Intervention de Jean-François Beynel

Réunion du jeudi 30 janvier 2020 à 15h00
Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Jean-François Beynel, chef de l'inspection générale de la justice :

Votre première question porte sur la responsabilité professionnelle du magistrat, c'est-à-dire le principe selon lequel le magistrat n'est pas personnellement responsable. Le service public de la justice assume sa responsabilité en cas d'erreur ou de difficulté.

Dans les deux cas que vous avez évoqués, l'affaire Outreau et les fuites, l'inspection a été saisie. Elle a notamment rendu un rapport public sur l'affaire Outreau, peut-être éclipsé par la commission d'enquête parlementaire. Le rapport avait été publié sur le site du ministère de la justice.

S'agissant des fuites, j'ai en tête plusieurs affaires instruites par l'inspection générale des services judiciaires sur des faits allégués de fuites commis par magistrats de l'ordre judiciaire. Il me semble que l'une des affaires a été débattue publiquement devant le Conseil supérieur de la magistrature, ainsi que le rapport de l'inspection qui avait abouti à des conclusions permettant de qualifier le comportement du magistrat.

L'inspection est donc susceptible d'intervenir dans les deux cas que vous avez cités : elle serait probablement saisie et rendrait un rapport car cela fait partie de ses missions.

Pour revenir à la responsabilité professionnelle des magistrats, je ne suis pas habilité à avoir un avis autre que personnel et professionnel sur ce sujet. Je n'ai pas la légitimité du Parlement pour savoir comment légiférer dans ce domaine.

La décision judiciaire est une décision humaine, complexe et difficile. Plusieurs réformes du droit disciplinaire des magistrats ont été engagées. L'ordonnance de 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, qui définit notamment la faute professionnelle du magistrat, a été modifiée à plusieurs reprises. Dans la rédaction actuelle, le magistrat est responsable disciplinairement lorsqu'il commet sciemment des actes de procédure de manière à bafouer volontairement le droit des parties. Le texte va donc déjà très loin. Je doute qu'il faille en faire plus.

Considérant la fragilité de la décision judiciaire et la complexité de la prise de décision, il est heureux que, dans une démocratie, la collectivité nationale assure la protection qu'elle doit aux magistrats, comme à l'ensemble des agents publics. À moins de démontrer que les faits commis sont entièrement détachables de la mission juridictionnelle, exercée au nom de la collectivité nationale, s'ils lui sont rattachés très directement, il paraît logique de recevoir une protection. Dans le cas contraire, nous entrerions sur le terrain glissant de la liberté et de l'indépendance.

Prendre des décisions juridictionnelles, c'est toujours prendre un risque. La réalité n'est jamais blanche, ou noire, mais grise. Elle nécessite une analyse, une pesée car il y a toujours des arguments dans les deux sens. Le juge, par nature, est confronté à des arguments, des intérêts et des valeurs contradictoires. Il doit trancher, donner une opinion. Cette analyse doit être faite en toute liberté et en toute indépendance pour être juste, franche et étayée. S'il faut prendre en compte le risque de se voir imputer une faute personnelle dans le cas où la décision prise n'a pas la conséquence imaginée, et anticiper le comportement des agents sociaux, cette liberté et cette indépendance sont largement entamées. Pour juger, il faut être libre, et libre de beaucoup de choses.

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