Intervention de Anne-Yvonne Le Dain

Séance en hémicycle du 10 mars 2016 à 9h30
Réforme de la prescription en matière pénale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Yvonne Le Dain :

Elle doit l’honorer et lui permettre de se déployer avec un certain sens du bonheur à venir, à faire ou à construire.

Qu’est-ce que la prescription ? J’ai consulté le dictionnaire pour savoir ce qu’il en est. C’est un terme un peu étrange. Pour ce qui est de la matière judiciaire, elle vient après la prescription médicale, acte indicatif, voire impératif, qui s’impose si le patient veut bien l’appliquer. La prescription peut être aussi l’acte final qu’il faut accomplir – impératif à la fois moral et physique. Enfin, elle vise aussi l’écoulement d’un délai au terme duquel quelque chose doit s’appliquer : la prescription acquisitive, où l’on acquiert un droit ou un bien, et la prescription extinctive, où l’on ne dispose plus de ce droit ou de ce bien.

Dans le présent texte, nous sommes dans un domaine très différent puisque nous construisons une prescription qui permettra de tenir compte de ce qu’est la société d’aujourd’hui. Nous aspirons tous au droit à l’oubli dans nos vies. Tous, sauf les victimes. Les associations de victimes, qui sont progressivement montées en puissance, y compris grâce aux droits que nous leur avons conférés, n’acceptent plus que les auteurs de crimes et de délits puissent être impunis au terme d’un délai dont on ne sait plus finalement comment il a été défini ni à quel moment.

Cette question est donc à la fois très juridique et formelle, avec un dispositif d’application impérative, immédiate, puisque la loi sera prescriptive, mais également sociétale : nous sommes en effet des sociétés de mémoire. Nous n’acceptons pas, nous ne voulons pas accepter que nos mémoires disparaissent. Depuis quinze ans, nous multiplions les lois mémorielles sur à peu près tous les sujets ainsi que les journées commémoratives, qui sont d’ailleurs nécessaires pour les victimes, qui ont besoin de les vivre, de les célébrer et d’entendre ce qui s’y dit. Notre société considère que la mémoire est un droit et un dû. D’une certaine manière, ce texte sur la prescription l’affirme et le confirme.

Je regrette néanmoins que la question de la prescription des crimes sexuels concernant notamment les mineurs n’ait pas été vraiment abordée, mais nous touchons là à un problème d’une immense intimité, sur lequel il conviendra sans doute de revenir. Je tenais tout de même à souligner cet aspect-là, d’autant que la plupart de ces victimes sont des femmes et qu’elles renoncent souvent à engager des poursuites, craignant peut-être de ne pas être soutenues, ou que ce dévoilement de leur vie intime n’accroisse encore leur souffrance morale.

Ce texte défend des valeurs fondamentales. Il affirme que la victime est prioritaire et le restera longtemps, et que la vengeance ne doit pas avoir droit de cité, ni dans la rancoeur, ni dans la stupeur.

La loi double les délais de prescription, ce qui constitue finalement une solution très élégante. Elle a été retenue suite à une consultation du Conseil d’État, qui a été semble-t-il de bon conseil afin d’éviter des dérives qui, oserais-je le dire, auraient pu être malsaines car possiblement vengeresses. Ce texte met fin à tout esprit de vengeance et responsabilise la société : nous, législateurs, nous, institutions – la justice, les juges, les procureurs – et nous tous, l’ensemble des citoyens.

C’est donc un joli texte, qui enfin présente l’immense avantage de consacrer l’essor de la science et de la technique qui, au-delà de la mémoire, permettent maintenant d’aller au bout des enquêtes et de retrouver des preuves physiques, chimiques, biologiques à partir de données factuelles et concrètes.

C’est ainsi que nous pouvons honorer non seulement la mémoire mais aussi la justice, et donc les victimes.

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