Intervention de Pierre-Franck Chevet

Réunion du jeudi 30 novembre 2017 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) :

– Ce cadre réglementaire français, auquel vous avez grandement contribué, fait référence en Europe. Les directives européennes s'en inspirent très largement, que ce soit sur la sûreté, la radioprotection ou les déchets. De nombreux défis continuent à se poser. Et nous continuerons à travailler à vos côtés sur ces sujets.

Je vous présenterai le rapport annuel de l'ASN sur l'état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, que je n'ai pas pu vous présenter en avril, comme je le fais traditionnellement, en raison des élections et du renouvellement des instances parlementaires. L'ASN est une autorité administrative indépendante. Cela signifie qu'elle est indépendante par rapport à ceux qui définissent la politique énergétique : le gouvernement, les exploitants, les organisations non gouvernementales (ONG), etc. En revanche, nous devons rendre des comptes au public, principal bénéficiaire de notre action, et au Parlement, ce qui est tout à fait légitime. Quand on pense au nucléaire, chacun pense immédiatement aux grosses installations, comme les réacteurs nucléaires d'EDF, l'usine de retraitement de La Hague, ou le projet de centre industriel de stockage géologique, appelé Cigéo.

Mais en réalité, le champ d'application des rayonnements ionisants, dont nous devons contrôler la sûreté d'utilisation, est beaucoup plus large. Ils sont ainsi très utilisés en matière médicale, depuis les gammagraphies des poumons, avec de faibles doses, jusqu'à la radiothérapie, utilisée pour tuer des cellules cancéreuses, avec des doses plus importantes. Le dernier accident majeur dans le domaine de la radiothérapie a eu lieu à Épinal, en 2005, faisant plusieurs morts, et laissant plusieurs dizaines de personnes avec des handicaps lourds, suite à une erreur dans l'application d'un traitement. Depuis lors, nous contrôlons cette activité, et les choses se sont améliorées. Les milieux professionnels ont été sensibilisés. Malgré tout, le risque d'accident existe, et nous restons extrêmement vigilants. On compte encore entre cinq et dix incidents dits de niveau 2 par an en la matière, ce qui signifie que la radiothérapie est mal ciblée, et tue des tissus sains au lieu de tuer la tumeur, ce qui peut avoir des conséquences à terme pour la santé des personnes.

Les sources radioactives sont aussi utilisées dans les chantiers où l'on emploie, pour contrôler l'état des soudures, des gammagraphes, instruments petits mais puissants, qui permettent de faire des radiographies des tuyaux. L'ASN avait déjà en charge le contrôle de la protection des travailleurs qui utilisent ces instruments sur les chantiers. La loi sur la transition énergétique nous a confié la mission de contrôler les aspects de sécurité, c'est-à-dire la protection contre les actes de malveillance. Ces petits instruments peuvent, en effet, entraîner des dégâts considérables s'ils tombent entre de mauvaises mains. Pour nous, c'est un premier pas dans le domaine de la sécurité, sachant que, contrairement à la plupart des autres pays, ce n'est pas l'Autorité de sûreté nucléaire qui, sur les autres sujets, est en charge des contrôles de sécurité et de protection contre les actes de malveillance. Nous terminerons la rédaction des derniers textes dans le courant de l'année 2018.

J'en viens à la surveillance des grosses installations : les réacteurs, les centres de recherche, etc. On en compte 150 en France, ce qui représente l'un des plus gros parcs nucléaires au monde. Globalement, la sûreté de ces grosses exploitations est satisfaisante, même si, ponctuellement, des problèmes peuvent survenir dans certaines installations. Ainsi, l'ASN a dû placer, avant l'été, la centrale de Belleville-sur-Loire sous surveillance renforcée. Toutefois, si l'on met de côté ces difficultés ponctuelles, la sûreté d'exploitation de ces grosses installations semble satisfaisante. L'actualité a été marquée par un certain nombre d'incidents de niveau 2. Il faut savoir, toutefois, que la découverte de ces incidents est le fruit d'une démarche volontariste pour trouver d'éventuelles anomalies. Cette démarche a payé. En matière de sûreté, lorsque l'on trouve des anomalies, c'est plutôt une bonne chose, parce que cela permet de les corriger, et, in fine, d'accroître la sécurité.

Néanmoins, à moyen terme, le contexte est préoccupant, car les grands industriels, comme EDF ou Areva, connaissent des difficultés économiques et financières, alors que des défis sans précédents se présentent. Tout d'abord, la question de la prolongation, ou non, du parc de réacteurs d'EDF au-delà de 40 ans est posée. Derrière cette question simple, il faut mener une évaluation technique poussée, d'abord pour apprécier si les réacteurs sont conformes aux plans initiaux – les incidents survenus ces derniers temps ont montré que la situation n'était pas toujours simple, ensuite pour évaluer le vieillissement des réacteurs depuis leur construction et, enfin, pour déterminer ce qui peut être fait pour améliorer le niveau de sûreté ces installations, si l'on prolonge leur vie au-delà de 40 ans. Cette dernière question est particulièrement complexe d'un point de vue technique. Nous nous prononcerons vraisemblablement en 2020, puis édicterons une prescription, qui s'imposera aux exploitants en 2021. Plus de la moitié des 58 réacteurs sont ainsi concernés par cette échéance des 40 ans.

Les mêmes questions se posent pour les installations liées au cycle du combustible, ou pour les structures de recherche du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), qui ont été construites au même moment. Nous devons ici nous prononcer sur une cinquantaine de dossiers.

Le troisième défi est celui de « l'après-Fukushima ». Une première série de mesures a déjà été mise en oeuvre sur l'ensemble des réacteurs et des installations nucléaires. Par exemple, des moteurs diesels ont été ajoutés, pour garantir l'alimentation électrique. Depuis, l'ASN a décidé de durcir les mesures, pour faire face à tout type d'agression. Ainsi, les moteurs diesels devront être installés dans des bunkers protégés. Les travaux ont commencé, mais le chantier durera encore cinq ou dix ans.

Un autre sujet concerne la construction des installations nouvelles. Il faut reconnaître que les chantiers en cours, comme l'EPR, le réacteur Jules Horowitz, ou ITER, ont pris du retard, et rencontrent des difficultés. Il s'agit surtout de difficultés d'ordre industriel, qui ne touchent pas la sûreté, à l'exception de la cuve de l'EPR. La France n'ayant pas construit de telles installations depuis des années, il n'est pas anormal qu'une phase de réapprentissage soit nécessaire. Cela prend du temps.

Il y a quelques semaines, nous avons rendu un avis positif sur l'EPR, sous réserve de changer le couvercle de la cuve avant 2024. Surtout, on a trouvé un grand nombre de documents ayant fait l'objet d'une pratique s'apparentant à de la falsification, même si j'emploie ce terme avec prudence, car il renvoie à une qualification pénale, et je ne suis pas compétent pour la définir. Ces documents portent sur les caractéristiques physiques ou mécaniques, essentielles pour la sûreté, de pièces importantes dans les réacteurs. Or, cette pratique de falsification a eu cours pendant près de 50 ans. Nous avons imposé à Areva de vérifier, sous notre contrôle et celui d'EDF, tous les dossiers de fabrication. C'est un travail long et minutieux. Il devrait être terminé à la fin de l'année 2018. Il faut relire plus de deux millions de pages, et nous sommes à mi-chemin. À ce stade, un seul cas posant des problèmes pour la sûreté a été décelé : le réacteur de Fessenheim 2, sur lequel une anomalie technique a été détectée.

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