Intervention de Frank Deconinck

Réunion du jeudi 23 novembre 2017 à 10h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Frank Deconinck, membre de la CNE2 :

Il existe, pour transmuter des actinides mineurs, deux approches : on peut les placer soit dans un réacteur à neutrons rapides, soit dans un ADS (Accelerator Driven System), c'est-à-dire un système piloté par accélérateur. La différence essentielle entre les deux approches est la suivante : dans un réacteur, il y a une masse critique d'uranium, qui induit une réaction en chaîne, qu'il faut freiner en permanence pour ne pas qu'elle s'emballe, alors que dans un ADS il n'y a pas de masse critique suffisante, mais une sous-criticité, si bien qu'il ne peut se produire de réaction en chaîne, sauf si l'on apporte des neutrons par une source extérieure. Celle-ci serait fournie par un accélérateur linéaire, accélérant des protons qui, lorsqu'ils entrent en collision avec un métal lourd, produisent des neutrons, susceptibles d'induire des réactions nucléaires. Dès que l'on coupe l'accélérateur, la réaction s'arrête. Actuellement, aucun ADS ne fonctionne au niveau mondial. Le projet le plus avancé, MYRRHA, est européen, et développé en Belgique. Il en est actuellement à une phase de design, d'ingénierie. Il n'est pas encore question de demande d'autorisation de création. L'idée serait de tout d'abord construire l'accélérateur linéaire, avant de bâtir le réacteur. Les partenaires français de ce projet sont essentiellement le CNRS, qui a produit des prototypes d'éléments de l'accélérateur, et, dans une moindre mesure, le CEA, qui a prêté, pour une petite expérience pilote dénommée « GUINEVERE », le combustible de MASURCA.

La société se pose également des questions concernant le démantèlement d'anciennes installations nucléaires. Est-ce techniquement possible ? Le coût ne va-t-il pas dépasser toutes les prévisions ? La durée est-elle raisonnable ? En Europe, plusieurs démantèlements d'installations nucléaires types ont été effectués, pour des réacteurs nucléaires et des démonstrations d'usines de retraitement. Ainsi, Eurochemic, en Belgique, première usine de retraitement de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a, entre autres, servi de prototype pour La Hague. Belgonucléaire, usine de fabrication de MOX, est, en quelque sorte, le prototype de Melox. Ces démantèlements sont soit complètement terminés, soit achevés à 95 %. Techniquement, cela n'a pas posé de problème. Les techniques nécessaires ont été mises en oeuvre. En termes de prévision de coûts, la méthodologie a été développée, et les estimations sont exactes dans une fourchette de 30 %, ce qui correspond à toute prévision de coûts d'un démantèlement de grandes installations industrielles. La durée se situe également dans une fourchette d'incertitude de quelques dizaines de pourcents. La méthodologie existe donc au niveau technologique, ainsi qu'en termes de prévisions de coûts et de durée de démantèlement, ce qui constitue un élément important au niveau sociétal.

Un troisième sujet concerne la libération des déchets de très faible radioactivité, voire de radioactivité artificielle, ou même inexistante. Il faut savoir que, dans de nombreux pays, la politique consiste à considérer, si la radioactivité résiduelle descend en-dessous d'un niveau correspondant à quelques pourcents ou même juste à 1 % de l'activité naturelle, que le produit peut être géré de façon non radioactive, donc sortir du cycle radioactif, ce qui permet par exemple de le recycler. Ce n'est pas le cas en France pour les produits issus d'installations nucléaires. C'est en revanche l'approche utilisée pour les produits sortants d'industries non nucléaires, où la radioactivité présente est pourtant parfois plus élevée. À titre d'exemple, la première usine d'enrichissement par diffusion gazeuse, Georges-Besse I, contient dans ses installations quelques milliers de tonnes de métal, quasiment pas radioactives, qui dans d'autres pays seraient recyclées, alors que ce n'est pas le cas en France. Cette différence tient à deux raisons essentielles. Certains pays, comme la Belgique, qui ont un petit programme nucléaire, auraient des frais de stockage géologique ou en surface beaucoup plus importants qu'un pays comme la France. Il est donc avantageux, pour des raisons économiques, de recycler ces déchets, plutôt que de les stocker. La deuxième raison poussant à libérer, donc à recycler, des déchets très très faiblement radioactifs est d'ordre éthique. Dans certains pays, on considère qu'il n'est pas éthique de jeter des matières premières valorisables. La technologie nécessaire pour récupérer ces matériaux existe. En général, en Europe, les métaux sont envoyés au recyclage en Suède, dans l'usine de Studsvik. Les matériaux obtenus sont ensuite réutilisés, entre autres dans l'industrie automobile. L'expérience des pays qui ont un seuil de libération montre que, moyennant l'existence d'une réglementation, de procédures et de contrôles indépendants extrêmement stricts, la protection des populations peut être assurée. La Commission renouvelle donc sa recommandation d'une réflexion approfondie de la France sur cette thématique.

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