Intervention de Philippe Huppé

Séance en hémicycle du mardi 25 mai 2021 à 21h00
Accès au foncier agricole — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Huppé :

La Grèce nous a laissé la tragédie, mais j'ai envie de vous montrer autre chose de ce pays : la mesure. Commençons par Solon. Ce grand penseur et grand homme politique a pris une première mesure importante pour l'agriculture par le biais des réformes agraires. Dans un poème, il dit : « Des nuages viennent neige et grêle, à l'éclair fait nécessairement suite le tonnerre. »

Vu du XXIe siècle, cela nous paraît simple, mais c'est le premier homme à mettre la causalité politique en branle en Grèce. C'est cela qui va, tout au long des millénaires, pousser les hommes politiques à mener des réformes agraires ; c'est cette causalité politique qui conduira les Gracques à en défendre une nouvelle – je ne vous souhaite pas, monsieur le rapporteur, la même fin qu'eux ! Reste qu'ils ont essayé aussi de mener une telle réforme.

Les latifundia sont ensuite venues, au cours du Haut-Empire, piétiner les réformes engagées pendant l'Antiquité. Or que nous disent-elles, toutes ces réformes ? Elles nous disent qu'il faut se méfier de l'homme, qui accapare la terre avec, non pas empathie, mais envie. Oui, il faut se méfier de l'homme.

La question à laquelle Solon avait essayé de répondre se pose de nouveau à notre époque. Comment rendre, dans une société comme la nôtre, le monde agricole à la fois prospère et apte à nourrir les citoyens ? Je parle bien des citoyens et non des hommes, car le monde agricole est fondamentalement attaché à la République – la République romaine dans un premier temps, la République française dans un second. C'est cela qui est important, et c'est à cela que la proposition de loi de Jean-Bernard Sempastous répond.

Elle y répond, non à la façon de la tragédie grecque, mais par la mesure – la mesure que Solon avait intégrée dans la réflexion politique. Monsieur le ministre, vous l'avez dit vous-même : il faudra répondre à ce problème avec mesure. Nous connaissons les défauts de notre agriculture, mais nous savons surtout quels dangers la guettent. Le premier est une démographie en chute libre : les jeunes ne viennent plus et de plus en plus d'agriculteurs partent à la retraite, si bien que des terres se libéreront progressivement. Le deuxième est la concurrence internationale. Ne l'oublions pas, notre agriculture n'est pas seulement faite pour répondre à une demande nationale. La France est aussi là pour nourrir le monde, et non ses seuls citoyens. Cela fait partie de son message universaliste.

Or cette démarche est bonne économiquement pour la nation, mais elle l'est aussi humainement : elle permet de nous inscrire dans le cadre d'une agriculture humaine, ou humaniste – comme l'a souligné notre camarade Potier. N'oublions pas ce pan de l'agriculture.

Dans le même temps, cela répond au défi de l'intégration des jeunes et à la nécessité de rendre le monde agricole plus attractif pour une jeunesse qui s'en détourne. En effet, très peu de jeunes entrent dans l'agriculture, quand de nombreuses terres se libèrent. Or que se passe-t-il lorsque les jeunes n'intègrent plus ce secteur et que des terres se libèrent ? Une agriculture capitaliste, une agriculture de firmes est en train d'apparaître.

Cette agriculture de firmes relancera, peu à peu, l'accaparement des terres et ruinera la nation, comme le disait Solon en son temps. Il est important de bien le comprendre. Cette proposition de loi ne repose pas sur une volonté d'accaparer les terres : elle vise à répondre avec mesure au besoin d'une agriculture française qui soit en même temps susceptible d'irriguer les territoires, de les faire vivre et de permettre aux jeunes de s'y installer, tout en favorisant un meilleur aménagement du territoire national.

Cette proposition de loi ne répond pas, bien sûr, à tous les enjeux auxquels le monde agricole est confronté, mais elle commence à y répondre. Elle commence à dire quelque chose aux citoyens. Elle donne un sens aux futurs aménagements territoriaux et aux futures réformes agricoles.

Le groupe Agir ensemble regarde donc favorablement cette proposition de loi. Il participera au débat, avant de voter consciencieusement. À titre personnel, je veux aussi remercier le rapporteur pour l'immense travail qu'il a fourni. Le côté humaniste de l'agriculture apparaît dans cette proposition de loi, et j'en suis ravi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.