Intervention de Jean-Louis Roumegas

Séance en hémicycle du 31 janvier 2013 à 9h30
Indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et protection des lanceurs d'alerte — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Roumegas, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureux et fier de vous présenter aujourd'hui la présente proposition de loi relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte.

Cette proposition de loi du groupe écologiste du Sénat me paraît tout à fait en phase avec les attentes des Françaises et des Français. Vous le savez, les questions de sécurité sanitaire sont devenues un sujet de préoccupation majeur pour nos concitoyens et ne peuvent plus, aujourd'hui, être confinées dans des débats d'experts qui laisseraient de côté la société civile. Nous sommes dans ce que les sociologues appellent une société du risque scientifique et technologique, et ce risque s'accentue au rythme de progrès toujours plus rapides. Évidemment, il ne s'agit pas d'être contre le progrès et l'innovation technologique, mais simplement de s'assurer que ce progrès ne s'accompagne pas d'un recul en matière de santé publique et d'environnement.

Notre système d'expertise ne peut plus fonctionner en vase clos. Les scandales sanitaires et environnementaux qui ont émaillé l'actualité de ces vingt dernières années ont grandement contribué à émousser la confiance des Français dans notre dispositif de sécurité sanitaire. On peut d'autant moins leur donner tort que l'actualité est aujourd'hui marquée par cette nouvelle affaire concernant les pilules de troisième et quatrième générations.

Notre système d'agences sanitaires a su se rénover une première fois après les crises du sang contaminé et de la vache folle. Depuis le Grenelle de l'environnement, une réflexion sur la déontologie de l'expertise est à l'oeuvre. Elle a pu se traduire par de nouveaux modes de gouvernance, par exemple au sein de l'ANSES qui s'est dotée d'un comité de déontologie.

Les organismes publics de recherche et d'expertise sont toutefois loin de tous appliquer le même modèle de gouvernance, ouvert à la société civile, ni les mêmes principes de déontologie et d'expertise.

Combien de scandales auraient pu être évités, ou du moins anticipés et limités dans leurs conséquences – je vous renvoie notamment aux différents rapports parlementaires sur l'amiante – si les signaux d'alerte lancés par des individus, des chercheurs, des médecins, parfois de simples salariés ou de simples citoyens, avaient été correctement pris en compte et analysés ?

Que dire des intimidations, des poursuites judiciaires ou des sanctions disciplinaires auxquelles ces lanceurs d'alerte ont, en outre, dû faire face alors qu'ils n'avaient pour horizon que le bien commun ? Bien sûr, on pourra nous rétorquer que de fausses alertes existent, que les paranoïaques courent les rues, que ce texte va encourager les dérives. Nous répondrons à ces objections. Mais que dit la loi aujourd'hui ? Rien.

Nous devons donc affronter ces questions et y apporter des réponses, nous donner collectivement les moyens de faire en sorte que le « plus jamais ça » que l'on entend inévitablement après une catastrophe sanitaire ou environnementale ne soit pas un voeu pieux mais se traduise concrètement : par un dispositif efficace de recueil et d'analyse des alertes ; par une protection des lanceurs d'alerte, afin qu'aucune mesure discriminatoire ne puisse être prise à leur encontre ; et par une meilleure diffusion des principes déontologiques de l'expertise, notamment en ce qui concerne les conflits d'intérêts.

Cette proposition de loi est donc à la fois le fruit d'une réflexion de longue date et d'une expérience, celle des lanceurs d'alerte, que nous avons beaucoup écoutés, ainsi que des chercheurs, des juristes et des sociologues qui ont travaillé sur cette notion.

En cet instant, je ne peux m'empêcher d'évoquer quelques exemples. Je pense au parcours exemplaire d'Irène Frachon, pneumologue, isolée face au mépris des institutions alors qu'elle a alerté sur les risques du Mediator pendant des années, avant d'être finalement reconnue en 2010. Je pense à Pierre Meneton, chercheur à l'INSERM, qui avait dénoncé les dosages trop importants en sel dans les aliments de base et fut attaqué en justice par le lobby du sel : il a gagné son procès en 2008. Et j'ai une pensée particulière pour Jean-Jacques Melet, que j'ai connu personnellement. Il avait dénoncé les intoxications par les vapeurs de mercure émanant des plombages dentaires. Attaqué de toutes parts, il a fini par se suicider. La liste est longue, trop longue.

Pour nous convaincre du bien-fondé de ce texte, il suffit de se plonger dans le tout récent rapport de l'Agence européenne pour l'environnement : ces 700 pages, publiées le 23 janvier dernier, permettent de mesurer l'impact du développement de nouvelles technologies ayant eu des effets néfastes pour l'homme et pour son environnement. Je le cite : « Les études de cas historiques montrent que les avertissements ont été ignorés ou mis à l'écart jusqu'à ce que les dommages pour la santé et l'environnement ne deviennent inéluctables. »

Comment expliquer ces négligences ? L'Agence relève que « les entreprises ont privilégié les profits à court terme au détriment de la sécurité publique, en cachant ou en ignorant l'existence de risques potentiels. Dans d'autres cas, les scientifiques ont minimisé les risques, parfois sous la pression de groupes d'intérêts. »

Il est temps de faire l'économie de ces erreurs et de ces atermoiements. En 2011, le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante a déjà engagé 3 milliards d'euros de dépenses. Dans les vingt prochaines années, on estime que les dépenses d'indemnisation se situeront dans une fourchette comprise entre 26 et 37 milliards.

