Intervention de Sylviane Bulteau

Séance en hémicycle du 20 novembre 2014 à 21h30
Désignation des conseillers prud'hommes — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylviane Bulteau, rapporteure de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente de la commission, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui poursuit résolument l’objectif de renforcer la légitimité démocratique des conseils de prud’hommes.

Il vise à autoriser le Gouvernement à mener, par ordonnance, la réforme du mode de désignation des juges prud’homaux, tout en fixant un cadre rigoureux que le Gouvernement devra respecter en élaborant son projet.

La nécessité de cette réforme est reconnue par tous, comme le démontre l’adoption du projet de loi par le Sénat, le 14 octobre dernier, malgré le changement de majorité que vient de connaître la Haute assemblée.

De même, il a été adopté sans aucune modification par notre commission des affaires sociales la semaine dernière.

La réforme du mode de désignation des conseillers prud’hommes apparaît, en effet, nécessaire a deux titres.

Les élections prud’homales souffrent, tout d’abord, d’un taux d’abstention considérable, qui atteint la légitimité de cette institution, malgré les efforts importants accomplis par les pouvoirs publics pour combattre ce phénomène.

Depuis 1979, le taux d’abstention aux élections prud’homales a presque doublé, passant de 37 % à 74 % en 2008, ce qui est très préoccupant, d’autant que, dans le même temps, le nombre d’inscrits a fortement augmenté. En effet, pour le collège salarié, le nombre d’inscrits est passé de 12,8 millions en 1979 à 18,6 millions en 2008, tandis que le nombre de votants est passé de 8 à 4,7 millions.

Pour faire face à la progression continue de l’abstention, les pouvoirs publics ont déployé, élection après élection, un éventail de mesures destinées à améliorer l’organisation de ce scrutin.

En 2002, par exemple, des outils informatiques ont été mis en ligne pour les mairies et des bureaux de vote ont été implantés à proximité des lieux de travail.

Puis, en 2008, les modalités de vote ont été élargies : toute condition restrictive au vote par correspondance a été supprimée, les électeurs parisiens ont été autorisés à voter par internet et 460 bureaux de vote ont été implantés dans les entreprises.

Pour autant, toutes ces mesures se sont révélées infructueuses.

La deuxième raison qui rend cette réforme nécessaire réside dans la nouvelle donne juridique de la représentativité des organisations syndicales et patronales. Celle-ci est désormais fondée sur l’audience, ce qui impose de revoir les règles de désignation des juges prud’homaux, afin d’éviter toute concurrence entre les deux systèmes.

En effet, les résultats obtenus par les organisations divergent selon le mode de mesure choisi. À titre d’exemple, la CGT a enregistré un score supérieur aux élections prud’homales de 2008, par rapport à ses résultats d’audience de 2013, alors qu’à l’inverse, la CFDT affiche un score inférieur.

Pour les organisations patronales, la situation apparaît encore plus complexe, puisque certaines présentent des listes communes aux élections prud’homales, ce qui ne permet pas de mesurer aujourd’hui leurs poids respectifs.

Or, la divergence de résultats entre les élections prud’homales et l’audience, déjà constatée ou potentielle, pourrait donner lieu à des contestations entre les organisations, sur la répartition des sièges au sein des instances de gestion paritaire par exemple, ce qui affecterait de manière très négative le dialogue social.

C’est d’ailleurs cette impérieuse nécessité d’articuler la réforme de la représentativité avec celle de la désignation des conseillers prud’homaux, qui a justifié les reports et modifications qu’a connus le projet de loi. En effet, c’est bien pour prendre en compte le nouveau cadre de la représentativité patronale, issu de la loi du 5 mars 2014, et sécuriser les premiers résultats de la représentativité syndicale, que le Gouvernement a présenté en juillet dernier une lettre rectificative, qui a modifié substantiellement le texte du projet de loi.

Il apparaît donc indispensable de réformer le mode de désignation des conseillers prud’homaux. Le projet de loi propose une solution qui apparaît à la fois conforme à la Constitution et respectueuse de l’équilibre de la juridiction prud’homale.

S’agissant de la constitutionnalité du remplacement de l’élection prud’homale par une désignation, il faut tout d’abord souligner que, dans sa décision du 3 décembre 2010, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’aucune exigence constitutionnelle n’impose que les justiciables aient un droit à l’élection des juges.

Ensuite, s’agissant de la constitutionnalité de la prolongation des mandats jusqu’en 2017, elle apparaît justifiée par des motifs d’intérêt général suffisants et proportionnés, reposant sur la réforme en cours de déploiement de la représentativité patronale.

A contrario, l’édiction d’un dispositif transitoire de désignation pour le seul collège des employeurs pourrait porter atteinte au principe d’égalité, en créant une disparité réelle dans les modes de nomination des juges entre les deux collèges.

Enfin, choisir le critère de l’audience comme nouveau fondement de la désignation des juges prud’homaux ne pose pas non plus de problème constitutionnel : le fait que le décompte de la mesure de l’audience soit distinct pour les organisations syndicales et patronales ne comporte, en effet, aucune discrimination portant atteinte au principe d’égalité.

Ce système s’inscrit dans la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, qui permet au législateur de régler de façon différente des situations différentes, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

Conforme aux exigences constitutionnelles, la solution retenue par le projet de loi respecte également l’équilibre de la juridiction prud’homale : elle ne remet en cause ni son indépendance, ni son impartialité, ni son caractère paritaire. Elle préserve, de plus, l’unité de la juridiction, en conservant un mode unique de désignation des conseillers prud’homaux, plutôt que d’instaurer un système à deux vitesses.

L’article 1er du projet de loi vise ainsi à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions nécessaires pour substituer à l’élection des conseillers une désignation fondée sur l’audience des organisations syndicales et patronales. Il définit un cadre et des principes de réforme très précis que devra suivre le Gouvernement.

L’article 2 vise, ensuite, à proroger le mandat actuel des conseillers prud’homaux, jusqu’au prochain renouvellement général, qui interviendra le 31 décembre 2007 au plus tard. Il tire également les conséquences de cette prorogation, en matière de formation et de fonctionnement des tribunaux.

Enfin, la réforme proposée aboutira à un renforcement réel de la légitimité démocratique de l’institution prud’homale, en fondant la désignation des conseillers sur des bases plus solides. Il faut souligner ici, en effet, que plus de 5,45 millions de salariés ont participé à la première mesure de l’audience des organisations syndicales, alors que seulement 4,7 millions de salariés avaient voté lors des dernières élections prud’homales de 2008, comme je l’ai rappelé tout à l’heure.

Par ailleurs, la question du vote des demandeurs d’emploi constitue en réalité un faux problème : les organisations syndicales et patronales sont habilitées à les représenter et à défendre leurs intérêts. Elles remplissent déjà cette mission, d’ailleurs, en gérant le régime d’assurance-chômage. En outre, les demandeurs d’emploi ne se trouvant pas dans une relation de travail, ils ne sont plus susceptibles de saisir le conseil de prud’hommes, sauf en tant qu’anciens salariés. Et, dans ce cas, le cycle de mesure de l’audience se déroulant sur quatre années, il est plus que probable qu’ils aient pu voter aux élections professionnelles dans leur ancienne entreprise et ainsi participer à ce processus.

Enfin, il faut rappeler que lors du dernier scrutin prud’homal, seulement 5 % des demandeurs d’emploi s’étaient inscrits sur les listes électorales.

Mes chers collègues, pour toutes les raisons que j’ai évoquées et dont j’espère qu’elles vous ont convaincus…

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