Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mardi 25 mai 2021 à 21h00
Accès au foncier agricole — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Créées en 1960, les SAFER ont pour mission d'acquérir des terres ou des exploitations agricoles librement mises en vente par leurs propriétaires, ainsi que des terres incultes, destinées à être rétrocédées après aménagement éventuel, dans le but, notamment, d'améliorer les structures agraires, d'accroître la superficie de certaines exploitations agricoles et de faciliter la mise en culture du sol et l'installation d'agriculteurs. Dit plus simplement, les SAFER sont les arbitres de l'État en matière d'aménagement territorial et de politique agricole, pour soutenir au mieux les agriculteurs, en particulier ceux qui s'installent, en préemptant si besoin des terres pour éviter qu'elles se transforment en bâti commercial ou autre.

Aujourd'hui plus que jamais, les SAFER doivent pouvoir jouer pleinement leur rôle, parce que notre système agricole est en tension et qu'une nouvelle forme d'arbitrage est nécessaire. En effet, avec le phénomène d'artificialisation des sols, les terres agricoles se raréfient. Or, et cela s'est fait sentir pendant la crise sanitaire, l'agriculture fait partie intégrante de notre autonomie, donc de notre souveraineté nationale.

Si les SAFER interviennent sans trop de difficultés dès lors qu'il s'agit d'une transaction entre particuliers, il n'est pas rare que les règles régulant l'accès au foncier soient contournées quand une société, une personne morale, entre en jeu. Cet enjambement des SAFER remet parfois en question leur efficacité, qui reposait jusqu'à présent sur la connaissance d'un modèle agricole familial où les exploitations sont détenues par des personnes physiques. Désormais, les exploitations tendent à se structurer sous la forme de personnes morales, constat confirmé par l'INSEE en 2020. En près de quarante ans, alors que la taille des exploitations a augmenté, la part des agriculteurs exploitants dans l'emploi a fortement diminué, passant de 7,1 % en 1982 à 1,5 % en 2019. Ce phénomène est de taille, puisque les personnes morales exploitent désormais près des deux tiers de la surface agricole utile et que le marché sociétaire représente l'équivalent du cinquième de la valeur du marché foncier.

La Cour des comptes a d'ailleurs révélé qu'en 2014, 275 transactions ont eu lieu pour une valeur de 132 millions d'euros ; en l'espace de quatre ans seulement, ce nombre a littéralement explosé, avec 8 611 opérations pour une valeur de 1,1 milliard d'euros. Face à ce phénomène, les SAFER ont souvent des difficultés à exercer leur rôle de régulateur du marché foncier agricole, puisqu'elles ne peuvent intervenir que lorsque la société qui vend est achetée à 100 % par la société qui achète. C'est seulement à cette condition que les SAFER peuvent exercer leur droit de préemption.

Il faut donc changer les règles pour que les SAFER puissent poursuivre leurs missions. L'une d'elles consiste à soutenir l'exploitation des terres agricoles à taille humaine pour les agriculteurs, par les agriculteurs, plus particulièrement les plus jeunes. C'est l'un des objectifs de la proposition de loi, qui tend notamment – c'est sa mesure phare – à soumettre à autorisation administrative les cessions de titres sociaux portant sur des sociétés détenant ou exploitant des terres agricoles, uniquement si l'opération confère le contrôle de ladite société au cessionnaire et s'il répond aux critères fixés localement de concentration excessive ou d'accaparement des terres.

S'il se dégage un certain consensus pour renforcer les pouvoirs des SAFER, ne soyons pourtant pas dupes. Il arrive qu'elles interviennent de façon, disons, arbitraire dans certaines transactions. J'ai à l'esprit des exemples de transactions viticoles qui n'ont rien à voir avec la protection des jeunes agriculteurs, mais qui ont au contraire permis à de grands groupes d'acheter telle ou telle propriété. Nier la dérive politique de certaines SAFER, laquelle n'est pas toujours étrangère au préfet qui valide leurs décisions, serait d'ailleurs de l'aveuglement.

Cela étant, la plupart d'entre elles jouent leur rôle et le jouent bien. Dans l'Hérault, mon département, les vignerons reconnaissent le travail important de la SAFER, qui propose des terres à des prix avantageux : entre 5 000 et 8 000 euros l'hectare, alors qu'elles pourraient être vendues 13 000 euros l'hectare à nu. C'est là un beau coup de pouce quand on sait qu'il faut ajouter au prix d'achat 20 000 euros de plans et de palissage en moyenne.

Parce que ce texte est perçu par la majorité des agriculteurs comme un point d'équilibre, je le voterai bien évidemment. Mais j'appelle aussi de mes vœux une réforme plus large, afin de promouvoir un réel développement du territoire et la diversité de ses systèmes de production. C'est à cette condition que l'agriculture répondra à une double nécessité : fournir aux agriculteurs un juste revenu correspondant à leur labeur et contribuer à la souveraineté de la France en matière agricole. Il importe de promouvoir l'agriculture et la viticulture, qui façonnent les paysages et participent au patrimoine culturel. Chez nous, dans le Sud, la viticulture est plus qu'une simple production agricole : c'est une géographie, une histoire, une civilisation ; ce sont tout simplement nos racines.

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