Intervention de Pierrette Crosemarie

Réunion du 3 mars 2015 à 17h00
Délégation aux outre-mer

Pierrette Crosemarie :

Monsieur le président, je voudrais tout d'abord remercier la Délégation aux outre-mer de l'Assemblée nationale pour cette invitation. Notre Délégation est une création récente du CESE, et nous avons d'emblée souhaité nouer des relations avec les parlementaires de la Délégation de l'Assemblée nationale et de celle du Sénat, afin qu'ensemble nous puissions agir comme force de proposition auprès du Gouvernement et contribuer au développement économique des Outre-mer. C'est en ce sens que la Délégation du Conseil avait choisi comme sujet « La microfinance dans les Outre-mer ».

Outil de politique de l'emploi et d'insertion professionnelle et sociale, le microcrédit accompagné outre-mer est à la fois une réalité pour certains territoires comme Mayotte, et un dispositif sous-estimé au regard des potentialités qu'il recèle.

De fait, un tiers des microcrédits distribués par l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) le sont dans les territoires ultramarins et, sur cette part, un quart concerne Mayotte. Cela représente, à la fois, beaucoup et peu. Un ensemble de 4119 microcrédits ont été mis en place en 2013. Mais, même si l'ADIE affiche une croissance de 15 % par an, avec un objectif de 24 000 microcrédits distribués en 2017, les chiffres demeurent modestes au regard de la situation de l'emploi dans les Outre-mer et au regard des demandes de crédits formulées.

L'avis du CESE se propose d'observer, compte tenu des bons résultats du microcrédit accompagné en termes d'activité économique, et de son coût pour les finances publiques, comment la microfinance pourrait franchir une étape significative.

Qui recourt au microcrédit ? Les populations les plus éloignées de l'emploi, qui n'ont pas accès au crédit bancaire classique. Et il y en a davantage dans les Outre-mer qu'en métropole. Par ailleurs, la part des femmes, dans le recours à ce type de financement, est plus importante outre-mer qu'en métropole.

Les secteurs d'activité que nous avons repérés sont : le commerce, les prestations de service – ce qui est assez classique – mais aussi, dans les Outre-mer, l'agriculture et la restauration-hôtellerie. Bien sûr, il s'agit de petite restauration et de petite hôtellerie – aménagement de gîtes ou de chambres d'hôtes. Mais cela mérite d'être noté puisque la démarche s'inscrit souvent dans des projets de tourisme responsable.

Les montants moyens de financement, soit 8 000 euros, sont supérieurs à ceux établis en métropole – tout en dépassant rarement 20 000 euros. C'est malheureusement une particularité des Outre-mer, où l'effet levier des prêts bancaires que l'on pourrait attendre est moins important qu'en métropole. Il est en effet plus difficile de coupler un microcrédit avec du crédit bancaire classique pour pouvoir porter son financement à un niveau supérieur.

En prenant en compte le nombre des microcrédits distribués, le nombre des personnes aidées et l'ensemble des coûts engagés, le coût d'un emploi est estimé par l'ADIE à 1 500 euros, ce qui est très peu par rapport à certains dispositifs métropolitains, et à 2 700 euros pour Initiative France – pour des projets un peu plus importants, qui réclament souvent un accompagnement plus long et renforcé.

Ce coût est à mettre en relation avec les économies réalisées en termes d'allocations chômage, de minimas sociaux, sans parler de ce qui, à titre personnel, me semble le plus important, à savoir l'indépendance des personnes concernées – je pense aux femmes qui créent leur activité et qui, par ce biais, peuvent élever leurs enfants – et la dignité qu'elles retrouvent pour avoir créé leur emploi et s'être insérées dans la société, malgré des moyens très limités. Il faut penser qu'un certain nombre de ces personnes sont illettrées. Donc, de mon point de vue, elles – et ce sont en majorité des femmes – n'en ont que plus de mérite.

Dans notre avis, nous formulons trois séries de propositions.

Nous préconisons d'abord de mieux connaître le microcrédit sous ses différentes formes dans l'ensemble des territoires. Je ne vous apprendrai pas que nous avons un problème de connaissance statistique pour tout ce qui concerne les activités économiques outre-mer. Cette recommandation est donc valable à la fois pour le microcrédit personnel et le microcrédit professionnel. Mais le coeur de nos propositions, c'est de faciliter l'accès au microcrédit, de l'améliorer et de permettre son développement.

