Intervention de Fanélie Carrey-Conte

Séance en hémicycle du 3 février 2016 à 15h00
Renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFanélie Carrey-Conte :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission spéciale, madame la rapporteure, chers collègues, à l’heure d’arriver, enfin, au terme du parcours législatif de cette proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et accompagner les personnes prostituées, mes premiers mots veulent avant tout saluer toutes celles et ceux qui ont rendu possible la concrétisation de ce texte : militants et responsables associatifs, investis au quotidien dans la lutte contre les réseaux et l’accompagnement des personnes prostituées ; victimes des réseaux ayant eu le courage – et il en fallait – de prendre la parole dans le cadre de ce débat public ; élus et responsables politiques qui, sans jamais flancher malgré les obstacles, sont allés au bout de ce marathon législatif, avec une pensée particulière pour Guy Geoffroy, pour Maud Olivier, pour Catherine Coutelle.

Je voudrais ensuite expliquer pourquoi je me suis personnellement investie dans le soutien à ce texte et ce qui fait qu’il est pour moi particulièrement important. Nous connaissons depuis plusieurs années une conjugaison de crises, économique, sociale, démocratique, écologique, que nos politiques publiques peinent à résorber. Notre société est parcourue par de nombreuses tensions et fractures, par des interrogations de sens. Je crois que le moment que nous vivons appelle à redéfinir clairement le projet collectif dans lequel nous souhaitons nous retrouver, les valeurs qui fondent notre société et notre pacte républicain. Pour moi, le projet abolitionniste, qui est avant tout un projet politique, doit être pleinement réaffirmé dans le cadre de la définition de ces valeurs communes.

Le projet abolitionniste dit deux choses essentielles : il est d’abord déterminant dans la transmission des représentations véhiculées dans notre société quant à la dignité des personnes et l’égalité entre les femmes et les hommes ; il est ensuite déterminant du point de vue du débat sur la marchandisation.

Qu’est-ce que l’on peut vendre, qu’est-ce que l’on peut acheter ? A l’heure où toutes les digues menacent en permanence de sauter face à la pression du « tout-marchand », à l’heure où la loi de l’offre et de la demande prend trop souvent le pas sur le respect de l’intégrité des personnes, il est de la responsabilité des politiques de mettre des barrières, et dans le cas qui nous préoccupe, de dire que dans notre société, il n’est pas permis d’acheter un acte sexuel, que nous ne l’autorisons pas, que nous ne souhaitons pas vivre dans un monde où la sphère marchande s’étendrait à cela, aux corps, aux êtres humains.

J’insiste sur cet aspect de marchandisation car il me semble vraiment essentiel de rappeler que le débat qui nous préoccupe a une dimension économique majeure, évidemment pour la survie des personnes qui basculent pour cela dans la prostitution, mais surtout, malheureusement, du point de vue des réseaux et du business qu’ils en font, des profits qu’ils en tirent : 3,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires comme le rappelait une étude récente. C’est ce circuit économique là qu’il faut casser, comme Sandrine Mazetier vient de l’expliquer, et pour le faire de manière efficace, il faut pouvoir agir sur le pilier du système prostitutionnel qu’est le client à travers sa pénalisation : c’es le sens de cette mesure, car sans cela il demeurera très difficile d’agir vraiment sur les réseaux.

Bien sûr cela n’empêche pas d’entendre qu’il y a différentes formes de prostitution, et qu’il y a en effet, même si c’est minoritaire, des personnes qui se prostituent de manière volontaire, que l’on doit respecter et dont on ne doit pas remettre en cause la parole ni le vécu. Mais il est essentiel de rappeler que le rôle de la loi est de mettre en place les protections et d’édicter les normes qui protègent le plus grand nombre, et je crois que c’est ce que nous faisons ici, avec cette proposition de loi et l’ensemble de ses piliers : la protection et l’accompagnement des personnes prostituées, la lutte renforcée contre les réseaux à travers notamment la pénalisation des clients, enfin le volet essentiel de la prévention et de l’éducation.

Je voudrais finir en disant que bien évidemment, cette proposition de loi ne règle pas tout. Ce n’est pas sa vocation. Je lisais hier le reportage très fort de Florence Aubenas sur les prostituées chinoises de Belleville, qui explique bien la question de la survie, le gouffre qui s’ouvre sous ses pieds quand il faut nourrir sa famille et qu’on n’a pas les moyens de le faire, les situations de détresse extrême qui poussent au pire.

Ceci doit nous rappeler que l’un des sujets de fond à traiter dans ce débat est évidemment la question de la précarité, et de la manière dont nos politiques publiques doivent agir de manière encore plus efficace pour prévenir le basculement, faire encore mieux face à la pauvreté, l’exclusion et la misère, y compris – j’insiste sur ce point – pour les personnes en situation irrégulière.

Autre sujet de fond, l’abolition du délit de racolage, qui vise à décriminaliser les personnes prostituées, à les considérer comme des victimes et non pas comme des coupables, doit s’accompagner d’un changement de représentation par la société des personnes prostituées, d’un changement de regard et de pratiques, des citoyennes et des citoyens comme de l’ensemble des institutions. Un travail en ce sens doit être mené, notamment un travail essentiel de sensibilisation avec les forces de sécurité et les forces de police.

Notre proposition de loi doit bien évidemment, comme toutes, s’articuler avec un ensemble cohérent de politiques publiques transversales. Mais il me semble essentiel de souligner que ce que nous vivons avec cette proposition de loi est un grand moment parlementaire. Je crois que ce texte fera date pour la protection des personnes prostituées et la lutte contre les réseaux et que nous avons là un texte essentiel pour la protection des personnes, la liberté et la dignité, que je serai très fier de voter dans quelques minutes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion