Intervention de Jacques Maire

Séance en hémicycle du vendredi 23 juillet 2021 à 15h00
Approbation de la mesure 1 (2005) – annexe vi au protocole au traité sur l'antarctique — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Maire, rapporteur de la commission des affaires étrangères :

C'est un Normand qui parle !

À plus court terme, le consensus actuel formulé par le GIEC – Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat – indique que la hausse du niveau de la mer ne devrait pas dépasser 80 centimètres environ d'ici 2100. Mais il y a une énorme inconnue : l'instabilité de la calotte glaciaire. Toujours selon le consensus du GIEC, celle-ci pourrait conduire à une hausse du niveau des mers pouvant aller jusqu'à 5,4 mètres en 2100, selon les hypothèses les plus hautes. Ces 5,4 mètres de plus conduiraient à submerger des centaines de millions d'humains.

À quoi est due cette difficulté de calcul ? Les travaux actuels montrent que deux phénomènes pourraient accélérer la fonte des glaces : la libération des glaces de la banquise risque d'abord de faire sauter le « bouchon » de l'Antarctique, ce qui conduirait les glaciers à fondre dans la mer ; ensuite, l'augmentation de la température de la mer pourrait décoller la calotte glaciaire de sa base rocheuse. Si le bouchon saute, comme on le voit actuellement en mer de Weddell et en mer de Ross, une couche d'eau plus chaude s'introduira dans la calotte glaciaire et la fera fondre. C'est un phénomène cumulatif. En outre, les kilomètres de glace qui recouvrent le continent font peser sur lui un poids tel que la surface du sol y est enfoncée de plusieurs centaines de mètres. Si la calotte avance, le sol remontera et à terme, un effet cumulatif conduira à accélérer le déversement. Le risque, je l'ai dit, c'est que le niveau des mers monte de 5 mètres.

Parmi ces nombreuses incertitudes, mes chers collègues, je vois une certitude essentielle : il faut augmenter la recherche en Antarctique. Nous investissons des milliards d'euros dans la transition écologique, mais seulement des centaines de milliers voire quelques millions pour la recherche polaire. La France a un grand passé polaire, mais son présent est moins brillant. Nos stations, Dumont-d'Urville et Concordia, sont vieillissantes et hors normes. Elles ne gèrent pas leurs propres déchets et sont incapables d'assurer leur entretien dans des conditions normales. L'Institut polaire français Paul-Émile-Victor (IPEV) ne parvient plus à garantir la pérennité de notre dispositif.

Je remercie le président du groupe d'études « Arctique, Antarctique, TAAF et grands fonds », Jimmy Pahun, ainsi que notre collègue Jean-Charles Larsonneur et tous les collègues députés et sénateurs qui sont mobilisés pour un plan d'urgence sur notre recherche polaire. C'est un enjeu vital pour l'humanité.

J'en viens au protocole de Madrid, adopté en 1991 en même temps que cinq de ses six annexes. Il en reste une sixième, celle qui pose le plus de difficultés ; c'est celle qui vise à prévenir les dommages et, le cas échéant, à garantir une responsabilité.

Vous l'avez dit tout à l'heure, cher ministre délégué, l'annexe VI répond à l'accroissement du tourisme, phénomène qui a été bien relevé par le rapport très intéressant de nos collègues Éric Girardin et Meyer Habib. En effet, entre 1995 et 2020, le nombre de touristes visitant l'Antarctique est passé de 9 000 à 74 000, dont 20 000 débarquent sur le continent. Certes, cela signifie concrètement que sur un continent de la taille des États-Unis, on compte dix fois moins de visiteurs qu'à Disneyland lors d'un gros week-end. Mais de fait, très peu d'endroits sont accostables et ils se trouvent essentiellement autour de la péninsule Antarctique. C'est comme si l'on disposait d'une dizaine de mouillages seulement sur l'ensemble de la côte bretonne – les lieux permettant de s'arrêter ne doivent pas se trouver devant un front glaciaire, et ils doivent en outre être protégés des vagues et d'éventuels icebergs à la dérive. De plus, si le mouillage est accueillant pour les humains, il l'est évidemment pour les animaux. Ainsi, le tourisme se concentre sur quelques très rares sites ; même si on n'y compte qu'une cinquantaine de bateaux de croisière par an, il y a un réel risque de surfréquentation si rien n'est organisé.

