Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du lundi 7 juin 2021 à 16h00
Bioéthique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Une histoire d'égalité. C'est l'histoire d'Ali, François et Salomé. Deux hommes à l'état civil, l'un cisgenre et l'autre transgenre, conçoivent un enfant, « la petite personne », qui sera porté par Ali. Ce dernier a été assigné femme à la naissance. Il est parvenu à échapper à la stérilisation forcée et a accouché de la petite Salomé. En février dernier, il se confiait au micro de France Culture : « c'était important pour moi – quand bien même ça ne marcherait pas – que mes proches continuent de respecter mon identité de genre ; qu'ils ne me disent pas finalement que la nature a repris ses droits. Et c'est encore quelque chose que j'appréhende aujourd'hui dans les discussions autour de la parentalité et de ma grossesse. […] Dans l'espace public, les gens se retournaient sur moi, surtout les femmes. Les femmes captaient que ce n'était pas une pancréatite, que je n'avais pas bu beaucoup de bière, que ce n'était pas ça. […] C'est l'une des expériences les plus folles de ma vie. J'adorais mon gros cul, mes grosses cuisses, mes grosses jambes. Tout était chouette, en fait. »

Céline, sage-femme qui accompagne le couple tout au long de ce parcours, explique : « C'est la personnalité de la personne présente qui est importante. C'est Ali, et il n'est pas question de savoir si c'est un homme ou une femme. C'est une personne enceinte. »

L'histoire est belle – en tout cas, je la trouve belle – et elle est surtout rare. Comme l'expliquait Ali, le 21 février dernier, lors du rassemblement « PMA pour toutes » organisé devant l'Assemblée nationale, cette histoire prend un écho particulier dans le contexte du projet de loi bioéthique que nous discutons aujourd'hui en nouvelle lecture, à l'heure où l'AMP est refusée aux personnes transgenres et où, depuis 2016, les enjeux juridiques liés à l'établissement de la filiation des enfants des personnes trans sont l'angle mort de la législation.

Le 21 février dernier, Ali expliquait : « Notre chance a été de rencontrer, avant la naissance de notre enfant, des magistrats dont le seul objectif a été de sécuriser en même temps la double filiation de notre fille et la paternité de chacun de nous deux. Ils y sont parvenus. Mais notre situation reste incertaine, car l'acte de naissance de notre enfant pourrait être considéré comme irrégulier. Dans le silence de la loi, c'est l'insécurité juridique de nos familles qui est entretenue. Combien de situations se présenteront comme bancales et potentiellement dramatiques ? »

Ainsi donc, avec le texte tel qu'il est aujourd'hui, certaines personnes transgenres auront accès à l'AMP et d'autres non, selon leur degré de transition, leur statut à l'état civil, selon qu'elles sont en couple ou non, et aussi, hélas, selon le niveau de préjugés de certains soignants. Pourquoi, sinon pour protéger des normes plutôt que des personnes ? Pourquoi, pour les personnes transgenres, l'égalité et l'universalité des droits restent, à ce stade de la loi, inachevées ?

Une histoire d'humanité. C'est l'histoire de M., première personne intersexe à porter plainte en 2015 pour violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, violences sexuelles et détérioration définitive des organes génitaux. M., comme environ 2 % de la population dans le monde, est venu au monde avec les attributs des deux sexes. Ses organes génitaux étaient parfaitement sains, mais les médecins ont convaincu ses parents de l'opérer. Par cet acte et de nombreuses autres opérations qui ont suivi – cinq interventions chirurgicales lourdes entre 1980 et 1993 –, ils ont infligé à M. une série interminable de problèmes de santé, des traitements à suivre toute sa vie et l'impossibilité d'avoir des enfants.

Dès les premiers jours de sa vie, on lui injecte quantité d'hormones. Ce sont d'incessantes piqûres et injections qui lui font prendre des kilos, lui donnent des boutons. On opère des organes de reproduction pour les faire ressembler à un sexe de fille. Quand elle a un an, une opération enlève une partie de ses organes sexuels. À 3 ans, tous les organes génitaux internes sont retirés et M. subit une clitoridoplastie, pour réduire la taille de ce qui peut être considéré comme un gland de clitoris développé ou un micropénis, sans aucune urgence ni nécessité médicale. Cette opération et les clitoridoplasties suivantes vont enlever à cet organe sexuel quasiment toute sensibilité et toute capacité à ressentir du plaisir. À 4 ans, c'est une vaginoplastie pour former un vagin. Ces chirurgies lui laisseront de multiples cicatrices et des difficultés pour les rapports sexuels. À l'adolescence, on lui administrera de l'Androcur, un traitement qui augmente les risques de tumeur au cerveau.

C'est l'histoire de M. et de centaines d'autres enfants qui témoignent des mêmes sévices, des mêmes souffrances, des mêmes violations des droits humains, violations qui ont valu à la France, en 2016, d'être condamnée à plusieurs reprises par différentes instances de l'ONU : le Comité des droits de l'enfant, le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard de femmes et le Comité contre la torture. Des associations internationales de défense des droits humains telles que Human Rights Watch et Amnesty International se sont ouvertement positionnées pour l'arrêt de ces pratiques. En France, la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT appelle à l'arrêt de ces mutilations. En mai 2018, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) et, en juillet de la même année, le Conseil d'État ont publié des avis dans le même sens.

Il a fallu des mois et des appels répétés des associations des personnes concernées pour que le sujet arrive enfin en débat en première lecture. Et pour finir, c'est une mesure d'accommodement plutôt que d'interdiction qui a été introduite dans le texte en deuxième lecture. Il est désormais impossible d'y revenir en nouvelle lecture, alors même que c'est le sujet le plus directement bioéthique du texte, bien plus d'ailleurs que l'ouverture de l'AMP aux femmes seules ou en couple, qui relève de l'égalité – une égalité, elle aussi, inachevée.

Pour toutes les personnes concernées, qui ont parfois vécu les débats comme une remise en cause de leur vie, de leur famille et de leur corps, voire de leur humanité, pour toutes celles qui ont manifesté, pétitionné, protesté, expliqué et raconté leur vie jusque dans les détails les plus intimes, avec pudeur et détermination, dans l'espoir de voir advenir l'égalité et l'universalité des droits, et cesser enfin ces discriminations, la bataille continue et nous continuerons à la mener à leurs côtés.

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