Intervention de Colette Capdevielle

Séance en hémicycle du 10 mars 2016 à 9h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Capdevielle :

La prescription est au coeur du fonctionnement de la justice pénale, de l’enclenchement de l’action publique jusqu’à l’extinction de la peine.

Avant tout chose, je tiens moi aussi à saluer le travail exemplaire qui a été réalisé en amont. Sans ce travail de M. Fenech et de M. Tourret, rien n’aurait été possible. Sans cette mission parlementaire très complète, pour laquelle vous avez procédé à de très nombreuses auditions, dont l’objectif, très précis, consistait à réformer la prescription en matière pénale en modernisant notre droit actuel et en renforçant la sécurité juridique, ce texte n’aurait pas vu le jour.

J’ai beaucoup apprécié la manière dont vous avez travaillé, avec réalisme, sincérité, volontarisme et pragmatisme, mais aussi avec beaucoup de prudence, comme l’a rappelé M. le garde des sceaux. En conséquence, nous allons, sur tous les bancs de cette assemblée, voter ce texte avec beaucoup d’enthousiasme.

Vous êtes partis du constat que le système actuel est réellement à bout de souffle. En 2010, un avant-projet de réforme du code de procédure pénale présenté par Mme Alliot-Marie, qui proposait une réécriture des dispositions encadrant la prescription pénale, a échoué.

Le constat est aujourd’hui sans appel : la prescription en matière pénale est régie par des règles complètement confuses et incohérentes. Le législateur, souvent sous la pression de l’opinion publique, a sans arrêt et sans cohérence multiplié les délais de prescription dérogatoires au droit commun, qu’ils soient allongés ou abrégés, avec des règles de computation qui se sont diversifiées. Les conditions d’interruption et de suspension de la prescription ont évolué : on a déjà cité l’arrêt de principe rendu récemment par l’assemblée plénière de la Cour de cassation, qui dégage encore un nouveau motif de suspension du délai de prescription de l’action publique en matière criminelle, dès lors qu’un obstacle insurmontable rend les poursuites impossibles.

Bref, nous sommes dans une situation de total désordre et d’insécurité juridique qui n’est pas acceptable, pour les victimes, pour les auteurs présumés et pour la société.

En outre, les fondements historiques de la prescription, laquelle était fondée sur le pardon légal, sont aujourd’hui non seulement discutés, mais contestés. Dans notre société très médiatique et qui, de surcroît, cultive beaucoup la mémoire, l’oubli de l’infraction par la société et par la victime n’est plus vécu comme un facteur d’apaisement. Bien au contraire ! Enfin, les progrès réalisés dans la conservation des preuves modifient radicalement le rapport au temps.

Le moment est donc bien venu de clarifier l’ensemble des règles relatives à la prescription de l’action publique et des peines afin de parvenir à un meilleur équilibre entre l’exigence qui nous est faite de réprimer les infractions et une meilleure sécurisation du système.

Les mesures proposées dans cette proposition de loi sont fortes. Vous conservez les fondamentaux, tels que le classement tripartite des infractions – contravention, délit et crime – et le principe que le point de départ de la prescription est bien la date de la commission des faits. Mais il y a trois points majeurs dans cette proposition de loi. Tout d’abord, vous doublez les délais de prescription de l’action publique de droit commun pour les crimes et pour les délits, en maintenant des délais dérogatoires qui sont clairement énumérés dans le texte.

Deuxième point : vous clarifiez l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, les seuls à conserver ce caractère imprescriptible, non pas pour des raisons symboliques mais parce que ces crimes touchent à l’humanité, tout simplement.

Troisièmement, vous harmonisez les délais de prescription de l’action publique et des peines en matière criminelle et délictuelle. Voilà un véritable travail de simplification et de clarification ! C’est clair : le délai de prescription de l’action publique est de vingt ans pour les crimes et six ans pour les délits. C’est vraiment un gros effort qui a été fourni, un travail de réflexion que je salue. Le texte ne touche pas aux contraventions, et c’est une bonne chose : je n’ai noté aucune demande sociale à ce sujet.

Nous avons eu des débats riches et de qualité en commission des lois. Celle-ci a également amélioré la définition des actes interruptifs de prescription et leur portée, en particulier pour les plaintes adressées par la victime à un fonctionnaire auquel la mise en mouvement de l’action publique est confiée par la loi – plaintes qui, désormais, seront interruptives du délai de prescription. C’est clair.

La commission s’est également prononcée sur la reprise de la prescription après un acte interruptif en revenant au droit en vigueur, ce qui est effectivement beaucoup plus simple, c’est-à-dire en faisant courir un nouveau délai de prescription d’une durée égale au délai initial. Elle a en outre étendu l’effet des actes interruptifs à toutes les personnes potentiellement impliquées dans une affaire, qu’elles soient co-auteures ou complices, y compris pour des infractions connexes à l’infraction principale.

Cette disposition est discutée, certains craignant des dérives, des lenteurs procédurales, des atteintes au droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Je le comprends, mais ces craintes, pour légitimes qu’elles soient, ne sont en réalité pas fondées : l’allongement de la durée d’une procédure n’est quasiment jamais dû à la prescription mais à l’absence de célérité de l’appareil judiciaire, qui laisse dormir, qui laisse traîner, voire qui abandonne un dossier. Mais aujourd’hui, il existe dans nos textes des dispositions très contraignantes qui obligent à des délais raccourcis, principalement quand la personne en cause est privée de liberté.

Par ailleurs, le texte consacre enfin la jurisprudence abondante relative au point de départ du délai de prescription de l’action publique des infractions occultes et dissimulées. Il donne ainsi un fondement légal à une jurisprudence très touffue, très diverse et parfois contradictoire sur le report du point de départ du délai de prescription de l’action publique au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée.

C’est absolument indispensable pour lutter contre la délinquance « astucieuse », la délinquance « organisée », ou pour le dire de façon populaire, la délinquance « en col blanc », dans laquelle les présumés auteurs se jouent avec délectation et un sacré esprit d’équilibriste des délais de prescription et de leurs points de départ et se donnent les moyens d’échapper aux poursuites d’une part et de ne pas indemniser les victimes d’autre part.

Ce texte assure donc de nouveaux équilibres et je ne crois pas qu’il faille aller au-delà, en dépit des tentations que je vois poindre d’un côté ou de l’autre. Prenons garde à une ultra-pénalisation de la société ; prenons garde à ne pas nourrir artificiellement l’espoir tout à fait vain, dans la plupart des cas, de poursuites, hypothétiques, et de condamnations encore plus hypothétiques, en rallongeant toujours plus les délais de prescription. Il faut maintenir dans notre droit des limites. C’est justement le rôle de la prescription que de poser ces limites.

Comme l’écrit fort justement Jean Danet, la prescription est une « limitation posée par le législateur à la tentation d’une expansion sans fin de la réponse pénale. Elle est donc un choix fondamental de politique pénale ». Il semble bien que cette fonction de la prescription ne soit pas inutile aujourd’hui.

Ce texte améliore notre droit ; il améliore tant le droit des victimes que celui des présumés auteurs. Il répond à une demande sociale et rend la loi plus lisible et plus sûre. Le groupe socialiste, comme il l’a fait en commission, votera très favorablement cette proposition de loi.

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