Intervention de Jacqueline Fraysse

Séance en hémicycle du 20 novembre 2014 à 21h30
Désignation des conseillers prud'hommes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

Mes chers collègues, ce projet de loi autorise le Gouvernement à prendre par ordonnances les dispositions permettant de remplacer purement et simplement les élections des conseillers prud’homaux par une désignation.

Le nombre de conseillers par organisation syndicale de salariés serait donc défini en fonction de leur représentativité – fondée sur les résultats des élections professionnelles – tandis que la représentativité des organisations patronales, en vertu de la loi du 5 mars 2014, serait déterminée en fonction du nombre d’adhérents.

S’il est indiscutable que le fonctionnement actuel des conseils de prud’hommes soulève des problèmes et mérite que l’on prenne des mesures pour les surmonter, le moins que l’on puisse dire, c’est que la méthode appliquée est radicale et en complet décalage avec les besoins des justiciables. M. Tourret a d’ailleurs avancé un certain nombre d’éléments qui le confirment.

En effet, les dysfonctionnements constatés concernent les délais puisque le temps de traitement des dossiers devant cette juridiction est bien trop long : près d’un an d’attente en moyenne et, pour certains conseils tels que Nanterre – cela a été dit –, mais aussi Paris, Bobigny, Créteil ou, encore, Arles et Bordeaux, ces délais peuvent être très supérieurs et atteindre des records. D’ailleurs, vous l’avez dit, la France est régulièrement condamnée à ce sujet par les tribunaux.

Plusieurs facteurs sont à l’origine d’une situation qui s’explique néanmoins principalement par un manque criant de moyens, ce qui entraîne notamment des réductions du personnel, surtout au greffe.

Cette situation est connue et dénoncée depuis longtemps mais elle perdure et personne n’envisage de la corriger. Au contraire, votre préoccupation est de réaliser des économies sur le dos des conseils de prud’hommes.

En effet, pour justifier ce projet, le rapport fait très clairement état, page 17, d’un coût beaucoup trop élevé de ces élections et relève également un faible taux de participation. Par conséquent, il faudrait les supprimer !

Il est clair qu’avec de tels raisonnements vous risquez d’envisager la suppression de bien d’autres élections, comme cela a été dit ! On commence de la sorte et l’on peut aller assez loin !

La démocratie a un coût, vous l’avez dit, monsieur le ministre, et c’est exact, mais cela ne constitue pas un argument suffisant pour l’abolir – vous n’avez d’ailleurs pas osé l’utiliser, heureusement, pour expliquer la décision que vous avez prise.

Le paritarisme et l’élection sont au coeur de l’histoire des prud’hommes. Ils en sont l’essence. Élire ses pairs, ses collègues afin qu’ils disent le droit – c’est-à-dire les règles de vie commune que nous nous sommes fixées – constitue un modèle de démocratie, c’est affirmer une forme très poussée de participation directe, c’est favoriser la proximité de la justice et la rendre plus accessible à tous.

Ces élections sont d’autant plus exemplaires que les femmes ont pu y participer dès 1907, qu’il est possible de prendre part au vote dès l’âge de 16 ans et qu’il s’agit de la seule élection nationale au suffrage universel direct sans distinction de nationalité.

Leur abrogation reviendrait à priver les travailleurs précaires, les retraités mais aussi des millions de chômeurs d’une expression démocratique.

Cela restreindrait également la possibilité de devenir conseiller prud’homal puisque les candidatures « libres », en dehors des organisations syndicales, ne seraient plus possibles.

Le rapport de M. Lacabarats, tout comme l’avant-projet de loi de Mme la garde des sceaux sur les conseillers prud’hommes, sous-entendent qu’il existerait un problème d’impartialité, d’indépendance des conseillers.

D’abord, ce préjugé témoigne d’une méconnaissance de l’histoire des conseils et de ce qu’est le paritarisme. Il révèle aussi, et peut-être surtout, une confusion entre les notions de neutralité et d’impartialité.

Ce qui est exigé des juges, c’est l’impartialité, autrement dit, la nécessité d’entendre toutes les parties et de forger leur opinion, de juger en fonction des faits et des textes.

Ces conditions d’impartialité sont favorisées par la composition collégiale et paritaire des conseils de prud’hommes, où chacun des quatre juges défend son interprétation du droit au regard des textes, bien sûr, mais aussi au regard de son expérience du monde du travail.

Cette élection est justement le gage d’une plus grande indépendance des conseillers prud’homaux puisqu’ils tirent aussi leur légitimité du vote et non pas uniquement de leur organisation syndicale.

De ce point de vue aussi, il est incompréhensible que vous vouliez supprimer ces élections.

Cette discussion ne peut pas être réduite à un débat technique : c’est de la conception de notre démocratie dont il s’agit ! Ce n’est pas parce qu’un technocrate en mal de bonnes idées pour réduire le déficit a pensé que la suppression d’une élection éviterait des dépenses…

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