Intervention de Audrey Azoulay

Séance en hémicycle du 18 juillet 2016 à 16h00
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Présentation

Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, mesdames et messieurs les députés, avant d’engager la discussion sur le texte, je voudrais évoquer le terrible attentat qui nous a frappés le 14 juillet à Nice.

Ce sont des enfants, des femmes et des hommes qui ont été frappés avec une violence inouïe alors qu’ils partageaient collectivement un moment de fierté et de joie, un moment paisible. À travers leur chair, c’est aussi un symbole qui a été frappé : celui de la Nation réunie le 14 juillet, date qui nous rappelle notre histoire et le combat de la France pour les libertés. Ce sont ces libertés qui ont été attaquées, et aussi notre unité.

Notre défi collectif, c’est de nous défendre sans céder sur nos valeurs. Notre devoir, c’est de protéger l’idée de la France, la vocation de la France, c’est-à-dire ses libertés.

Cela passe notamment par la liberté de création et la liberté de diffusion, proclamées et garanties dans les deux premiers articles de la loi relative à la création, à l’architecture et au patrimoine, à laquelle nous avons oeuvré ensemble et qui a été promulguée le 8 juillet. Car notre sécurité à tous sera plus forte quand chacun d’entre nous comprendra qu’il est à la fois acteur et prescripteur de la résilience et de la force de résistance de la société.

Notre société sait que la création, par sa capacité d’interrogation et de rassemblement, est le bastion irréductible où réside la force de notre pays. Je pense aussi à ces festivals, à ces artistes qui rendent hommage aux victimes et qui rassemblent plus que jamais.

La liberté d’information est au coeur de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui. Je vois à cet égard un fil avec ce qui a été fait pour la liberté de création et de diffusion.

Cette nouvelle lecture de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias vient après l’échec de la commission mixte paritaire du 14 juin dernier. Il est vrai que les positions exprimées par le Sénat, notamment sur la question de la protection du secret des sources des journalistes, divergeaient très largement de celles adoptées à l’unanimité par votre assemblée.

Il faut que la loi garantisse et protège l’indépendance de l’information diffusée par les médias. Ces garanties sont essentielles pour la vitalité de nos démocraties, mais aussi pour les médias eux-mêmes. C’est bien tout l’enjeu de la proposition de loi défendue par Patrick Bloche, qui entend graver dans notre droit des principes forts pour la liberté et le pluralisme de l’information.

Au terme de la première lecture à l’Assemblée, le 7 mars 2016, et au Sénat le 26 mai, des dispositions importantes ont été adoptées, ce dont je me réjouis.

J’évoquerai d’abord la création d’un nouveau droit d’opposition pour l’ensemble des journalistes de tous types de médias. Cela faisait longtemps que la loi n’avait pas créé de droit nouveau pour les journalistes dans l’exercice de leur profession. C’est pourquoi je me réjouis avec vous que la proposition de loi crée ce nouveau droit : elle étend à l’ensemble des quelque 36 000 journalistes les principes qui prévalent déjà pour ceux de l’audiovisuel public, en leur donnant le droit de refuser une atteinte à leur travail au nom des intérêts des annonceurs ou des actionnaires.

C’est la raison pour laquelle, dans les médias qui n’en sont pas déjà dotés, les éditeurs et les journalistes sont invités à adopter des chartes définissant les règles de déontologie sur lesquelles ils s’engagent vis-à-vis de leur public. Il est important que ces chartes déontologiques ne soient pas en retrait par rapport aux droits et devoirs que les journalistes considèrent historiquement comme des lignes rouges en matière professionnelle, comme la stricte distinction entre le travail de journaliste et la communication.

En outre, afin de couvrir tous les cas de figure possibles et pour éviter tout vide juridique, je présenterai un amendement qui permettra aux journalistes et aux entreprises éditrices de se référer, en l’absence de charte conclue à la date d’entrée en vigueur de la disposition, aux déclarations et usages professionnels en vigueur.

Cependant, pour ne pas créer de confusion entre la déontologie professionnelle des journalistes et d’autres sujets soumis à la négociation sociale dans l’entreprise, nous préconisons que le comité d’entreprise soit « informé » annuellement du bon respect de la charte et non pas « consulté », ce qui pourrait le faire sortir de ses attributions.

Cette proposition de loi comporte aussi des dispositions spécifiques adaptées à la régulation de l’audiovisuel.

Le secteur audiovisuel fait en effet l’objet de modalités de régulation particulières, sous l’égide du Conseil supérieur de l’audiovisuel – CSA. Le texte de votre commission reprend celui issu de la première lecture, et je m’en réjouis car sont ainsi reprises des avancées et des garanties nouvelles. Je vous proposerai simplement deux amendements de précision, en particulier pour mieux cerner les programmes concernés dans le champ des missions de l’instance de régulation.

