Intervention de Gilles Pijaudier-Cabot

Réunion du jeudi 23 novembre 2017 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gilles Pijaudier-Cabot, vice-président de la CNE2 :

Le stockage géologique profond est effectivement le deuxième grand chantier sur lequel la Commission se penche chaque année. Le projet est aujourd'hui entré dans sa phase d'avant-projet définitif (APD). Le dépôt d'une demande d'autorisation de création est visé dans le courant de l'année 2019.

Au cours des mois qui viennent de s'écouler, quelques événements sont survenus. Le premier a été le dépôt par l'Andra du dossier d'options de sûreté, que nous avons analysé. Cette analyse a été transmise à l'OPECST, voici environ un an. Mon intervention ne vise pas à reprendre l'ensemble des éléments qui vous ont été fournis à cette occasion, mais d'en extraire quelques-uns, particulièrement significatifs, et de présenter un point d'actualité sur les bitumes.

La première conclusion qui ressort de l'analyse de Cigéo que nous effectuons régulièrement est que le site choisi pour ce stockage géologique nous semble excellent pour accueillir les déchets de haute et de moyenne activité à vie longue, pourvu évidemment que soit mis en place un conditionnement adéquat.

Cigéo est censé recevoir des déchets. Il existe donc un inventaire de référence, décrivant l'ensemble des déchets qu'il est prévu d'accueillir dans cette installation, qui correspondent aux déchets produits, ou à produire, du parc actuel, y compris l'EPR.

Se pose également la question d'un inventaire de réserve, au sein duquel on trouverait éventuellement des combustibles usés, ce qui renvoie au discours que M. Maurice Leroy vient de tenir sur le cycle nucléaire. Il a été demandé à l'Andra de se pencher sur la possibilité d'adaptation du stockage géologique pour accueillir des combustibles usés. Cela dit, nous voulons insister sur le fait que, même si cette demande est parfaitement légitime et fondée, elle ne doit pas remettre en cause le processus conduisant à la demande d'autorisation de création, car Cigéo reste, pour l'instant, un stockage destiné à accueillir des déchets ultimes, et non des « matières ».

Parmi les éléments de l'analyse que nous avons effectuée du dossier d'options de sûreté, se pose toujours la question de l'interface entre le stockage et les entrants, de la relation avec les producteurs, ainsi que du processus et des critères d'approbation des colis qui vont arriver, destinés à être stockés sur le site. Il s'agit pour nous d'un point d'attention, sur lequel nous voulons disposer de davantage d'informations.

Un autre point d'actualité concerne la question des bitumes. Nous souhaiterions partager avec vous notre préoccupation actuelle. La question consistant à se demander s'il convient, ou non, de stocker dans Cigéo les bitumes, qui sont des déchets moyenne activité à vie longue, occupe la Commission depuis au moins cinq ans. En réponse à ces préoccupations, le CEA et l'Andra ont conduit des programmes de recherche complémentaires. Nous avons souligné, à la fois dans nos rapports et dans l'analyse du dossier d'options de sûreté, que, vis-à-vis du risque d'incendie externe, existaient des éléments tangibles, et substantiels, permettant de dire que les colis pourraient résister à un feu développé de façon externe. On pense typiquement à un incendie résultant des équipements présents au sein de l'installation de stockage. Dans son analyse du dossier d'options de sûreté de Cigéo, l'IRSN s'interroge, par ailleurs, sur une cause interne d'incendie, c'est-à-dire sur la possibilité, pour certains colis, de s'auto-enflammer, et de dégager une forte quantité de chaleur susceptible de conduire à un emballement de l'ensemble de l'alvéole contenant les déchets de bitume. Il s'agit d'une question importante, puisque les colis de bitume seraient nombreux au sein de Cigéo et, selon les chroniques de stockage, parmi les premiers à être stockés. Une interrogation subsiste donc à ce propos.

Suite à cet avis, les producteurs et l'Andra ont mis en place un groupe de travail sur la question de savoir s'il fallait descendre les bitumes au sein de Cigéo et, dans l'affirmative, dans quelles conditions, pour une maîtrise optimale de la sûreté, ou s'il fallait traiter ces bitumes, et en particulier les détruire à l'aide d'une torche à plasma, étant entendu que, s'il y avait des déchets induits, ces derniers seraient inertes, et pourraient être descendus au sein de Cigéo. Dans son rapport, l'IRSN a commencé à prendre position sur ce point, avec une préférence pour la destruction industrielle. S'ensuit, bien évidemment, une question liée à la faisabilité d'un tel processus, à l'échelle du stock de bitumes dont nous disposons.

À partir de ces éléments de paysage, la Commission considère qu'il y a là un débat scientifique et technique contradictoire, et que l'une des manières, sinon de répondre aux incertitudes et contradictions subsistant entre les différentes analyses, du moins de partager l'ensemble des connaissances disponibles à ce sujet, est de mettre en place une expertise externe, internationale, de façon à éclairer au mieux les décisions. Nous pensons qu'il est assez urgent de mettre en oeuvre cette expertise internationale, dans la mesure où elle pourrait travailler dès à présent sur le simple constat que nous faisons aujourd'hui, sans préjuger des travaux que les producteurs et l'Andra sont en train d'effectuer, ces travaux comportant eux-mêmes une revue externe, mais sur un plan d'action susceptible de découler de ces études. Face aux interrogations scientifiques et techniques qui subsistent, il convient non pas nécessairement de les lever, mais d'essayer de partager les connaissances, pour parvenir à un consensus, à une base permettant de prendre une décision, laquelle ne relève bien entendu pas uniquement du champ scientifique et technique.

Pour terminer, je souhaite aborder le point de la réversibilité. Il faut savoir que lorsque l'Andra a déposé son dossier d'options de sûreté, la loi de 2016 n'était pas encore votée. Ceci implique donc de procéder à une adaptation des documents présentés pour les mettre en conformité avec la loi sur la réversibilité. Le stockage géologique profond a vocation à être fermé, car il est prévu pour être le plus sûr dans ces conditions-là. Il y a donc forcément, à chaque instant, un souci, d'une part, de maximiser la sûreté, ce qui, pour nous, requiert un isolement progressif des déchets, d'autre part de veiller à la réversibilité imposée par la loi, qui suppose que l'on doit être en capacité de récupérer ces déchets, si l'on en prend un jour la décision. Ce compromis va devoir être développé pendant toute la durée d'exploitation du stockage. Les revues de réversibilité prévues par la loi sont, pour nous, l'occasion de prendre, ou de ne pas prendre, la décision d'isoler une partie du stockage, étant entendu que ceci doit s'accompagner systématiquement d'une interrogation allant dans le sens d'une sûreté optimale.

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