Intervention de Michèle Bonneton

Séance en hémicycle du 14 janvier 2016 à 15h00
Suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Bonneton, rapporteure de la commission des affaires culturelles et de l’éducation :

Madame la ministre de la culture et de la communication, je vous remercie particulièrement de votre présence ici aujourd’hui, car je sais que votre emploi du temps est très chargé actuellement.

Mes chers collègues, je suis heureuse de vous présenter cette proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes de la télévision publique destinés à la jeunesse. Il s’agit en effet d’une revendication ancienne des parlementaires écologistes. Cependant, le vote de cette proposition de loi au Sénat a montré qu’il s’agissait d’une cause trans-partisane.

Je rappelle d’ailleurs qu’en 2008, la précédente majorité, notamment Mme Roselyne Bachelot, alors ministre de la santé et des sports, avait eu des velléités d’interdire, dans l’ensemble des programmes du service public de la télévision, toute publicité pour des produits alimentaires à destination des enfants.

Finalement, le choix a alors été fait d’interdire toute publicité sur les chaînes publiques entre vingt heures et six heures, et de protéger ainsi un public essentiellement adulte. N’aurait-il pas été préférable de commencer par protéger les publics les plus fragiles, c’est-à-dire les enfants ?

La situation actuelle est donc paradoxale : France Télévisions ne peut diffuser de messages publicitaires en soirée, au moment où ils sont vus par les adultes et où ils sont les plus rémunérateurs, mais elle est en revanche autorisée à en diffuser en journée, à un moment où ils sont vus notamment par les enfants, souvent en l’absence de leurs parents, et où ils rapportent de moins en moins.

L’article 2 de la proposition de loi, dans sa rédaction initiale, suggérait de remédier à cette situation en interdisant, à compter du 1er janvier 2018, la publicité commerciale pendant la diffusion des programmes de la télévision publique destinés aux enfants de moins de douze ans.

Il prévoyait également d’étendre cette restriction pendant un délai de quinze minutes avant et après cette diffusion, ainsi que sur les sites internet des chaînes publiques qui proposent ces mêmes programmes.

A été substituée à cette proposition, par un amendement adopté en commission, une demande de rapport que le Gouvernement serait chargé de remettre au Parlement avant le 30 juin 2017.

Ce rapport évaluerait l’impact d’une suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique, les possibilités d’évolution de la contribution à l’audiovisuel public, les modalités de la compensation financière ainsi que les moyens de renforcer l’indépendance des sociétés de l’audiovisuel public.

J’estime que cet amendement, adopté en commission au mois de décembre dernier, a vidé l’article 2 de la proposition de loi de sa substance. Par conséquent, la rédaction actuelle de la proposition de loi en limiterait le contenu à la demande de deux rapports : c’est du jamais vu ! Je vous proposerai donc un amendement visant à rétablir la rédaction de cet article 2 telle qu’issue des travaux du Sénat.

L’article 1er du texte soumis à votre examen propose d’inscrire dans la loi le principe d’un contrôle du CSA sur les mécanismes d’auto-régulation mis en place par les services de communication audiovisuelle publics et privés pour garantir le respect des objectifs de santé publique et de lutte contre les comportements à risque dans les messages publicitaires diffusés autour des programmes destinés à la jeunesse.

Néanmoins, la commission a adopté un amendement prévoyant que, désormais, le rapport remis par le CSA au Parlement évaluera non seulement les actions menées par les chaînes de télévision publiques et privées, mais aussi celles des annonceurs publicitaires. Il s’agit d’assurer une meilleure visibilité au travail mené par l’ARPP.

Toutefois, je vous proposerai un amendement visant à supprimer cette référence aux actions menées par les annonceurs publicitaires. En effet, l’inclusion des annonceurs publicitaires dans le périmètre du contrôle exercé par le CSA pourrait poser des difficultés, car, en l’état du droit, ils n’entrent pas dans le champ de la régulation mise en oeuvre par cette même autorité, si ce n’est au titre des engagements pris dans la charte alimentaire.

Mes chers collègues, si je vous propose des amendements visant à une adoption conforme de la rédaction de la proposition de loi résultant des travaux du Sénat, c’est parce qu’il est ressorti de la vingtaine d’auditions que je suis parvenue à mener – dans le peu de temps qui m’a été imparti – que le dispositif retenu par la Haute assemblée recueillait l’assentiment d’une très forte proportion et donc d’un très grand nombre de personnes entendues.

Des experts, comme M. Serge Tisseron, psychanalyste et spécialiste de l’image, tout autant que les représentants des associations familiales, des associations de parents d’élèves – comme la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public, la PEEP, et la Fédération des conseils de parents d’élèves, la FCPE –, des associations de consommateurs ou encore d’associations particulièrement investies sur ce sujet, comme Résistance à l’agression publicitaire : tous ont salué une initiative intéressante.

Ils ont formé le voeu qu’elle constitue une étape marquante. En effet, les spécialistes ont démontré que la publicité a, entre autres, des conséquences sur le psychisme des enfants.

