Intervention de Jean-Michel Besnier

Réunion du jeudi 7 décembre 2017 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Michel Besnier, professeur de philosophie à l'université Paris :

J'ai été, moi aussi, très satisfait d'entendre cet exposé éloquent. Il a commencé par faire état du sentiment que l'inquiétude prévalait sur l'enthousiasme. Je me suis demandé si cela avait surpris notre orateur. Il m'a, en tout cas, semblé intéressant d'en tirer comme conclusion qu'il est sans doute nécessaire d'agir sur l'imaginaire. La question a ainsi été posée de savoir comment enrichir l'imaginaire pour atténuer le contexte d'anxiété. Cette question peut sembler surprenante, et on ne se la serait peut-être pas posée naturellement dans les milieux scientifiques il y a encore cinq ans, mais elle me semble très importante. Il s'agit là d'un phénomène nouveau : on est désormais obligé de tenir compte des représentations mentales qu'engendre l'intelligence artificielle.

Je crois que l'on ne prendra jamais suffisamment la mesure de la confiscation que l'intelligence artificielle a faite du concept d'intelligence. Moi, en tant que philosophe, j'ai enseigné longtemps qu'être intelligent, pour un humain, consistait à résister aux automatismes, à commencer par les automatismes de l'instinct. Puis les sciences cognitives et l'intelligence artificielle nous ont imposé l'idée que l'intelligence était toujours associée à des algorithmes.

Il y a là un vrai travail à effectuer, dont j'ignore a priori comment le mener. Je sais, au moins, qu'une certaine conception positiviste de la science trouve ses limites et qu'il faut, d'une manière ou d'une autre, que la formation prenne en compte cette défaite d'une conception positiviste de la science qui séparait l'imaginaire du rationnel, la technique et la science de la littérature, pour le dire rapidement. Peut-être y a-t-il quelque chose à imaginer pour tâcher d'orchestrer la collaboration entre les scientifiques et les artistes notamment. Il faut mobiliser de la culture si l'on veut affronter les problèmes que pose à nos contemporains le développement de l'intelligence artificielle. Il est vrai que l'imaginaire sollicité est peuplé de clichés. Comment les scientifiques vont-ils faire pour influer sur la production d'imaginaire ? Il existe de très bons films : Interstellar a, par exemple, été conseillé par le physicien Dyson. Mais je crois qu'il reste sans doute, structurellement, à imaginer cette collaboration entre culture et science, autour de cette question d'un grand enjeu, avec le risque, déjà perceptible, que l'idéal de vérité associé à la science positiviste soit quelque peu mis à mal. On parle aujourd'hui de l'avènement d'une post-vérité. C'est, là aussi, un élément qu'il convient de prendre très au sérieux. Je suis certain que, dans cinq ans, on se posera la question de la post-vérité, de la perte de crédibilité de la vérité. Or qu'est-ce qu'une formation qui perdrait cet atout qu'est le concept de vérité ? Je vois là un vrai problème.

Par ailleurs, je crois que vous avez bien fait, Madame Gillot, de souligner la nécessité d'associer intelligence artificielle et handicap. Il faut se souvenir que le handicap est le terreau sur lequel se développe l'augmentation, à telle enseigne que certains handicapés se trouvent gratifiés d'une certaine évolution. Dimanche dernier se déroulaient des manifestations autour du handicap, intitulées « Handicapable », auxquelles j'ai participé dans le cadre d'un événement organisé à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM). J'ai eu, après l'intervention que j'y ai faite, des réactions d'autistes Asperger qui récusent complètement le concept de handicap et se désignent comme des « variants humains », qui anticiperaient en quelque sorte une attitude favorisée précisément par l'intelligence artificielle et par le numérique. Plus on va développer de l'intelligence artificielle, plus se trouveront valorisés des comportements relevant de l'autisme d'Asperger, ce qui peut sembler paradoxal et pose peut-être des problèmes. On voit, ce faisant, que les imaginaires, les représentations mentales sont en train de changer de manière considérable.

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