Intervention de Laurent Saint-Martin

Réunion du mardi 21 juillet 2020 à 17h10
Mission d'information sur l'évaluation de la concrétisation des lois

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Saint-Martin, rapporteur :

Madame la présidente, mes chers collègues, je commencerai moi aussi par rendre hommage à notre collègue Claude Goasguen, qui nous a quittés en mai dernier. Co-rapporteur de la mission d'information, il était aussi et surtout une haute figure de la politique française.

La conférence des présidents a décidé le 16 juillet 2019 de créer une mission d'information relative à la concrétisation des lois, laquelle, composée de députés issus de tous les groupes politiques, comme nous le souhaitions, a commencé ses travaux en octobre dernier. Nous voulions d'ores et déjà vous remercier, chers collègues, pour votre participation active aux auditions et aux réflexions de la mission. Je rejoins les propos de la présidente sur ce point : nous pouvons nous féliciter d'une assiduité globalement satisfaisante lors des auditions que nous avons effectuées, qui se sont révélées très instructives.

Les propositions contenues dans ce rapport, que Jean-Noël Barrot et moi-même allons détailler dans quelques instants, n'en sont que plus fortes et plus consensuelles. Pour résumer l'enjeu auquel la mission d'information a entendu répondre, je citerai une phrase de Richelieu, que vous retrouvez d'ailleurs dans l'introduction du rapport et qui me semble particulièrement éloquente : « faire une loi et ne pas la faire exécuter, c'est autoriser la chose que l'on veut défendre » – que l'on veut interdire, dirait-on aujourd'hui.

C'est pourquoi nos travaux se sont fondés sur un constat assez simple : alors que de nombreux efforts sont entrepris depuis des années par les institutions et par les responsables publics pour améliorer la mise en œuvre des lois sur le terrain, nos concitoyens sont nombreux à ressentir, et de façon croissante, une déconnexion, pour ne pas dire un découplage, entre les réformes annoncées, les lois votées, et leur ressenti au quotidien.

Ils ont souvent le sentiment que les textes votés ne se traduisent pas toujours en actes, que ce processus est trop long ou n'est pas à la hauteur des enjeux réels ; ils ont le sentiment de ne pas toujours être entendus, et ce sentiment paraît au premier abord contraire aux progrès accomplis tant par l'exécutif que par le Parlement en matière d'application et d'évaluation des lois.

L'application stricto sensu des lois a connu ces dernières années une amélioration, si bien que, depuis le début de la présente législature, 95 % des décrets attendus pour l'application des dispositions législatives ont effectivement été pris dans un délai raisonnable – ce chiffre, cité par le secrétaire général du Gouvernement, a été vérifié. Ce taux n'avait jamais été aussi élevé, ce qui montre qu'on peut progresser d'un point de vue technique, sans que cela se traduise par une amélioration du ressenti sur le terrain.

L'évaluation des lois progresse également, notamment depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. En amont du débat parlementaire sur un projet de loi – c'est-à-dire ex ante –, les études d'impact préalables comprennent désormais au moins cinq indicateurs d'impact pertinents, qui permettent d'objectiver les résultats attendus d'une réforme. Une fois la mesure mise en œuvre – c'est-à-dire ex post –, des démarches innovantes d'évaluation ont été mises en place : je pense à la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'évaluation de la loi du 6 août 2015, dite « Macron », au comité d'évaluation de la loi du 22 mai 2019, dite « PACTE », piloté par les services du Premier ministre, ou encore au comité présidé par Benoît Cœuré, chargé de veiller au suivi de la mise en œuvre et à l'évaluation des mesures de soutien financier aux entreprises confrontées à l'épidémie de covid-19, prises dans le cadre de la loi de finances rectificative.

Si ces deux aspects – évaluation de l'impact ex ante et estimation des effets réels ex post – ont été abordés par de nombreux travaux, ce n'est pas le cas de la phase intermédiaire, lorsque le texte prend corps dans les territoires. La concrétisation de la loi dans le quotidien des citoyens est au cœur du sujet qui nous occupe. Ses formes et ses canaux sont aussi variés que complexes.

