Intervention de Marie-France Hirigoyen

Réunion du mercredi 30 janvier 2019 à 13h30
Groupe de travail sur les conditions de travail à l'assemblée nationale et le statut des collaborateurs parlementaires

Marie-France Hirigoyen :

Merci de me permettre de m'exprimer sur ce sujet. En juin dernier, j'ai organisé, en partenariat avec l' International Association on Workplace Bullying and Harassment (IAWBH), le 11e congrès international sur le harcèlement au travail. Je le précise car tous les spécialistes mondiaux du harcèlement – moral et sexuel – s'accordent sur une définition internationale, mais il est vrai que l'on tend à confondre harcèlement et RPS.

La notion de harcèlement est apparue en France en 1998, après la parution de mon livre sur le harcèlement moral, à un moment où n'existait pas encore de définition des RPS. En revanche, il existait déjà dans d'autres pays, en particulier les pays nordiques, des études s'intéressant aux risques psychosociaux, dans la mesure où il y avait un intérêt pour les problématiques psychiques liées au travail et la prévention de ces maladies. En France, ou au Japon, la prise de conscience du harcèlement s'est faite à partir des observations de cliniciens comme moi. Dans la mesure où cette problématique, bien que liée à un contexte organisationnel, touchait les personnes de façon individuelle, les syndicats, par exemple, davantage centrés sur les luttes collectives, n'en ont pas tenu compte.

Assez vite, nous nous sommes rendu compte que le harcèlement concernait aussi le secteur public, qu'il y durait même plus longtemps, sous des formes souvent plus graves, car les protections apportées par la loi y étaient moindres. Nous y reviendrons.

La définition légale du harcèlement, à l'élaboration de laquelle j'ai participé, vise des agissements répétés « qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail (du salarié) susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » Il est important de noter que les agissements ne sont pas nommés mais que le harcèlement est défini par ses conséquences sur la santé et, surtout, sur la dignité.

La définition du harcèlement, quel que soit le pays, retient trois facteurs. Les agissements doivent être répétés, sauf dans le cas de harcèlement sexuel par abus de pouvoir et dans celui de discrimination, où un seul agissement suffit. La relation doit être complémentaire : le harceleur est en position de pouvoir en raison d'un lien de subordination, ou parce qu'il abuse d'une compétence dont l'autre peut avoir besoin, ou parce qu'il peut prendre le pouvoir sur la personne harcelée en situation momentanée de vulnérabilité – classiquement, au retour d'un congé maternité ou d'un congé maladie. Enfin, le harcèlement n'est pas forcément le résultat d'une intentionnalité malveillante. Dans la plupart des pays – à l'exception des textes internes adoptées par les institutions européennes –, la notion d'intentionnalité n'est pas retenue : on peut harceler sans le vouloir, par maladresse ou par incompétence.

Pourtant, la notion d'intentionnalité n'est pas indifférente pour la personne ciblée. Ce n'est pas la même chose de se sentir malmené par un groupe ou par de mauvaises conditions de travail et d'avoir l'impression que l'on essaie de se débarrasser de vous. C'est une systématisation qui n'existe pas, par exemple, dans le stress au travail. Une personne qui se plaint de harcèlement se base sur un ressenti qui ne correspond pas forcément à la définition scientifique et légale. Il faut donc être prudent et bien faire la différence avec les RPS. Il convient aussi de tenir compte de ce que l'on appelle le phénomène d'attribution d'intentions hostiles : lorsque l'on est fragilisé, que l'on se trouve dans une situation d'interactions ambiguës, on peut être amené à interpréter à tort qu'autrui nous est hostile.

Il faut savoir aussi que les harceleurs sont rarement conscients de la gravité de leurs agissements : ils ne perçoivent pas ce qui pose problème dans leur comportement ou ils considèrent qu'étant donné le contexte, leur comportement est justifié.

Le harcèlement est un risque psyschosocial parmi les autres – stress, conflits, violences externes, burn-out. Ce dernier terme est très en vogue et je m'autoriserai une remarque sur le sujet. Le burn-out n'est répertorié dans aucune classification internationale des maladies mentales. Les classifications DSM-5 ou CIM évoquent un « trouble de l'adaptation », ce qui ne veut pas dire grand-chose. On a du mal à le différencier d'un stress intense et chronique ou d'une dépression. Il s'agit en fait d'une problématique qui se situe à la croisée de l'individuel, du collectif et de l'organisationnel, et qui, à ce titre, concerne plusieurs disciplines.

Je dirais qu'il s'agit davantage d'une maladie de civilisation, dans la mesure où elle touche des personnes qui ont surinvesti leur travail, intériorisé un discours managérial classique, et à qui l'on a demandé de s'investir beaucoup trop. Ces personnes consciencieuses, scrupuleuses, qui cherchent à se réaliser à travers leur travail, sont alors victimes d'un épuisement émotionnel, d'un désinvestissement des relations personnelles qui peut aller jusqu'au cynisme, et d'une baisse du sentiment d'accomplissement personnel.

Le terme burn-out permet une externalisation de la responsabilité : « ce n'est pas ma faute, c'est dû à un trop grand investissement dans le travail ». Pour simplifier, le burn-out est une forme d'auto-harcèlement : la personne se met elle-même la pression, au point de se rendre malade et de se faire arrêter par le médecin.

Une dernière remarque sur le harcèlement sexuel. Je reçois beaucoup de personnes qui viennent consulter pour du harcèlement moral et à qui je dois expliquer qu'elles sont victimes de harcèlement sexuel. Il est difficile de parler du harcèlement sexuel et a fortiori de le dénoncer ; nous pourrons en reparler.

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