En tout état de cause, pour nous, parlementaires, il est temps de rétablir le devoir de protection pour tous les citoyens, en garantissant une expertise fiable et détachée des conflits d'intérêts. Nous donnerons suite, ainsi, à des engagements pris par les gouvernements successifs. Je pense à la loi Grenelle 1, dans laquelle un vote unanime, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, avait permis d'insérer les phrases suivantes : « La création d'une instance propre à assurer la protection de l'alerte et de l'expertise, afin de garantir la transparence, la méthodologie, la déontologie des expertises, sera mise à l'étude. Elle pourra constituer une instance d'appel en cas d'expertise contradictoire et pourra être garante de l'instruction des situations d'alerte. ». Malheureusement, le précédent gouvernement n'a jamais donné suite à cette promesse – ce n'est pas la seule qu'il ait reniée, alors que c'est lui qui avait pourtant lancé l'opération du Grenelle de l'environnement.

Aujourd'hui, c'est par une initiative parlementaire issue du groupe écologiste, et sur laquelle l'ensemble de la majorité actuelle s'est rassemblée, que nous allons passer aux actes. Cette proposition de loi est le fruit d'un travail parlementaire minutieux, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Je veux commencer par saluer, bien sûr, le travail de nos amis sénateurs, en particulier Marie-Christine Blandin, auteure du texte, Ronan Dantec et Aline Archimbaud. Je tiens également à saluer le travail de Marie-Line Reynaud, rapporteure pour avis de notre commission du développement durable, avec qui j'ai travaillé en parfaite intelligence, en ayant pour seul objectif d'améliorer la proposition de loi. Je voudrais aussi remercier l'ensemble des collègues qui ont contribué à ce travail, parmi lesquels Gérard Bapt, Bernadette Laclais, Fanny Dombre-Coste, Véronique Massonneau, mais également le professeur François-Bernard Michel. Je salue enfin l'excellent travail des administrateurs de l'Assemblée.

Nous avons mené pas loin d'une vingtaine d'auditions sur ce texte, et nous avons, autant que faire se pouvait, tenu compte des remarques de chacun afin d'aboutir à un texte cohérent et constructif.

Le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales qui vous est soumis aujourd'hui prévoit, en premier lieu, une définition du droit d'alerte, placée en exergue du texte, sous la forme d'un article 1er A. C'est une initiative de la commission du développement durable, qui a souhaité déplacer et toiletter les dispositions figurant initialement à l'article 8, permettant ainsi de consacrer entièrement le titre II à l'alerte en entreprise.

Cette définition du droit d'alerte met l'accent sur le critère tout à fait essentiel de bonne foi et a pour corollaire l'absence de toute imputation diffamatoire ou injurieuse.

En deuxième lieu, la présente proposition de loi prévoit la création d'une commission nationale chargée d'émettre des recommandations en matière de déontologie de l'expertise, afin de garantir : qu'un même niveau d'exigence s'applique quels que soient les organismes d'expertise et de recherche ; que tous accordent une attention particulière à la question des conflits d'intérêts ; et que la société civile soit mieux intégrée à cette réflexion.

Cette commission se verra, en outre, confier un rôle de supervision des alertes, avec pour mission principale de veiller aux procédures d'enregistrement de ces alertes et, le cas échéant, de transmettre celles dont elle serait saisie aux ministres compétents.

Ces dispositions, qui figurent dans le titre Ier, ont été précisées par plusieurs amendements. L'un d'entre eux a confié à cette commission la tâche de définir les critères de recevabilité des alertes. Il a également été précisé que, après la transmission d'une alerte, les décisions des ministres ou des agences devront être motivées et que la commission devra informer la personne qui l'avait saisie des suites données à l'alerte. Enfin, le rapport annuel de la commission devra comprendre une évaluation des procédures d'enregistrement des alertes mises en oeuvre par les organismes publics de recherche et d'expertise.

S'agissant des personnes habilitées à saisir la commission, l'article 2 a été modifié afin d'insérer dans cette liste les ordres professionnels intervenant dans les secteurs de la santé et de l'environnement. Nous répondons par là, entre autres, à une demande de l'Ordre des pharmaciens, ainsi que de celui des architectes, lesquels sont concernés par la salubrité dans les bâtiments.

En ce qui concerne la composition de la commission, un amendement de Mme Reynaud a été adopté afin de faire en sorte qu'elle ne soit pas figée dans la loi. Votre rapporteur a, pour sa part, proposé que des experts en sciences sociales fassent également partie de la commission. Un amendement du groupe écologiste, qui a été adopté, a prévu que la composition serait paritaire.

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