Le Gouvernement s'est saisi de cette question à travers le suivi d'« objets de la vie quotidienne » (OVQ), la mise en place dans les ministères d'un conseiller spécifiquement chargé du suivi des réformes, ou encore la création, à l'occasion du récent remaniement ministériel, d'un ministère dédié à la transformation publique, confié à Amélie de Montchalin. Notre mission d'information témoigne de la volonté du Parlement de trouver des solutions à la hauteur des enjeux.

Mais pour reprendre la formule d'un grand auteur classique, je dirai, mes chers collègues, que notre mal vient de plus loin… Le renforcement du non-cumul des mandats intervenu en 2014, nécessaire par beaucoup d'aspects, a cependant contribué à distendre le lien qui unit les parlementaires et les citoyens. Les premiers sont moins impliqués dans la vie des territoires et dépendent désormais de « remontées » du terrain pour identifier d'éventuelles difficultés. Les seconds ont le sentiment que le Parlement leur est devenu inaccessible. Il en résulte un affaiblissement du principe même de représentation.

C'est donc, au fond, le rôle des parlementaires dans les territoires qu'il nous faut repenser dans le cadre de cette mission, et le problème se pose avec une plus grande acuité pour les députés que pour les sénateurs. Notre objectif est d'imaginer les conditions d'une nouvelle dualité de fonctions du député, à la fois législateur et contrôleur de la concrétisation des lois.

À la gravité des enjeux posés, notre mission d'information répond par une démarche innovante. Nous avons mené jusqu'à présent des travaux prospectifs. Dix-huit réunions ont été consacrées à l'audition d'acteurs divers : services ministériels, membres du Sénat, du Conseil d'État, du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), représentants des collectivités territoriales, des consommateurs et des entreprises, professionnels du droit, universitaires ou chercheurs… Nous avons interrogé l'ensemble du spectre des acteurs participant, de près ou de loin, à la concrétisation des lois. Nous avons également pu, grâce au Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP), collecter des informations sur les bonnes pratiques mises en place à l'étranger.

Ces travaux ont abouti à l'élaboration d'une méthode, d'un guide de l'évaluation in itinere des lois, que vous trouverez en troisième partie du rapport, et qui doit servir à mettre en application cette fameuse deuxième fonction du député, consistant à veiller à l'application des lois sur le terrain.

L'originalité de la mission tient à ce qu'au-delà du premier rapport, fruit d'un travail assez classique, la méthode de contrôle de la concrétisation des lois que nous proposons sera directement éprouvée sur le terrain par les membres de la mission qui, répartis en groupes de travail thématiques, l'utiliseront au cours des prochains mois pour évaluer l'application dans leurs circonscriptions de plusieurs objets législatifs.

Comme vous le voyez, tout en restant modestes sur l'outil que nous avons créé, nous pouvons être fiers d'avoir proposé quelque chose de très concret pour permettre aux députés d'aller vérifier la bonne application des lois et d'effectuer ces allers-retours permanents entre le Parlement et le terrain, entre la circonscription et le lieu où nous faisons la loi et où nous l'évaluons. Cependant, tout cela sera vain si la seconde phase n'est pas correctement prise en main par nous-mêmes, c'est-à-dire si nous n'allons pas vérifier sur chaque territoire, objet législatif à l'appui, le ressenti de nos concitoyens et pourquoi, trop souvent encore, les lois que nous votons sont mal comprises par nos concitoyens.

Avant de conclure, je tiens également à remercier les administrateurs pour leur formidable travail, effectué parfois dans des délais assez contraints et dans un contexte un peu compliqué. Grâce à eux, nous avons pu, comme nous le souhaitions, remettre ce rapport avant la coupure estivale afin que, dès l'automne, nous ayons le réflexe d'aller sur le terrain pour y vérifier la concrétisation de nos lois.

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