Le rythme accéléré des séquences a pour objectif de capter les émotions, de faire appel à la pulsion au détriment de la réflexion. L’attention des enfants est altérée en hyper-attention et sous-attention, ce qui n’est pas sans incidence sur les apprentissages scolaires. De plus, l’image renvoyée est celle du bonheur dans l’hyper-consommation, ce qui peut entraîner des frustrations et parfois des comportements violents. Cela ne va pas dans le sens de la formation de citoyens responsables.

J’estime pour ma part que, si cette proposition de loi peut paraître modeste de prime abord, la sanctuarisation des programmes de la télévision publique destinés aux enfants de moins de douze ans constituerait un premier pas important vers une réforme plus ambitieuse.

À la suite de son excellent rapport sur le financement de l’audiovisuel public, le sénateur André Gattolin a commandé un sondage. Ce sondage, réalisé par l’Institut français d’opinion publique, l’IFOP, a révélé que 71 % des personnes interrogées étaient favorables à la mesure d’interdiction de la publicité commerciale autour des programmes pour enfants diffusés par la télévision publique.

Lors des auditions que j’ai menées et lors de l’examen du texte en commission, l’une des principales objections qui m’a été faite était d’ordre financier. Les pertes de recettes pour France Télévisions résultant de la mesure de suppression proposée sont estimées, selon mes différents interlocuteurs, à un montant compris entre 10 et 20 millions d’euros, ce qu’a confirmé Mme la ministre.

S’il est vrai que, sur l’initiative de sa rapporteure, Mme Corinne Bouchoux, le Sénat a supprimé les dispositions organisant la compensation financière, c’est pour faire coïncider l’entrée en vigueur de la mesure d’interdiction au 1er janvier 2018 avec celle d’une potentielle réforme ambitieuse du financement de l’audiovisuel public, qui s’imposera à court terme compte tenu de la montée en puissance des autres écrans et du numérique. La suppression de la publicité entrant en vigueur au 1er janvier 2018, cela laisserait deux ans au Gouvernement et au Parlement pour mettre en oeuvre une telle réforme, que le Président de la République lui-même avait annoncée le 2 octobre 2014.

Sans attendre cette éventuelle réforme, je fais des propositions dans mon rapport.

Une part non négligeable de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communication électronique est aujourd’hui affectée au budget général, alors qu’elle avait été conçue à l’origine pour compenser la perte de recettes de France Télévisions lorsque la publicité a été supprimée entre vingt heures et six heures. Ainsi, France Télévisions ne recevra que 140 millions d’euros en 2016 alors que cette taxe s’est élevée en 2014 à 213 millions d’euros. Il reste donc plusieurs dizaines de millions d’euros de marge.

Il existe d’autres sources de financement possibles. On pourrait imaginer par exemple que France Télévisions soit mieux rémunérée de ses investissements dans la création, ou puisse diffuser de la publicité lors de grands événements sportifs.

Remarquons aussi que la perte de recettes due à la suppression de la publicité proposée correspond à une augmentation inférieure à 50 centimes d’euros de la contribution à l’audiovisuel public.

Autre piste à explorer, l’élargissement de l’assiette de la contribution à l’audiovisuel public à tous les écrans numériques.

Finalement, les sommes en jeu sont très faibles comparées au coût que représente chaque année le seul échec scolaire, estimé à 24 milliards d’euros.

La question de la publicité commerciale diffusée autour des programmes pour enfants ne doit pas être envisagée seulement sous un angle comptable et financier. Il s’agit de protéger la santé des enfants au sens de l’Organisation mondiale de la santé, à savoir « un état complet de bien-être physique, mental et social » qui « ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».

C’est, de notre point de vue, l’un des devoirs du service public de la télévision à l’égard d’une jeunesse dont il est démontré aujourd’hui qu’elle pâtit physiquement et psychologiquement d’une surexposition aux messages publicitaires, dont les conséquences sur les apprentissages scolaires et le comportement social ne sont plus à prouver.

Il s’agit de redonner au service public de la télévision ses lettres de noblesse en exigeant de lui une exemplarité, qui permette aux parents d’avoir confiance lorsque leurs enfants regardent les programmes des chaînes publiques.

Comme l’a rappelé Mme Geneviève Avenard, défenseure des enfants, « l’intérêt supérieur de l’enfant doit toujours, selon la Convention des droits de l’enfant, constituer la préoccupation primordiale ».

Les parents comprendraient difficilement que notre assemblée n’adopte pas les dispositions visant à mieux protéger la jeunesse, qui, en 2012, je le rappelle, avait été érigée en priorité du quinquennat par M. le Président de la République.

Je vous invite en conséquence, mes chers collègues, à adopter les amendements que je vous présenterai afin de rendre à la présente proposition de loi la substance et la portée qui étaient initialement les siennes.

Cette proposition de loi est modeste, c’est un premier pas indispensable pour l’éducation du citoyen de demain, ce qui est en soi un enjeu considérable.

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