Intervention de Daniel Gibbes

Séance en hémicycle du 24 mars 2016 à 9h30
Action extérieure des collectivités territoriales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Gibbes :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, Serge Letchimy, mes chers collègues, vous le savez, aux termes de l’article 52 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Le Président de la République négocie et ratifie les traités. Il est informé de toute négociation tendant à la conclusion d’un accord international non soumis à ratification. » C’est dans le prolongement de cette disposition que l’article L. 1115-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction actuelle, interdit aux collectivités territoriales de conclure une convention avec un État étranger, sauf dérogations.

La proposition de loi qui nous est soumise propose tout d’abord de compléter cet article, afin de préciser le champ des dérogations à l’interdiction de conclure une convention avec un État étranger, et ce, pour toutes les collectivités territoriales. Ensuite, pour les collectivités d’outre-mer, et plus particulièrement pour celles qui sont régies par l’article 73 de la Constitution, la proposition de loi vise à étendre le champ géographique de la coopération régionale outre-mer, à étendre le pouvoir d’initiative de ces collectivités pour conduire la République française à conclure des accords internationaux de coopération régionale, à étendre la délégation de pouvoir de négociation et de signature d’accords internationaux de coopération régionale aux collectivités des outre-mer, à introduire un nouveau dispositif permettant aux départements d’outre-mer, aux régions d’outre-mer, ainsi qu’aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique de négocier plus facilement des accords avec un ou plusieurs États étrangers lorsqu’il s’agit de matières relevant de leur compétence propre. Enfin, la proposition de loi a pour objet de fixer les principes du régime applicable aux représentants diplomatiques ultramarins dans le cadre de leurs missions à l’étranger et de leur donner la possibilité de bénéficier des privilèges et immunités du corps diplomatique de l’État dans le cadre de leurs missions diplomatiques à l’étranger.

Le groupe Les Républicains ne peut que saluer l’ambition véritable de cette proposition de loi et les objectifs qu’elle poursuit en termes de développement économique endogène et de rayonnement de nos outre-mer dans le monde.

Depuis une quinzaine d’années en effet, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, la Réunion, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les Terres australes et antarctiques françaises et Wallis-et-Futuna coopèrent de façon plus structurelle avec les pays et territoires de leurs zones géographiques respectives. Cette coopération porte sur des projets relevant de nombreux domaines, tant économique, social, sanitaire et culturel qu’éducatif, environnemental et scientifique. Elle bénéficie d’outils juridiques dont certains sont communs à l’ensemble des collectivités territoriales et d’autres spécifiques aux territoires ultramarins et de nombreux dispositifs et leviers au niveau européen.

Les espaces concernés par cette coopération sont vastes : la Caraïbe, le plateau des Guyanes, l’ouest de l’Océan Indien, l’Océanie et les régions entourant Terre-Neuve. Cette coopération régionale favorise évidemment la création d’un espace d’échanges et pourrait contribuer fortement, dans les années à venir, à améliorer la diversification et l’internationalisation des économies ultramarines en créant des emplois stables et de qualité. Elle devrait également faire des outre-mer des catalyseurs de développement dans leurs zones géographiques respectives et des frontières actives de l’Europe. Le renforcement de l’insertion régionale constitue non seulement une évidence mais aussi un éternel défi.

C’est la raison pour laquelle le groupe des Républicains soutient l’amélioration des moyens juridiques et institutionnels mis en oeuvre pour améliorer la coopération régionale de nos outre-mer. Même si nous ne nous opposerons pas à la proposition de loi et voterons avec vous, chers collègues de la majorité, vous me permettrez d’émettre un doute sur une disposition et une réserve en forme de regret. Je nourris un doute à propos de l’article 16 autorisant les agents publics représentant les collectivités territoriales auprès d’une mission diplomatique à solliciter auprès des États d’accueil les mêmes privilèges et immunités que ceux accordés aux agents de l’État français.

Si nous souscrivons aux articles 13 à 15 permettant aux régions et aux collectivités uniques d’outre-mer d’assurer à leurs représentants diplomatiques un régime indemnitaire, des facilités de résidence et des remboursements de frais tenant compte des conditions d’exercice de leurs fonctions, nous demeurons en revanche circonspects au sujet des dispositions autorisant les agents publics représentant les collectivités territoriales auprès d’une mission diplomatique, et pas seulement les agents des collectivités ultramarines, dans le cadre de leurs missions diplomatiques, à se présenter devant les autorités de l’État accréditeur en vue d’obtenir les privilèges et immunités prévus par la convention de Vienne.

Enfin, j’émettrai une réserve que notre collègue Maina Sage a esquissée en commission des lois la semaine dernière : les nouvelles dispositions relatives à l’outre-mer prévues par la proposition de loi ne concernent pas les collectivités qui ne sont pas régies par l’article 73 de la Constitution. Certes, M. le rapporteur le justifie comme suit dans son rapport : « S’agissant des collectivités ultramarines relevant de l’article 74 de la Constitution (Polynésie française, les îles Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy et Saint-Martin) et de la Nouvelle-Calédonie (titre XIII de la Constitution), la possibilité de conclure des conventions internationales avec des États étrangers est encadrée par différentes lois organiques que la présente proposition de loi n’a pas vocation à modifier ».

Néanmoins, dans la mesure où cette proposition de loi ordinaire semble avoir été préparée en concertation avec le Gouvernement, il est dommage qu’un véhicule organique n’ait pas été conjointement présenté afin de remédier aux carences de toutes les collectivités ou à tout le moins que le Gouvernement ne s’engage pas d’ores et déjà à le faire, d’autant plus que la coopération internationale est un enjeu également important pour toutes les collectivités d’outre-mer. Cet enjeu prend une dimension particulière dans ma circonscription de Saint-Martin où la France et les Pays-Bas partagent un même territoire sans frontière physique. Ainsi, les deux parties de l’île ne partagent pas un même statut européen ! Ce genre de situation constitue bien l’obstacle majeur à la pleine intégration des outre-mer dans leur bassin de vie.

J’appelle donc l’attention de notre assemblée, pour conclure, sur l’une des limites de la portée du texte : l’intégration européenne des territoires ultramarins. Pour les régions ultrapériphériques, l’étendue du champ d’action en matière de coopération régionale sera clairement limitée par l’application des normes et traités européens que leur statut leur impose, ce qui les empêche de bénéficier pleinement des marchés économiques de leur région, en particulier en matière d’équipement. Dès lors, l’importation est la seule solution qui s’offre à elles.

Il en résulte parfois des situations ubuesques, comme en témoigne une anecdote rapportée par notre collègue Patrick Ollier lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2013 : pour fumer le saumon, la Guyane, pourtant située à proximité des millions d’hectares de la forêt amazonienne, se voit contrainte d’importer du bois de hêtre afin de respecter les normes européennes ! Cette anecdote illustre parfaitement la complexité de l’intégration régionale des outre-mer dont les causes dépassent le cadre législatif français. Le texte qui nous est proposé constitue une avancée indiscutable pour les départements d’outre-mer et les collectivités uniques, mais il demeure essentiel de réexaminer les relations entre Bruxelles et les outre-mer si nous voulons véritablement mettre en place une intégration régionale efficace.

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