Intervention de Axelle Lemaire

Séance en hémicycle du 14 janvier 2015 à 15h00
Débat d'orientation pour la stratégie numérique de la france

Axelle Lemaire, secrétaire d’état chargée du numérique :

Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, pour vos remarques et votre participation à ce débat. Je souhaite répondre rapidement à chacune de vos interventions.

Madame la députée Corinne Erhel, vous avez fait un excellent résumé de l’ensemble des problématiques auxquelles le Gouvernement entend faire face dans le cadre de son action, sur laquelle la représentation nationale sera d’ailleurs bientôt amenée à se prononcer.

Vous avez abordé la question de la souveraineté des réseaux, enjeu primordial pour la France et l’Europe, qui implique notamment la protection contre de possibles cyberattaques grâce au développement d’un arsenal en matière de cybersécurité. Il se trouve que notre cadre réglementaire a récemment évolué pour doter l’ANSSI, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, de moyens de contrôle et d’intervention plus puissants en cas de cyberattaque contre les réseaux d’information des opérateurs d’importance vitale. De même, nous travaillons avec nos partenaires européens à la définition d’un texte qui devrait permettre une plus grande coordination en matière de cybersécurité.

La souveraineté des réseaux passe aussi par le développement d’une stratégie industrielle au niveau européen, notamment pour que les données produites par les entreprises et les citoyens d’Europe puissent être hébergées sur le continent européen, afin que la loi européenne soit applicable. Un exemple du développement d’une pensée stratégique dans le domaine industriel : je recevais à Bercy, tout récemment, mon homologue allemande, pour essayer de définir un référentiel technique applicable à l’industrie du cloud, autrement dit de l’infonuagique – ou information en nuage –, afin de favoriser, dans nos pays respectifs, de manière harmonisée, le développement d’entreprises de services en ce domaine.

Vous avez aussi parlé de la formation au numérique, question essentielle, tant dans le cadre de la formation initiale que dans celui de la formation professionnelle ou en réponse aux enjeux liés au chômage en France. S’agissant de la formation initiale, plusieurs d’entre vous ont évoqué le plan e-éducation, sur lequel je reviendrai. La formation professionnelle, quant à elle, devrait connaître une ampleur accrue grâce à l’entrée en vigueur, au 1erjanvier, du nouveau compte personnel de formation, qui doit permettre l’accréditation des formations par et pour le numérique, dans le cadre du parcours de formation tout au long de la vie. Enfin, Pôle emploi a décliné une stratégie nouvelle dans le domaine du numérique, comprenant que ce dernier pouvait aider à lutter contre l’inadéquation entre l’offre et la demande sur le marché du travail et aider à mettre en relation les demandeurs d’emploi et les employeurs proposant un poste demeuré vacant. L’enjeu de la formation est donc coeur de l’action du Gouvernement.

Sur le manque d’agilité numérique de l’État, ma réponse sera sobre, mais vous comprendrez, je le pense, que je partage certaines de vos conclusions. L’introduction, aussi modeste soit-elle, d’un nouvel exercice au sein de l’appareil de l’État – je veux parler du Jeudigital – tente, de manière indirecte, d’acculturer nos administrations au monde du numérique et à leur faire acquérir des réflexes, pour ainsi dire plus systématiques, de réactivité, d’usage et d’intégration des outils numériques.

Quant à votre objectif concernant le vivre-ensemble, il passe forcément par une plus grande inclusion numérique : si l’on parle de développement économique, on ne peut pas évoquer le numérique sans avoir totalement à l’esprit son objet social, qui se développe au service de tous.

Monsieur Favennec, vous avez évoqué la politique territoriale dans le domaine numérique. À l’instar de Mme Orliac, vous avez insisté sur la ruralité, sur le sentiment d’abandon lié aux problématiques de la couverture des territoires en internet haut débit et en téléphonie mobile. Vous avez eu raison d’insister sur ces sujets. Pour ma part, je me déplace beaucoup dans les territoires ruraux pour comprendre les difficultés auxquelles sont confrontés les collectivités locales et les élus locaux, pour essayer de mieux accompagner ces derniers et de mieux négocier avec les opérateurs de télécommunications, afin que cette question de la ruralité soit pleinement intégrée dans les engagements pris par les opérateurs.

Il est important que les modifications constatées dans le secteur des télécommunications n’aient pas de conséquences sur les engagements pris en 2013, au moment de la définition du plan « France très haut débit », et le Gouvernement y veille au plus près, notamment en actualisant le cahier des charges du plan précité, qui fera d’ailleurs très prochainement l’objet d’une consultation avec l’ensemble des acteurs – opérateurs privés, mais également collectivités locales concernés par le déploiement et le développement des infrastructures dans les territoires. Il s’agit, j’y insiste, de s’assurer que les engagements pris soient respectés et si possible dépassés. Cela passe sans doute par l’accès des collectivités locales à de nouveaux financements et – j’en viens ainsi à la question de la fibre – par une approche pragmatique.

Il ne s’agit aucunement de remettre en cause l’objectif politique du déploiement de la fibre, qui constitue aujourd’hui la technologie garantissant le très haut débit à l’horizon 2022, mais il faut avoir l’esprit le quotidien des territoires et prendre conscience que le coût de ce déploiement peut être multiplié par dix dans certaines zones très isolées. Il faut dès lors poser le problème de manière pragmatique, en tenant compte de l’urgence des besoins exprimés par nos compatriotes, qui souhaitent recevoir internet et, plus généralement, avoir accès au monde. Cela doit conduire à s’interroger sur le déploiement de technologies alternatives dans une perspective de montée en débit.

