Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du vendredi 11 juin 2021 à 9h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2021 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Mais, non ! Le carry back est en fait un cadeau des impôts. Si une entreprise connaît une année de déficit, le fisc l'autorise à le reporter sur l'année précédente, donc à diminuer le bénéfice et à récupérer de l'argent. Ce n'est pas clair ? Donnons des exemples !

Total a accusé 7 milliards d'euros de pertes en 2020, sans doute parce que les gens ont moins roulé : cela n'a pas empêché le groupe de verser la même somme de 7 milliards en dividendes à ses actionnaires ce printemps, soit autant que l'année dernière et que l'avant-dernière. On a pitié d'eux, alors on prévoit le carry back pour soulager leur impôt sur les sociétés. Le carry back va aider d'autres malheureux : Engie, qui a pourtant versé 1 milliard d'euros de dividendes, la Société générale, qui en a distribué 467 millions, Unibail, Renault, etc.

Je ne veux pas vous lasser avec cette liste de miséreux. Cette aumône à nos pauvres coûtera 500 millions d'euros, soit environ 14 euros par foyer français. Ce matin, chaque foyer français verse 14 euros à Total, Engie et aux autres. Le carry back s'ajoute aux dizaines de milliards d'euros de crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, aux exonérations de charges, à la baisse des impôts productifs, etc. Tout cela est saupoudré à l'aveugle sans conditions ni contreparties ou garanties. C'est vraiment de la pure générosité !

Vous me direz qu'« aujourd'hui, pour 500 millions, tu n'as plus rien », à cause du coût de la vie renchéri notamment par l'euro. À quoi pourrait servir cette gouttelette ?

Jeudi dernier, les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) étaient en grève : j'en ai rencontré une vingtaine à Amiens, qui m'ont expliqué leurs malheurs et, surtout, la faiblesse de leur paye – de 700 à 800 euros au mieux, donc sous le salaire minimum de l'éducation nationale. Valérie m'a raconté qu'elle accompagnait son élève à la cantine le midi, mais qu'elle n'avait pas les moyens de manger, le coût de 3,70 euros du repas étant trop élevé pour elle. J'ai fait un calcul de coin de table : si on augmentait le salaire mensuel de 400 euros des 100 000 AESH pour qu'elles puissent toucher plus que le SMIC, cela coûterait 480 millions d'euros par an. Nous pourrions, vous pourriez, faire cela pour elles ce matin : transformer la vie de 100 000 femmes, les sortir de la pauvreté et reconnaître pleinement leur métier pour environ 500 millions d'euros. Mais, pour elles, cela traîne depuis des années et cela va continuer, alors que nous allons voter le carry back au pied levé.

La situation est la même pour les auxiliaires de vie sociale (AVS) : pendant la crise sanitaire, elles ont continué, sans masques ni gants, à visiter les personnes âgées : elles ne les ont jamais abandonnées, alors qu'elles perçoivent des salaires de misère, inférieurs au SMIC, et subissent des horaires de galère. À l'automne dernier, nous avons voté une enveloppe de 200 millions d'euros pour elles : c'était la ola dans l'hémicycle, on s'applaudissait et on s'embrassait. Alléluia ! Cela représentait 25 euros par auxiliaire, somme qui n'a d'ailleurs toujours pas été versée. Finalement, seuls 56 millions d'euros seront affectés au revenu des AVS ; pour les années suivantes, il faudra se débrouiller avec les départements, les associations et la sécurité sociale : pour elles, c'est tout de suite compliqué de trouver les ronds.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.