Il convient de favoriser l'implantation des institutions de microfinance (IMF) dans l'ensemble des territoires ultramarins, puisqu'il y a des disparités en fonction des territoires. Notre président, par exemple, qui est de Saint-Pierre-et-Miquelon, a regretté tout au long des travaux qu'il n'y ait pas de microcrédit à Saint-Pierre-et-Miquelon et qu'aucun établissement ou aucune institution ne le propose.

De la même façon, il convient d'assurer aux IMF un fonctionnement pérenne. Voilà pourquoi nous pensons qu'il faut accroître leurs possibilités de refinancement auprès de l'Agence française de développement (AFD). Nous pensons que, sur mandat de l'État, l'AFD pourrait faire plus en la matière.

La mobilisation des acteurs bancaires pourrait être sollicitée, notamment en développant la coopération régionale dans l'environnement géographique des territoires ultramarins. Souvent, nos grands acteurs bancaires, nos compagnies d'assurances, sont déjà présents dans l'environnement géographique, soit directement, soit par le biais de fondations ou d'associations qu'ils font vivre. Des projets de coopération régionale pourraient créer des synergies et les amener à s'implanter dans les territoires ultramarins pour y offrir du microcrédit, ou, au moins, pourraient les conduire à être plus actifs en ce domaine.

Nous proposons de renforcer ce qui fait la spécificité du microcrédit, à savoir l'accompagnement. De ce point de vue, il nous semble important que cet accompagnement soit assuré en amont du projet – et c'est en général le cas – mais surtout après son lancement. Il faut mobiliser non seulement les personnels des IMF et les bénévoles, mais aussi les services de l'État pour informer les créateurs d'entreprises sur les différentes formalités, notamment administratives et fiscales, qui les attendent et dont ils ne peuvent se dispenser sans risquer de mettre en péril la pérennité de leur activité.

Cet accompagnement est fondamental. Il est le gage de succès du microcrédit accompagné. Selon les chiffres dont nous disposons pour la métropole, la pérennité des entreprises créées avec des microcrédits accompagnés est nettement plus importante que celle des entreprises qui sont créées sans accompagnement. Pour financer cet accompagnement, nous proposons de diversifier les sources de financement. Sur mandat de l'État, il nous semble que la Caisse des dépôts et consignations, qui intervient déjà en aidant les têtes de réseau et en animant des fonds de garantie dans le cadre de l'économie sociale et solidaire, pourrait voir son rôle conforté et accru.

La mobilisation des acteurs bancaires et des acteurs assurantiels devrait, là encore, être sollicitée. Nous partons de l'idée que les destinataires du microcrédit représentent des clients à venir – dès lors qu'ils seront insérés dans la vie économique des territoires.

Nous proposons donc, pour développer l'activité de microcrédit, de faire varier deux paramètres. Le montant du microcrédit professionnel pourrait être porté à 15 000 euros (au niveau européen, le maximum est de 25 000 euros) et alloué au-delà des cinq premières années de l'entreprise, compte tenu du manque de fonds propres des créateurs d'activités et de leurs difficultés de trésorerie.

Nous soutenons également des formes innovantes de structuration d'activité, comme les coopératives d'activité et d'emploi qui permettent à un porteur de projet de tester une production ou un service tout en étant entrepreneur salarié. Le porteur de projet, dès qu'il entre dans cette coopérative, touche un salaire en fonction du chiffre d'affaires qu'il réalise et dispose d'une couverture sociale ; en même temps, les fonctions supports sont mutualisées et il peut bénéficier d'un accompagnement lui aussi mutualisé. L'expérience à laquelle nous avons assisté à La Réunion était extrêmement positive, dans la mesure où l'accompagnement portait sur toute la gamme des formes de management possibles. Nous pensons que la coopérative d'activité et d'emploi mériterait d'être mieux connue et reconnue.

Le microcrédit personnel peut, lui aussi, accompagner la personne vers l'emploi. En effet, il est souvent destiné à accroître la mobilité et à améliorer les conditions de vie du demandeur. Le CESE propose également sa montée en puissance – augmentation du niveau du montant alloué et allongement de la durée de remboursement.

Par ailleurs, compte tenu de la situation du logement dans les Outre-mer, et compte tenu également de retours d'expériences positives provenant des caisses de CCAS, nous préconisons que le microcrédit personnel puisse être consacré, en partie, à l'amélioration du logement, pour permettre certains travaux d'efficacité énergétique – par exemple, l'installation de chauffe-eaux solaires.

Nous préconisons, ensuite, d'implanter la micro-assurance dans les Outre-mer, dans la mesure où celle-ci permet de sécuriser l'activité qui vient d'être créée.