En tenant ce discours, j’insiste sur le fait que je ne remets nullement en cause l’objectif principal poursuivi par le Gouvernement, qui réside dans le déploiement de la fibre. D’ailleurs, les conclusions du rapport Champsaur – qui traite des enjeux liés à la disparition, à terme, du réseau de cuivre de l’opérateur historique et au transfert vers la technologie de la fibre – seront bientôt publiées et, pour partie, appliquées, avec toujours pour objectif de tendre vers un déploiement de la fibre dans l’ensemble des territoires.

Vous avez également parlé du plan e-éducation, sur lequel je veux dire quelques mots. Nous avançons de manière satisfaisante sur ce sujet, qui constitue, pour ainsi dire, un serpent de mer : nous en entendons parler depuis plusieurs années. Or, il faut insister sur le fait que c’est ce gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République, qui le mettra en oeuvre. Comment ? En intégrant dans les nouveaux programmes, à partir de la rentrée 2016, des enseignements numériques à tous les niveaux, avec une spécification de formation au lycée, et en ayant une nouvelle ambition s’agissant de la formation des enseignants : en effet, si, aujourd’hui, le numérique est très bien appréhendé par une minorité d’enseignants, il est source d’inquiétudes de la part d’une majorité de professeurs, qui ne maîtrisent pas forcément les outils numériques – sans que l’on puisse d’ailleurs le leur reprocher – et qui ont besoin, en ce domaine, d’un accompagnement beaucoup plus proche de leurs besoins.

Nous allons également mettre en place une plateforme plus ouverte, plus largement utilisable, qui offrira un accès à des contenus pédagogiques innovants permettant, grâce aux outils numériques, de faire de l’éducation autrement, au plus près des besoins particuliers des élèves, notamment à l’adresse des enfants connaissant des difficultés scolaires, ce qui est parfois le cas de ceux se trouvant en situation de handicap.

Le Président de la République a parlé des outils devant être utilisés, en particulier des tablettes : de fait, la diffusion des usages numériques à l’école ne pourra pas se faire sans un accompagnement des initiatives prises par les collectivités locales pour équiper les établissements scolaires.

Quant à la question des libertés dans le monde numérique, abordée par les députés Sergio Coronado, André Chassaigne et Corinne Erhel, je veux profiter de ce débat pour apporter quelques précisions sur les orientations annoncées par le Premier ministre en la matière. Le Gouvernement a expliqué qu’il proposerait des mesures dans le cadre du droit existant ; peut-être est-il utile d’en rappeler le contenu, en insistant sur les mesures votées au cours des derniers mois par le Parlement.

Les mesures prévues par la loi du 13 novembre dernier et visant à mieux lutter contre la propagande terroriste seront mises en oeuvre très prochainement. Les décrets d’application ont été préparés par le Gouvernement et seront publiés dans les semaines à venir. J’ajoute que ces mesures permettront également de lutter contre la pédopornographie qui sévit en ligne.

Conformément à cette loi, le décret relatif au blocage administratif des sites doit ainsi être examiné par la CNIL le 15 janvier prochain et par l’ARCEP, le régulateur des télécommunications, le 20 janvier. Il a par ailleurs été notifié récemment à la Commission européenne, qui a accepté de l’examiner au titre de la procédure d’urgence prévue par la directive 9834CE.

Vous le savez, un avant-projet de loi sur le renseignement est en préparation. Il doit être finalisé d’ici à environ quatre semaines. Mon ministère, à l’instar de l’ensemble des ministères concernés, contribuera à enrichir ce texte.

Ainsi que l’a rappelé le Premier ministre hier, ce texte et les autres mesures nouvelles qui pourraient être adoptées afin de renforcer notre dispositif de lutte contre le terrorisme respecteront les grands principes républicains de protection des libertés publiques et individuelles. Il ne s’agit donc pas d’adopter une loi d’exception dans un contexte d’exception ; il ne s’agit pas d’adopter un Patriot Act à la française ; il s’agit surtout d’appliquer la loi existante.

Je vous donne un exemple. Lorsque sont publiés sur un réseau social – Facebook, pour ne pas le citer – des propos et des images incitant à la haine et faisant l’apologie du terrorisme, un juge peut décider d’en faire comparaître l’auteur de façon immédiate. Cette possibilité est très peu utilisée aujourd’hui et pourra l’être peut-être plus efficacement à l’avenir.

En outre, le cadre législatif existant a également vocation à être appliqué avec des moyens matériels et humains plus importants. Je pense en particulier au système PHAROS, plate-forme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, animé par des officiers de police qui sont sans doute insuffisamment nombreux et qui, compte tenu du budget alloué, ne peuvent faire face à l’abondance des notifications.

Sur ce sujet, mon apport du point de vue du ministère de l’économie et des finances peut consister en des solutions technologiques innovantes permettant de rendre plus efficaces et plus immédiatement applicables les dispositifs existants. Par exemple, grâce à des plug-in ou modules externes greffés sur les systèmes d’information, il est possible de signaler directement les propos de haine parfois diffusés sur internet sans passer par une plate-forme de signalement.

Concernant les discours de haine tenus en ligne, de nombreux signalements sont faits chaque jour sur la plate-forme PHAROS. Les services du ministère de l’intérieur sont également constamment présents sur les principaux réseaux sociaux pour endiguer la propagation de discours inacceptables ou l’émergence de contenus à la teneur insoutenable. Ce travail est fondé sur le signalement communautaire et respecte les mécanismes de fonctionnement des réseaux sociaux, mais il doit sans doute être approfondi, en négociation avec les grandes plates-formes numériques, pour être rendu plus efficace et plus préventif, afin d’éviter de nouveaux actes de barbarie.

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