale et patronale. Du côté syndical, c’est la loi de 2008 qui a permis cette évolution. Puis la loi du 5 mars dernier a posé les règles de la mesure de la représentativité patronale. Nous pouvons en être fiers.

Aujourd’hui, il faut inscrire les élections prud’homales dans ce cadre nouveau et prometteur. Le changement de mode de désignation des conseils de prud’hommes est la suite logique et cohérente des réformes de la représentativité.

Le texte qui vous est soumis définit un cadre clair, préalablement à tout débat plus large. Il proroge également les mandats des actuels conseillers prud’hommes jusqu’en 2017, car il ne serait pas pertinent de renouveler ces mandats avant que le nouveau mode de désignation ne soit mis en place.

Je voudrais répondre à un certain nombre d’objections.

J’entends dire que la suppression de l’élection porterait atteinte à la démocratie, quand elle ne la supprimerait pas. Il est pourtant difficile de parler de suppression d’élection à propos d’une désignation assise sur le vote exprimé de plus de 5,4 millions de salariés, dans le cadre de la mesure de l’audience !

Il y a donc bien élection, il y en a même plusieurs dans différents collèges couvrant davantage de salariés et d’actifs : élections professionnelles, élections pour les salariés des très petites entreprises, élections des chambres d’agriculture. Le socle de la justice prud’homale reste donc fondamentalement électif, et ce socle est élargi.

La justice prud’homale, pour être l’émanation exacte et actualisée du monde du travail, se doit d’être le reflet de la mesure de l’audience. Concrètement, la répartition des sièges se fera sur la base de la mesure d’audience et le renouvellement des conseillers sera opéré tous les quatre ans dans la foulée de la mesure de l’audience.

Une autre objection, soulevée par le rapporteur du budget des affaires sociales au Sénat, met en cause la constitutionnalité de la réforme. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, au sujet d’une autre juridiction dont les membres étaient naguère élus et ne le sont plus aujourd’hui, le Conseil constitutionnel a jugé que la conformité à la Constitution était respectée. La sécurité juridique de la réforme, y compris la prorogation des mandats, est donc assurée.

Reste la question du recours aux ordonnances. Je sais que le Parlement ne l’aime guère, à raison. Cependant il se justifie en l’espèce, pour deux raisons. La première tient à la complexité technique du dispositif à mettre en place, dont nous instaurons ici le principe et le cadre, ce qui est primordial.

La deuxième, et la principale, tient au fait qu’il faut construire la réforme en lien étroit avec les partenaires sociaux. Cette concertation sera rendue plus aisée dans le cadre d’une ordonnance.

Dès publication du texte qui vous est soumis, s’il est voté, nous mènerons une large consultation de toutes les parties prenantes afin d’établir le régime définitif fondé sur l’audience des organisations des salariés comme des employeurs et de le mettre en oeuvre pour le renouvellement de 2017.

Il est un autre argument : celui du coût de l’élection. Certes la démocratie a toujours un coût. Je voudrais cependant dire ici que les élections prud’homales coûtent 100 millions d’euros, sans compter le coût qu’elles représentent pour chaque organisation syndicale.

Il ne s’agit pas ici de faire des économies…

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