Dans les Outre-mer, en général, la problématique assurantielle est sous-estimée. Ce n'est pas qu'il n'y ait pas d'offres d'assurance disponibles, mais celles-ci paraissent trop onéreuses aux porteurs de projets qui ont peu de moyens. Il est nécessaire de développer l'information pour montrer en quoi une assurance adaptée va sécuriser l'activité – par exemple, contre le dommage qui peut être causé à un tiers ou au local (vol ou dégâts matériels).

La micro-assurance a été expérimentée en métropole et fonctionne bien, notamment grâce à une formule mise au point entre la MACIF et AXA. Nous invitons les assureurs à développer, dans les Outre-mer, des produits d'assurance adaptés à de petits projets – une offre de faible montant, mais avec des garanties couvrant l'activité.

Nous suggérons, là encore, d'accompagner le bénéficiaire – comme cela se fait en métropole pour certains entrepreneurs – dans un parcours d'assurance adapté. En effet, la micro-assurance n'a pas vocation à être pérenne. Si l'activité se développe bien, il faut que l'entrepreneur trouve une autre forme d'assurance. De ce point de vue, le produit proposé en métropole par la fondation « Entrepreneurs de la Cité » est intéressant, puisqu'il permet d'évoluer vers des formes classiques d'assurance.

Nous tenons d'autant plus à la micro-assurance que celle-ci existe déjà dans les territoires voisins des Outre-mer français, par exemple à Madagascar ou aux Comores. Elle y est proposée par de grandes compagnies d'assurances qui la font, soit directement, soit par l'intermédiaire d'associations ou de fondations. Ainsi, le savoir-faire existe, les modalités d'assurance existent aussi. Reste la volonté de développer ce produit dans les Outre-mer français.

Nous pensons que le microcrédit et la micro-assurance peuvent être des éléments de coopération régionale, dans la mesure où l'activité économique du territoire d'origine développera, en même temps, l'activité dans les pays limitrophes de l'espace régional. Nous avons vu, par exemple à Mayotte, des exemples très concrets de coopération régionale dans l'espace économique géographique. C'est ainsi qu'une jeune femme a développé une activité de transport d'effets personnels entre Mayotte et les Comores.

Selon nous, microcrédit et micro-assurance peuvent générer des synergies nouvelles. Nous proposons donc que l'AFD pilote ce dispositif de coopération régionale et, par exemple, organise, dans chacun des espaces régionaux, une conférence sur les potentialités du microcrédit et de la micro-assurance. Ce serait l'occasion de réunir partenaires publics et privés, et de mettre en synergie les grands établissements et les IMF qui sont concrètement impliqués dans ces projets de développement régional.

Enfin, nous suggérons de mobiliser davantage la finance solidaire.

La finance solidaire repose sur une épargne placée dans des produits financiers solidaires. Elle a vocation à financer des projets d'utilité sociale ou environnementale – commerce équitable, confection de vêtements ou de conserves issues de filières biologiques, par exemple. Nous pensons que c'est une source de financement possible pour les petits entrepreneurs.

Nous avons souhaité par ailleurs appeler l'attention du Gouvernement sur le développement du financement participatif qui permet de collecter des fonds auprès du public, par internet, pour financer un projet entrepreneurial etou culturel. Des mécanismes dédiés aux Outre-mer ou orientés sur les problématiques ultramarines devraient permettre la création d'activités nouvelles et d'emplois, et, en tout cas, répondre à des besoins nouveaux, fournir des produits et des services innovants et promouvoir une économie plus durable. Certains de ces dispositifs pourraient mobiliser l'épargne des ultramarins qui résident dans l'hexagone.

Nous citons l'exemple de la plate-forme POC-POC à La Réunion – financement participatif par dons – qui a soutenu un projet de « case à lire » que j'ai trouvé intéressant. Il s'agit d'une sorte de cabine téléphonique, très mobile, qui permet de mettre des livres à la disposition de tous, petits et grands. On peut installer cette « case à lire », décorée par des artistes, aussi bien dans un jardin public que dans une cour de récréation. C'est un projet à la fois entrepreneurial et culturel, qui nous semble tout à fait en phase avec le nécessaire développement de l'île de La Réunion.

Monsieur le président, cet ensemble de propositions devrait permettre, si le Gouvernement nous suit, de donner une dimension nouvelle au microcrédit, à la micro-assurance, au financement participatif et au financement solidaire, et de favoriser le développement d'emplois et d'activités dans les territoires ultramarins. La situation de l'emploi et de l'activité dans les Outre-mer étant très préoccupante, le jeu en vaut largement la chandelle. Ce serait une façon de redonner de l'espoir aux ultramarins.

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