Intervention de Paul Peny

Réunion du mercredi 5 juin 2019 à 13h30
Groupe de travail sur les conditions de travail à l'assemblée nationale et le statut des collaborateurs parlementaires

Paul Peny :

Sur la détection, et donc la prévention le plus en amont possible, et, quand les situations sont avérées, la prise en charge ou le traitement, nous sommes au croisement de plusieurs outils ou de plusieurs démarches. Celles que nous mettons en œuvre, ce sont des démarches qui peuvent être très générales, mais qui visent à percevoir s'il y a du stress, des perturbations dans le collectif de travail, notamment à travers le baromètre social.

La Caisse des dépôts dispose d'un baromètre social qui est mis en œuvre tous les deux à trois ans. Il pose de très nombreuses questions, dont certaines sont en lien direct avec la perception du stress ou la qualité de vie au travail, et d'autres le sont de manière indirecte, mais permettent, quand on les croise, d'avoir une image de l'état social et psychologique des collaborateurs. Le baromètre est totalement transparent. Il est publié et commenté dans l'ensemble de l'établissement, et chaque direction de l'établissement a l'obligation d'en faire un thème de partage et de pédagogie à l'intérieur des équipes. En complément, nous avons le projet de nous doter d'un outil de mesure du climat social plus léger, qui serait à la disposition des managers pour leur permettre de mieux connaître le ressenti d'une équipe, dans un contexte particulier, de transformation ou de réorganisation, par exemple.

Dans le même esprit, les médecins de prévention disposent d'un outil de mesure « quantitatif » du stress : il s'agit d'un questionnaire renseigné par le collaborateur dans le cadre de la consultation du médecin du travail. Nous n'avons pas connaissance, en tant que direction, de ce dialogue. En revanche, le médecin du travail peut agréger de l'information en consolidant les informations qu'il tire de cet outil, qui s'appelle SATIN. Ces informations lui permettent, dans son rôle de médecin du travail, de faire remonter à la direction des éléments d'information sur telle ou telle difficulté de type RPS dans vos équipes. Il peut le faire en l'objectivant à partir des résultats de l'enquête. Ce sont les trois outils que l'on mobilise pour avoir une idée un peu objectivée de ce qui pourrait être la manifestation de risques psychosociaux.

Deuxième élément sur cet aspect relatif à la détection et à l'analyse : dans un univers tel que celui de la Caisse des dépôts – mais c'est le cas de beaucoup d'administrations dont les activités relèvent essentiellement du secteur tertiaire –, les risques professionnels sont majoritairement des risques dits psychosociaux. C'est le programme annuel de prévention qui a vocation à suivre le sujet de manière extrêmement précise. Comme les administrations, mais aussi comme une entreprise, nous mettons en œuvre tous les ans un programme annuel de prévention qui est élaboré à partir de la consolidation des documents uniques. Tous les services établissent des documents uniques, et des documents uniques seront bientôt établis aussi à l'occasion de projets, fussent-ils ponctuels : un projet de réorganisation doit donner lieu à un document unique, qui est un dossier d'analyse de risques. Il y existe une grille, qui aide à quantifier de manière très précise les risques, à en tirer un diagnostic, puis des plans d'action. Ce sont ces documents uniques, dont la consolidation constitue le document unique de l'établissement public et dont les conclusions alimentent directement le programme annuel de prévention, qui est examiné et validé aussi bien en Comité exécutif que par les instances représentatives du personnel, et donne lieu à un suivi régulier. C'est ce cadre-là qui permet de tracer les risques qui ont pu être évalués, leur intensité, et les mesures correctrices qui sont proposées par la direction.

Il est toujours difficile de déterminer par avance tous les facteurs constitutifs de risques psychosociaux. Certes, vous l'avez évoqué, Mme la Rapporteure, la question des moyens matériels peut peser, mais je pense très honnêtement que c'est très secondaire par rapport à d'autres facteurs. Je vais reprendre ce que mes collègues ont pu dire, sans établir ni typologie ou ni priorisation.

D'abord, la question du sens au travail. Ce qui perturbe le plus fortement un collectif de travail, c'est lorsqu'il ne sait plus pourquoi il travaille. La question fondamentale est celle du sens, c'est-à-dire de la compréhension de la stratégie, et donc de la pédagogie nécessaire pour faire comprendre, et au-delà associer les personnels à cette feuille de route. Notre baromètre révèle que dès que le corps social, à tort ou à raison, a des doutes sur la stratégie, on constate que le stress déclaré augmente. Il y a une vraie corrélation entre niveau de stress et adhésion : il ne s'agit pas forcément d'être d'accord, mais au moins de connaître et comprendre la stratégie.

Le deuxième facteur, comme vous le disiez, chers collègues, c'est la charge de travail. C'est banal de le dire, mais on ne peut que le redire. Il y a la charge quantitative. J'y ajouterais ce qui est plus complexe à traiter, mais qui est l'une des choses qu'on ressent le plus : c'est ce que les professionnels de prévention appellent le décalage entre le travail prescrit et le travail réel. Je pense que, davantage que l'intensité quantitative de la charge de travail, quand un collaborateur a le sentiment qu'il est astreint à une forte charge de travail qui pourrait être en soi supportable, mais qu'elle est en décalage avec ce qu'il a compris de son rôle, alors il y a une souffrance. Je pense que cela joue énormément : la charge objective, et plus fortement encore, le décalage entre les attendus, la fiche de poste, le grade, l'emploi et le réel.

J'y ajouterais ce qui relève des relations interpersonnelles et managériales. Sans faire un procès quelconque aux managers, il est clair que la maladresse managériale, ou l'incompréhension managériale, peut être un facteur puissant de risque psychosocial.

Je termine par la formation, que vous avez évoquée, les uns et les autres. Nous pensons aussi que la formation est un des meilleurs leviers de prévention. D'abord parce qu'elle donne l'occasion de toucher du doigt les problèmes. Il peut y avoir des formes de déni conduisant à ne pas se rendre des dégâts que l'on peut créer à cause de la manière dont on organise la relation de travail ; la formation permet de prendre conscience de ces processus. Si elle ne résout pas tous, la formation est absolument essentielle et incontournable.

Faire en sorte qu'une équipe ne soit pas en souffrance psychologique est au cœur de la responsabilité managériale. Aussi tous les managers doivent-ils obligatoirement suivre au moins une formation avec une dimension « prévention des risques psychosociaux ». Nous l'avons mis dans le programme de prévention, pour être certains que ce ne soit pas uniquement un engagement de la DRH dans son coin. Sur trois ans (2018-2020), tous les managers devront bénéficier d'au moins un stage figurant au programme de formation de l'Université du management de la Caisse des dépôts, avec une dimension clairement orientée « risque psychosocial ».

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