Intervention de Antoine Durrleman

Réunion du 27 novembre 2014 à 18h00
Délégation aux outre-mer

Antoine Durrleman :

Madame la rapporteure et présidente, je souhaiterais à mon tour me présenter. Je suis le président de la sixième Chambre de la Cour, celle qui est compétente sur les questions de sécurité sociale et de santé. Je suis accompagné du docteur Esméralda Luciolli, administrateur civil et rapporteure à la Cour des comptes, qui a été la cheville ouvrière de l'enquête que nous avons menée pendant pratiquement dix-huit mois, avec les chambres régionales des comptes des Antilles et de la Réunion et avec les chambres territoriales des comptes du Pacifique, sur les problématiques de santé des différents outre-mer.

Le rapport public thématique que nous avons publié au début du mois de mai dernier cherchait à la fois à rendre compte de cette enquête et à proposer un certain nombre de recommandations aux pouvoirs publics dans la perspective, notamment, du projet de loi de santé publique qui avait été annoncé par Mme la ministre. Nous vous savons donc tout particulièrement gré de cette audition.

Nous avons constaté une situation en voie d'amélioration mais d'amélioration inégale, avec de forts contrastes entre les différents départements d'outre-mer, comme à l'intérieur même de chacun de ces départements. Ces contrastes, que l'on peut rencontrer en Seine-Saint-Denis ou en Lozère, sont encore plus marqués outre-mer.

Selon nous, malgré des progrès réels et la réduction de certains écarts, la situation reste préoccupante. Nous avons notamment pointé les difficultés qui se posent autour de la problématique de la naissance, et la présence d'un certain nombre de pathologies particulièrement préoccupantes – par exemple celles qui sont transmises par les moustiques.

Ce constat nous amène à considérer que dans le cadre d'un système manifestement en grande difficulté, il conviendrait de prendre, en matière d'organisation et de soins, un certain nombre d'initiatives, les départements d'outre-mer devenant, en quelque sorte, des prototypes. Ce serait l'occasion d'être imaginatifs, d'aller plus loin, et l'adaptation de certains dispositifs aux populations ultramarines pourrait progressivement bénéficier à l'ensemble de la population française.

Il n'est pas question de procéder par dérogations, qui constitueraient un affaiblissement de la réponse sanitaire, mais d'avancer malgré des réticences. Celles-ci s'expriment partout mais, dans les départements d'outre-mer, elles ont des répercussions plus lourdes qu'ailleurs.

Commençons par la prévention, qui est traditionnellement, dans notre pays, le parent pauvre des politiques sanitaires. À la demande de la MECSS, il y a tout juste deux ans, nous avons rédigé une communication sur la prévention sanitaire, où nous montrions la limite des actions menées en ce sens, et où nous faisions un certain nombre de recommandations. À cette occasion, il nous était apparu que dans les départements d'outre-mer, la prévention – tout en étant peut-être encore plus nécessaire qu'ailleurs – était encore plus délaissée que dans les autres départements. Les dépenses de prévention de l'assurance maladie sont très insuffisantes et très inégalement réparties. Ainsi, le niveau de ces dépenses par habitant est très substantiellement inférieur à la Réunion et à la Guyane, par rapport aux Antilles, où il n'est déjà pas très élevé : 8 euros par personne aux Antilles, contre 3 en Guyane et à La Réunion.

De ce point de vue, un des aspects du projet de loi proposé par Mme la ministre, nous a paru particulièrement aller dans le sens de nos préconisations. La première partie de ce projet vise en effet à rassembler les différents acteurs de santé autour d'une stratégie partagée. Par exemple, l'article 1er prévoit expressément que l'assurance maladie doit concourir à la mise en oeuvre de la politique de santé et des plans et programmes de santé en étroite coordination avec les ARS. Cela correspond à notre préconisation qui est de faire en sorte que l'assurance maladie n'ait pas une politique qui se contente d'accompagner les politiques des autres acteurs, mais devienne un acteur de premier plan sur ces actions de prévention et de promotion de la santé. C'est vrai pour l'ensemble des territoires, c'est particulièrement nécessaire pour les départements d'outre-mer.

