Intervention de Catherine Coutelle

Séance en hémicycle du 26 novembre 2014 à 15h00
Droit fondamental à l'interruption volontaire de grossesse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Coutelle :

Monsieur le président, madame la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, madame la secrétaire d’État chargée des droits des femmes, madame la secrétaire d’État chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie, chers collègues, une femme, une ministre, une grande dame, Simone Veil, montait à cette tribune il y a quarante ans jour pour jour pour défendre un texte qui a été une étape marquante de la marche des femmes vers l’émancipation : la loi dépénalisant l’interruption volontaire de grossesse.

Elle ne supportait pas les conditions imposées aux femmes qui voulaient avorter et qui n’avaient le choix qu’entre la clandestinité, ses dangers et ses souffrances, avec le risque d’une issue fatale, et le départ à l’étranger, toujours dans l’illégalité.

Dans les années soixante-dix, des militants et des militantes, femmes, médecins, avocats, politiques – je salue celles d’entre elles qui sont aujourd’hui dans les tribunes –, se battaient pour l’abrogation de l’article du code Napoléon et de la loi de 1920 qui pénalisaient l’avortement.

Les initiatives furent nombreuses. Je ne citerai que trois dates décisives.

En 1971, 343 femmes, célèbres ou anonymes, déclarent, dans un manifeste rédigé par Simone de Beauvoir et publié dans le Nouvel Observateur : « Les femmes se font avorter en France dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées (alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples). On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. Nous réclamons l’avortement libre. » Ce manifeste, on l’oublie parfois, fut appuyé deux ans plus tard par 331 médecins, qui déclarèrent avoir pratiqué l’avortement.

En 1972, l’avocate engagée Gisèle Halimi obtient, lors du célèbre procès de Bobigny, l’acquittement d’une jeune fille poursuivie pour s’être fait avorter à la suite d’un viol.

En 1973, c’est la constitution, avec le planning familial, du mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception, le MLAC, qui coordonnera désormais les luttes.

C’est dans ce contexte que le Président Valéry Giscard d’Estaing demande à sa ministre de la santé de présenter un texte à l’Assemblée nationale en faveur de la dépénalisation. Son examen commence le 26 novembre 1974. Jacques Chirac, Premier ministre, assiste à ces débats très houleux.

Quarante ans plus tard, c’est avec une certaine émotion que je présente devant vous cette résolution réaffirmant le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse en France et en Europe.

En tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, je remercie Claude Bartolone pour son impulsion et son soutien dans le combat pour la liberté des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes. Je remercie les présidents de groupe, qui ont tous accepté de signer cette résolution. C’est un moment rare dans notre assemblée, il doit être signalé. Il nous permet de rendre un hommage mérité à cette femme digne et courageuse qu’est Simone Veil, d’apprécier le chemin parcouru depuis novembre 1974 et de souligner les combats qu’il nous reste à mener.

Les quarante ans qui nous séparent de la loi Veil ont été jalonnés de plusieurs textes, fruits eux aussi de combats militants. Rien n’est jamais donné aux femmes.

Notre résolution les rappelle. En 1979, la loi Pelletier reconduit définitivement la loi Veil, qui n’avait été votée que pour cinq ans. En 1982, la loi Roudy – je salue la présence de Mme Roudy – permet le remboursement de l’IVG par la Sécurité sociale. En 1993, la loi Neiertz crée le délit d’entrave à l’IVG, qui sanctionne d’une amende et d’une peine d’emprisonnement les actions commandos contre les centres de planification. La loi de 2001 affirme clairement le droit à la contraception et à l’avortement, et porte le délai légal de dix à douze semaines. En 2012, madame la ministre, vous avez accordé la gratuité de la contraception pour les jeunes filles de quinze à dix-huit ans et le remboursement intégral de l’IVG pour toutes les femmes. Enfin, loi du 4 août 2014 sur l’égalité entre les femmes et les hommes de Najat Vallaud-Belkacem, a, grâce à un amendement du groupe SRC, supprimé la notion de détresse comme condition d’accès à l’IVG. L’IVG n’est plus un droit concédé, c’est désormais un droit à part entière. Il constitue, avec la contraception, l’habeas corpus moderne des femmes, selon la belle formule de Geneviève Fraisse.

Ces avancées sont majeures. Cependant – et cette mise en garde s’adresse surtout aux jeunes femmes et aux jeunes filles –, il ne faut jamais nous endormir sur nos lauriers car les acquis ne sont jamais définitifs. Il nous faut rester des militantes de la cause des femmes car du chemin reste à parcourir.

Madame la ministre, mesdames les secrétaires d’État, je sais l’engagement des unes et des autres pour poursuivre ces avancées. La France doit, comme l’énonce notre résolution, réaffirmer le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse pour toutes les femmes, le droit universel des femmes à disposer de leur corps, le rôle majeur de l’éducation à la sexualité et de la prévention en direction des jeunes, la nécessité de garantir l’accès des femmes à une information de qualité, à une contraception adaptée, et à un avortement sûr.

En Europe aussi, il nous reste de nombreux combats à mener. Récemment, les femmes espagnoles ont réussi à faire reculer le gouvernement conservateur, qui souhaitait remettre en cause le droit à l’IVG. Grâce à leur mobilisation et aux soutiens qu’elles ont reçus du reste de l’Europe, le texte n’a pas été présenté au Parlement. D’autres pays européens n’ont pas encore de législation favorable dans ce domaine – je pense à la Pologne, à l’Irlande, au Luxembourg, à Chypre ou à Malte. De ce fait, l’Union européenne ne peut parler d’une seule voix dans les instances internationales, en particulier à l’ONU.

Alors que nous célébrons les vingt ans des grandes conférences internationales en faveur des droits des femmes, comme la Conférence de Pékin ou celle du Caire, ne pas parler d’une seule voix est une grande faiblesse face aux forces conservatrices, qui, elles, sont très organisées. C’est pourquoi notre résolution rappelle que la France doit poursuivre son engagement, tant au niveau européen qu’au niveau international, en faveur d’un accès universel à la planification familiale.

Ces dernières années, particulièrement depuis 2012, La France fait entendre sa voix. Elle est écoutée, elle est attendue. Une loi sur l’égalité votée en France a un écho dans le monde entier. La promotion des « droits sexuels et reproductifs », pour reprendre les termes de l’ONU, est un impératif pour la liberté des femmes. La maîtrise par les femmes de leur fécondité est la condition de leur émancipation et de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Je voudrais terminer en évoquant Antoinette Fouque, grande militante qui nous a quittés cette année. Elle appelait les femmes à « faire l’histoire au lieu d’en être les victimes », à « devenir des femmes émergentes, puissantes, debout, ne cédant pas sur leur désir ». Elle ajoutait : « Tant qu’une femme est esclave, je suis esclave ; ma liberté commence là où commence celle de l’autre ».

Merci à tous ceux et à toutes celles qui font l’histoire de l’émancipation des femmes. Merci Simone Veil.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion