Intervention de éric Brune

Séance en hémicycle du 15 janvier 2015 à 9h30
Débat sur l'avenir du secteur industriel de défense et des capacités de maintenance industrielle des matériels — Table ronde

éric Brune, délégué syndical central CGT au groupe GIAT-Nexter Systems :

Lors de son audition dans le cadre de la discussion sur le budget de la défense, la CGT avait souligné l’importance de ce budget pour les industriels de la défense et leurs 165 000 salariés. Pour les syndicalistes en effet, le premier axe est toujours celui de l’emploi, de la qualification, des conditions de travail et des salaires. Mais parallèlement, la CGT affirme que les armes ne sont pas des marchandises comme les autres, et que d’autres préoccupations doivent être prises en compte.

L’industrie de la défense constitue en effet une part de notre outil de défense. Le rôle de la Direction générale de l’armement comme architecte de cet aspect de la défense nationale constitue ainsi un élément important. La vocation de l’industrie de défense est de contribuer à garantir la souveraineté nationale. Cette industrie vit des investissements réalisés par la nation pour sa défense, s’organise autour des programmes lancés au profit de nos armées et dépend des autorisations politiques pour ses exportations.

Le contrôle du capital recule, effectivement, mais demeure un bon outil pour l’État car les golden shares ne donnent pas toujours d’aussi excellents résultats qu’on pourrait le croire. Il est vrai que l’actionnariat public n’est plus aujourd’hui le premier moyen de l’État pour contrôler l’action de l’industrie de défense. Ce contrôle passe dorénavant davantage par les marchés, par le soutien à la recherche et au développement – et à ce titre, le crédit impôt recherche mis en place par la France est loin d’être négligeable – et par l’exportation.

Pour la CGT, l’exportation d’armement, qui a toujours existé, est tout à fait légitime. Elle relève de la décision politique : la règle reste l’interdiction des ventes d’armes, sauf dérogation accordée par l’État. De manière évidente, on ne peut pas vendre n’importe quoi à n’importe qui et en tout temps, l’actualité nous l’a rappelé récemment. Par ailleurs, l’exportation ne saurait être envisagée comme la réponse à tous les problèmes, notamment celui de la réduction des marchés européen et français. L’expérience montre que l’exportation s’accompagne de transferts de technologies et qu’elle peut susciter l’émergence de nouveaux concurrents dans des pays où les budgets de défense sont en plus forte croissance, ou supportés par une volonté nationale plus farouche qu’en Europe. Bref, l’exportation suscite nos concurrents de demain et conduit bien souvent à une course technologique qui est source d’une inflation technologique et de coûts non négligeables pour nos armées.

Quant à l’Europe, pour ne pas dire l’Arlésienne… sa position évolue assez peu depuis des années. L’industrie de défense reste du ressort des Etats, un principe qui est réaffirmé comme tel dans les traités, et il est clair que dans de nombreux États européens, la défense reste structurée davantage en fonction de l’OTAN que de l’Union européenne, ce qui pose du reste d’autres problèmes.

S’il faut donc être bien sûr vigilant et attentif aux développements européens, il ne faut pas en attendre un miracle. Aujourd’hui, l’empreinte nationale sur les marchés reste très forte – M. Lahoud est certainement plus compétent que moi pour en parler – et c’est normal, puisque les politiques de défense sont arrêtées au niveau national. Il n’est pas si facile de construire un marché européen, dans la mesure où il n’y a pas de politique européenne de défense. De notre point de vue, appeler, comme cela se fait souvent au niveau européen, à de grandes restructurations dans l’industrie revient à mettre la charrue avant les boeufs : on ne peut pas restructurer une industrie face à des marchés aussi multiples et protéiformes que les marchés européens.

J’en viens aux crédits des opérations exceptionnelles, qui sont insuffisants, comme nous l’avions déjà dit lors de l’audition sur le budget de la défense. Le départ du Charles-de-Gaulle pour le golfe arabo-persique fait bien apparaître aujourd’hui que les 450 millions d’euros prévus pour le financement des opérations extérieures en 2015 sont insuffisants. Nous sommes là dans une impasse budgétaire.

Autre problème : celui du financement sur ressources exceptionnelles du budget de la défense. C’est une autre impasse budgétaire, et qui pèse sur la sérénité de l’industrie. DCNS voit le nombre de frégates multi-missions dans notre flotte réduit à un niveau d’ailleurs peu compatible avec la dimension du domaine maritime français. Les commandes de Rafale sont toujours au niveau minimal pour entretenir l’outil de production. Certes, le programme Scorpion a été notifié à la fin de l’année dernière, mais avec un montage complexe et un cadencement peu compatible avec les besoins opérationnels de l’armée de terre. Enfin, la maintenance des matériels de nos armées est de plus en plus difficile à assurer.

En tant que délégué syndical CGT, je veux enfin évoquer quatre sujets que je ne peux pas taire mais que je ne développerai pas. Si les parlementaires veulent en savoir plus, ils m’interrogeront.

Le premier concerne les sociétés de projet, solution sur laquelle travaille le ministère de la défense pour pallier l’absence de ressources exceptionnelles dans le budget pour 2015. La CGT est vivement opposée à un tel montage. Le leasing de matériels d’armement est un non-sens politique et n’a pas non plus beaucoup de sens en termes financiers, puisqu’une opération de ce genre serait intégrée dans la dette nationale au sens européen et n’aurait pour effet que de reporter à plus tard un coût supplémentaire pour le budget de la défense. À terme, cette solution coûterait cher. Il faut voir un peu plus loin que le budget pour 2015 et examiner les conséquences de cette décision à moyen et long termes.

S’agissant du maintien en condition opérationnelle des matériels militaires, le MCO, la CGT prône une mise en cohérence des moyens militaires et civils du ministère de la défense avec ceux des industriels, afin de garantir le soutien en opérations. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de conserver des compétences militaires dans le soutien. Pour ce faire, il faut maintenir des établissements exerçant des missions en temps de paix et des missions assurées par les personnels civils en l’absence des militaires projetés en opérations. Par le jeu des externalisations, cette mise en cohérence devient de moins en moins évidente. La cohérence devient faible et la dépendance des armées est importante. Pour la CGT, il n’est pas envisageable que les personnels des sociétés privées soient amenés à assurer du soutien en opérations extérieures auprès des militaires. Cela doit rester la mission des militaires, leur métier est très particulier, les civils n’ont pas à l’exercer.

Troisième point : l’évolution de la filière espace et le projet de regroupement des systèmes de propulsion de Safran et des lanceurs d’Airbus Space. Ce rapprochement mettra sous maîtrise d’oeuvre industrielle des éléments essentiels, tant en ce qui concerne l’observation et les communications que les moyens de la dissuasion nucléaire. M. Lahoud répondra sans doute à vos questions sur ce point.

J’en viens enfin au projet de fusion du groupe Nexter, aujourd’hui intégré dans GIAT Industries, avec le groupe Krauss-Maffei Wegmann, ou KMW, qui donnerait naissance à un groupe de droit néerlandais. Cette fusion entraînerait à terme la disparition de la production de blindés en France et l’émergence d’un groupe dont la principale raison d’être serait l’exportation, ce qui n’est pas sans poser problème, les usages de l’Allemagne et de la France n’étant pas les mêmes en la matière.

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