Nous avons observé par ailleurs que la densité médicale y était globalement insuffisante, même si, là encore, la situation peut être très contrastée entre les départements et à l'intérieur des départements ultramarins. Pour y remédier, plusieurs outils mériteraient d'être développés.

Nous avons noté avec intérêt la création du Centre hospitalier universitaire de la Réunion. En effet, l'augmentation de la densité médicale dans les départements d'outre-mer suppose des possibilités de formation accrues dans les CHU d'outre-mer. Il faut attirer dans les CHU des DOM des enseignants chercheurs et des médecins hospitalo-universitaires afin de structurer progressivement des voies de formation complètes.

Nous avions donc proposé que les CHU métropolitains détachent pour un certain temps des médecins hospitalo-universitaires, à différents niveaux, dans les CHU ultramarins, de façon à renforcer leur potentiel de formation. En effet, la question n'est pas celle du flux de demandes de formation, mais celle du potentiel de réponse des établissements hospitaliers, en particulier hospitalo-universitaires.

On pourrait envisager une sorte de détachement des médecins hospitalo-universitaires des CHU de métropole vers les CHU des départements d'outre-mer pour que, pendant quelques années, ils exercent, enseignent et recherchent dans les DOM. À l'issue de leur détachement, soit ils seraient intégrés dans les cadres des CHU ultramarins, soit ils reviendraient dans les CHU de métropole dont ils sont originaires. Ce serait de nature à accélérer la formation dans les DOM. On sait bien en effet que les professions de santé s'installent dans le ressort du CHU des hôpitaux dans lesquels elles ont été formées, où elles ont suivi des stages et où elles ont intégré un réseau de proximité ; ainsi, qu'elles s'installent à l'hôpital ou en libéral, elles sont connectées à l'ensemble des autres professionnels. Cela nous paraît être la solution la plus structurante et la plus pérenne.

Bien sûr, on pourrait renforcer les incitations faites aux médecins de venir s'installer dans les départements d'outre-mer. Mais on a déjà constaté que ceux qui le font repartent – souvent d'ailleurs vers un autre département ultramarin. D'où un effet de noria, qui n'est pas favorable à la structuration d'une présence médicale, avec ce que cela suppose en termes d'accompagnement des patients et de développement de la prise en charge.

L'autre solution qui nous paraît extrêmement intéressante est celle des coopérations entre les professionnels. Dans la France entière, dans les DOM comme en métropole, la population médicale vieillit et la démographie médicale va décliner. Certes, à l'horizon 2030-2035, il y aura davantage de médecins. Mais les demandes des médecins d'aujourd'hui, en terme d'installation et d'exercice professionnels, ne sont pas celles des médecins d'hier, qu'il s'agisse de temps de travail ou d'équilibre entre vie familiale et vie professionnelle. Le temps des médecins « moines soldats » travaillant 70 heures par semaines est révolu. Je ne dis pas que les jeunes générations cherchent à ne travailler que 35 heures, mais qu'elles trouvent que 48 heures – ce qui correspond à la norme européenne – c'est déjà beaucoup.

Dans ces conditions, pourquoi ne pas favoriser la coopération et une nouvelle répartition des compétences entre les professionnels ? Dans les départements d'outre-mer en particulier, on gagnerait à systématiser une répartition différente des tâches entre le corps médical d'un côté, et les autres professionnels de santé. En effet, si la démographie des médecins généralistes ou spécialistes, libéraux ou hospitaliers, n'y est pas bonne, celle des professions paramédicales est satisfaisante. La mise en place de protocoles de coopération entre les professionnels nous semblerait donc une bonne solution. Cela dit, nous avons noté que les protocoles de coopération actuellement actifs entre les professionnels libéraux de santé étaient encore rares en outre-mer.

Ainsi, deux outils nous paraissent particulièrement structurants : dans le long terme et d'une manière continue, le renforcement du potentiel de formation par ces détachements de professeurs des universités – praticiens hospitaliers (PU PH), de maîtres de conférence, d'assistants cliniques et de médecins hospitalo-universitaires ; et des délégations de compétences, équilibrées, garantissent une prise en charge de qualité entre professionnels libéraux de santé.

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