L'annexe VI impose donc aux opérateurs de prendre des mesures proportionnées, qui sont vérifiées par les États – en France, les autorités nationales compétentes sont les TAAF. Son efficacité est réelle en matière de prévention mais elle est plus incertaine en cas de pollution. Par exemple, si l'équipage d'un bateau peut tout à fait gérer une petite fuite de carburant, une grosse fuite due à l'échouage d'un petit cargo venu alimenter en pétrole des stations scientifiques constituerait un vrai problème – la Terre Adélie se trouve à 5 000 kilomètres du support logistique le plus proche.

Dans cette optique, j'appelle de mes vœux une plus forte coopération entre la France et l'Australie : l'idée d'un brise-glace commun, permettant une mutualisation des moyens, a été avancée. Ce n'est qu'ensemble que nous parviendrons à relever les défis spécifiques à un tel environnement.

Ensuite, en cas de dommage, l'annexe VI impose aux opérateurs d'agir, faute de quoi – c'est le seul cas où leur responsabilité financière est engagée – ils devront prendre en charge les frais engagés par les États mobilisés à leur place. Mais elle ne sera pas applicable avant plusieurs années, comme l'a dit le ministre.

Nous avons cependant des raisons d'espérer puisque sa mise en œuvre a déjà été largement anticipée par l'industrie touristique, notamment l'Association internationale des voyagistes antarctiques (ou International Association of Antarctica Tour Operators – IAATO). Cette association est un exemple de régulation privée assez efficace, qui a accéléré durant la crise du covid-19 l'application des décisions qu'elle avait prises : la taille des bateaux est limitée à 200 passagers ; leur présence dans les sites sensibles est limitée ; les vitesses sont limitées à 10 nœuds dans les eaux côtières pour préserver la faune, notamment les cétacés ; les débarquements sont limités à 100 personnes et strictement encadrées dans des zones balisées. L'an dernier l'IAATO a aussi mis en place un dispositif de localisation de contrôle en temps réel des bateaux, ce qui permet une surveillance des pratiques mais aussi une localisation immédiate en cas d'accident.

Cela évite-t-il les dommages à l'environnement ? Pour l'instant, oui. On ne constate pas d'impact des visites sur le stress des pingouins, mesuré par leur température. On a cependant constaté, pendant la crise sanitaire, le déplacement des autoroutes qu'ils construisent entre leur zone de nidification et les rivages ou ils pêchent. Les pingouins savent donc dévier leurs itinéraires en fonction de la fréquence des touristes, ce qui n'est pas si mal.

Enfin, l'annexe VI impose aux opérateurs de souscrire une assurance ou de disposer d'une garantie financière. Ce sujet est traité de façon correcte par les amateurs privés, mais beaucoup moins par l'Institut polaire français Paul-Émile-Victor qui n'a pas prévu un niveau de couverture et d'assurance correspondant aux dommages potentiels. L'IPEV devra donc investir pour s'équiper d'une ceinture de bouées de récupération en cas de fuite d'hydrocarbures à bord – ce qui n'est pas trop cher – et de réservoirs de carburant à double paroi avec système d'alerte. Tout cela n'a pas été budgété.

Au-delà, le réchauffement rend l'Antarctique plus accessible en avion, ce qui fait courir un risque supplémentaire : les touristes désireux des séjours plus courts avec survols en hélicoptère qui perturbent beaucoup la faune. Signe précurseur : les scientifiques eux-mêmes n'ont plus envie de passer des mois en longues expéditions suivies de longs séjours. Sous l'effet de leur demande de courts séjours, on voit exploser le nombre de rotation d'avions sur le continent.

En définitive, l'annexe VI ne prévoit qu'une responsabilité environnementale limitée, liée aux mesures permettant de mettre fin à un dommage environnemental, mais elle ne crée pas de régime de responsabilité générale obligeant l'opérateur à l'origine d'un sinistre à compenser les dommages subis. Ce régime reste à négocier, ce qui avait été prévu en 2015 mais n'a pas été réalisé à cause de la pandémie. Il faut vraiment accélérer le mouvement.

En conclusion, je vous invite à voter sans réserve en faveur de ce projet de loi : c'est l'occasion pour notre pays de renforcer le Traité sur l'Antarctique et de protéger son environnement, quelques semaines après la dernière réunion à Paris.

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