Certaines dispositions issues du débat au Sénat ont été maintenues par votre commission. C’est un choix d’ouverture qui me semble bienvenu sur le fond des mesures conservées : je pense en particulier à l’article 10 ter nouveau qui, après une discussion qui a couvert plusieurs textes législatifs, introduit une disposition relative à la reprise de la numérotation des chaînes de la TNT par les distributeurs de services.

S’agissant des comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes, le retour au texte de l’Assemblée nationale me semble également bienvenu. Nous aurons l’occasion d’examiner plusieurs amendements qui permettent de parfaire cette novation importante de la proposition de loi. Ces comités pourront se saisir et intervenir à tout moment auprès des directions des médias concernés et le CSA devra tenir compte de leurs avis.

J’en viens au renforcement de la protection des sources des journalistes.

La proposition de loi issue du débat à l’Assemblée nationale représentait une avancée majeure sur le secret des sources des journalistes, grâce notamment à l’adoption de l’amendement que je vous avais proposé.

Rappelons que la loi du 4 janvier 2010 est, de manière notoire, estimée insuffisamment protectrice par de nombreuses organisations de journalistes mais aussi d’éditeurs de presse qui demandaient qu’elle soit améliorée – une demande entendue par le Président de la République puisqu’une telle réforme figurait dans ses engagements de campagne.

Cependant, le débat au Sénat s’est soldé par un très net recul sur cet enjeu démocratique majeur. L’échec de la commission mixte paritaire est essentiellement lié à ces dispositions du texte pour lesquelles la majorité sénatoriale s’est opposée à toute tentative de compromis. Votre commission a donc décidé de réintroduire le dispositif voté à l’unanimité par l’Assemblée nationale, ce dont je me réjouis.

Elle a notamment rétabli deux éléments fondamentaux : l’intervention préalable du juge des libertés et de la détention pour autoriser les mesures d’enquête portant sur les sources des journalistes ; et la protection des journalistes contre d’éventuelles poursuites pour recel de violation du secret professionnel, du secret de l’instruction ou d’atteinte à la vie privée, ce qui est déterminant pour la liberté de l’information.

Pour autant, et c’est le sens des amendements que je défendrai, le Gouvernement souhaite le rétablissement de dispositions adoptées en première lecture, afin de garantir l’équilibre et la cohérence du texte que je vous avais présenté et que vous aviez adopté.

Il s’agit tout d’abord d’harmoniser à sept ans le quantum de peine qui permet de mesurer la gravité des délits dont la prévention ou la répression peut justifier que le secret des sources soit levé. Cette modification me semble nécessaire pour concilier la protection de la liberté d’information et les exigences de sûreté et de sécurité nationales.

Il s’agit par ailleurs de prévoir que ces mesures d’enquêtes puissent intervenir pour la prévention ou la répression de ces délits, mais étant entendu qu’en matière de répression, la nécessité de faire cesser le délit en train d’être commis ou le risque élevé de le voir se reproduire devraient être des éléments pris en compte par le juge lorsqu’il apprécie la nécessité et la proportionnalité des mesures.

Mesdames et messieurs les députés, cette proposition de loi constitue je crois une avancée majeure pour l’activité professionnelle des journalistes et des rédactions, et donc pour notre démocratie. Elle permet, et nous savons combien cela est nécessaire, d’engager la réflexion sur la déontologie de l’information dans chaque entreprise de média.

Dans l’environnement médiatique foisonnant que nous connaissons aujourd’hui, les médias professionnels qui emploient des journalistes pourront ainsi offrir à leur public une garantie supplémentaire quant à l’honnêteté de l’information et mener ce débat au sein de leurs entreprises. Grâce à ce texte, les professionnels pourront renforcer leur crédibilité et la qualité de leur relation avec nos concitoyens.

De même, le renforcement de la protection du secret des sources et la protection des lanceurs d’alerte facilitent l’accès à l’information pour les journalistes, qui doivent pouvoir enquêter, collecter, vérifier et diffuser des éléments en toute indépendance. C’est une mesure nécessaire. Pour ceux qui ont pu en douter lorsque les débats sur cette proposition de loi ont commencé, la réalité du contexte économique dans lequel l’information est recueillie et diffusée s’est rappelée à nous au cours du cheminement de nos discussions : les Panama Papers nous ont ainsi rappelé la nécessité d’adapter la protection des journalistes à ces réalités. Aussi, il faut s’en féliciter, le législateur est pleinement dans son rôle lorsqu’il permet aux citoyens d’accéder à une information pluraliste et indépendante.

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