Intervention de Guy Geoffroy

Séance en hémicycle du 5 avril 2016 à 21h30
Réforme du conseil supérieur de la magistrature — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Geoffroy :

Monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, je le dis sans que cela m’inquiète plus qu’autre chose : nous avons des points de désaccord, et je regrette que vous ne les affrontiez pas, comme vous êtes capable de le faire, de manière approfondie, afin que les uns et les autres, nous sortions des incertitudes que le temps dresse devant nous.

Vous faites les pieds au mur pour soutenir exactement l’inverse de ce que vous affirmiez il y a peu, mais il serait facile de vous tirer de cette difficulté : il suffirait d’accepter le débat au fond.

Celui-ci est toutefois perverti par l’interversion trop fréquente des appellations. En fonction de ce qui vous arrange, vous parlez de l’indépendance des magistrats, des juges ou de la justice. On croit ou l’on feint de croire que c’est la même chose. Ce n’est pourtant pas tout à fait le cas.

J’évoquerai trois souvenirs du non-magistrat que je suis, statut qui n’exclut pas une certaine pertinence dans l’observation, la réflexion et pourquoi pas la décision. Ces trois exemples qui m’ont toujours troublé m’invitent à réfléchir au fond.

Je citerai d’abord une visite avec une de nos collègues à l’École nationale de la magistrature. Au cours d’une séance de formation continue destinée aux juges aux affaires familiales, je me suis trouvé face à des magistrats qui me disaient sans aucune hésitation, alors que nous réfléchissions avec eux sur la mise en oeuvre des dispositions de la loi du 9 juillet 2010 : « Votre ordonnance de protection, nous estimons qu’elle ne sert à rien, et nous ne l’appliquons pas. »

J’avais été troublé que ces magistrats du siège, chargés de juger au nom du peuple, estiment très tranquillement, au nom de je ne sais quel principe, qu’ils n’avaient pas à appliquer une loi votée par les représentants du peuple au nom du peuple.

Un autre jour, avec un de nos collègues, je suis allé au tribunal de grande instance de Paris vérifier la manière dont étaient mises en oeuvre les dispositions du texte sur les peines planchers, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur en juillet 2007. Le procureur, dont je n’ai pas besoin de citer le nom, était entouré de la quasi-totalité des magistrats du siège. Tous les vice-présidents étaient présents. Ces magistrats m’ont tranquillement fait remarquer qu’au TGI de Paris, on n’appliquait pas les peines planchers.

J’ai demandé au procureur de Paris s’il avait interjeté appel, comme il devait le faire, de la décision des magistrats de ne pas justifier le non-recours aux peines planchers. Il m’a répondu qu’il ne l’avait pas fait. Je ne pense pas qu’il en ait subi des conséquences très graves, puisque, à ma connaissance, il est devenu depuis lors procureur général près la Cour de cassation.

Un troisième élément m’a également beaucoup troublé. Je rencontre fréquemment des associations ou des syndicats de magistrats qui, représentant autant le parquet que le siège, m’ont assuré non moins tranquillement que si telle loi ne leur plaisait pas, eh bien, ils ne l’appliquaient pas.

Tout cela, il faut que nos concitoyens le sachent. Ils le savent d’ailleurs confusément, même s’ils sont également conscients que l’immense majorité des magistrats sont des femmes et des hommes de très grande qualité, qui s’efforcent de faire oeuvre de justice de la meilleure manière possible, tant au parquet qu’au siège.

En tout cas, ces souvenirs m’amènent à réfléchir vraiment aux conséquences de la réforme que vous nous proposez. Je vous le dis tout net, monsieur le garde des sceaux : que la pratique adoptée depuis quelques années par le garde des sceaux devienne la règle, pourquoi pas ? Mais à ce moment-là, il faut éviter que l’indépendance du parquet ne conduise à une scission totale avec l’autorité politique que vous représentez.

Si demain le garde des sceaux n’est plus qu’un commentateur ou un observateur du fonctionnement de la justice, la démocratie et la justice rendue au nom de la démocratie et du peuple auront considérablement régressé.

Je regrette que nous n’ayons pas pu avoir tous ces débats, parce que je sais que vous aviez toute la capacité de les mener. Seulement, vous agissez sur ordre. Il faut une révision constitutionnelle. Il faut que le Président de la République actuel ne soit pas le premier de la Ve République à ne pas avoir mené sa réforme constitutionnelle. Il faut que celle-ci porte sur un texte que vous considériez encore récemment comme inutile et vidé de sa substance.

Nous ne jouerons pas la carte d’une fausse révision constitutionnelle, d’une fausse marche vers une meilleure indépendance du parquet. Il fallait aller ou plus ou moins loin et à tout le moins accepter le débat, ce que vous n’avez pas fait.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion