Intervention de Sébastien Nadot

Séance en hémicycle du mercredi 15 décembre 2021 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative à la présidence française du conseil de l'union européenne suivie d'un débat

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Nadot :

Nous voici au petit matin d'un nouveau jour européen. La pandémie est là, l'avenir est incertain, comme toujours.

La présidence de l'Union européenne n'est pas tout. La machine est lourde, l'inertie est forte et les contraires en son sein sont nombreux. Mais la présidence de l'Union n'est pas rien. C'est une chance, celle de peser un peu plus qu'à l'accoutumé, pendant six mois, pour dire quelle est cette Europe à la manière française que nous voulons : non pas celle d'un homme, d'un instant ou d'une tactique circonstancielle, mais celle qui fait écho à notre histoire, à nos valeurs et à notre compréhension des enjeux du futur et des défis qui s'accumulent.

À l'heure où nous balbutions nous-mêmes notre alphabet français des valeurs universelles, pourtant gravées sur le fronton de nos écoles, voilà qu'il nous faut dire et défendre le futur du continent européen.

Monsieur le Premier ministre, un récent rapport du Secours catholique sur l'état de la pauvreté en France en 2021 fait le constat qu'environ 7 millions de Français ont besoin de recourir à l'aide alimentaire et que plus de 9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté dans notre pays. Cette humiliation nous oblige.

Si j'aborde aujourd'hui ce sujet de la dignité humaine et de la pauvreté aujourd'hui, c'est que la pauvreté est une réalité tout aussi européenne que française.

Selon Eurostat, 72 millions de personnes au sein de l'Union européenne vivent sous le seuil de pauvreté. La Commission européenne évalue à 22,4 % la proportion des Européens menacés d'exclusion sociale ou de pauvreté ; en d'autres termes, près d'un citoyen européen sur quatre vit de façon précaire. La présidence française de l'Union européenne peut-elle ignorer leurs difficultés ?

Pour bien tenir la barre, la France doit donner l'exemple. Or des enfants migrants vivent aujourd'hui dans des centres de rétention administrative – des lieux de privation de liberté. Leur emprisonnement vaut à la France d'être régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Il est également contraire à la Convention internationale des droits de l'enfant. La Défenseure des droits a demandé au Gouvernement et au Parlement d'y mettre fin ; mais la France s'entête, contre le droit, contre les enfants, contre l'enfance.

Je ne reviendrai pas davantage sur notre obstination à croire que les questions migratoires se résoudront à force de murs et de contrôles. Tant que tous les outils existants, y compris les voies légales de migration, ne seront pas utilisés conjointement, nous n'avancerons pas, au risque que des individus soient traités de manière indigne – comme s'ils n'avaient pas de visage, de passé, d'existence humaine. L'article 2 du Traité sur l'Union européenne (TUE), qui constitue la charte de notre projet politique européen, stipule pourtant : « L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. »

Monsieur le Premier ministre, chers collègues, ferez-vous vivre le principe de fraternité, dont le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle dans sa décision du 6 juillet 2018, à la suite de l'action en justice de Cédric Herrou ? ou en sera-t-il comme en Italie, où le maire de Riace, Domenico Lucano, a été condamné à treize ans de prison pour avoir accueilli et aidé des migrants ? Défendrez-vous le droit d'asile inconditionnel reconnu par la convention de Genève de 1951, ou la récente proposition de la Commission européenne : permettre à la Pologne, la Lettonie et la Lituanie de suspendre six mois durant l'application de certaines dispositions liées à ce droit ?

Qui serons-nous à la tête de l'Union européenne ? Nous serons le député Victor Hugo, affirmant ici même, en 1849, que nous pouvions détruire la misère ; l'ancienne résistante Geneviève de Gaulle-Anthonioz, engagée contre la pauvreté, présidente de la branche française d'ATD Quart monde ; l'abbé Pierre, fondateur d'Emmaüs, et son appel à « l'insurrection de la bonté » ; Coluche, l'artiste facétieux au cœur aussi grand que ses Restos.

Nous sommes des Gaulois réfractaires – réfractaires à la misère. Pour le groupe Libertés et territoires, la présidence française de l'Union européenne n'aura de sens que si, suivant le mot de l'abbé Pierre, elle sert en premier le plus souffrant.

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