Intervention de Jean-Paul Lecoq

Séance en hémicycle du jeudi 6 janvier 2022 à 15h00
Sahara occidental

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq, épouse d'un prisonnier politique sahraoui, militante française pour les droits des Sahraouis :

Vous m'interrogez, monsieur le député, sur la situation des prisonniers politiques et sur les droits de l'homme au Sahara occidental occupé. Les prisonniers politiques sont en mauvaise santé et sans cesse persécutés depuis onze ans. Ayant subi des tortures, ils sont en proie à des traumatismes récurrents. Depuis deux ans, ils n'ont plus le droit de recevoir de visites de leur famille en raison du covid.

Mon mari est l'un des prisonniers de Gdeim Izik, ce symbole de la grande révolte pacifique de 2010 qui est devenue un traumatisme pour le Maroc : à l'époque, le Royaume avait cru montrer au monde entier que le peuple sahraoui n'existait pas, et que les Sahraouis étaient marocains, à l'instar des Marocains rifains, par exemple. Or le grand rassemblement de Gdeim Izik a prouvé que le peuple sahraoui existait bel et bien, et qu'il fallait compter avec lui. Mon mari et moi sommes les symboles de cette situation. Sachant que je parle au nom de ces prisonniers dans la plupart des instances, je suis moi aussi quelque peu persécutée. Notez qu'à la suite de la plainte que j'ai déposée devant le comité contre la torture de l'ONU, le Maroc a été condamné pour faits de torture sur mon mari. Tout cela est lourd à porter. Or je n'ai de réponse du Gouvernement français que le silence, preuve que la question est taboue non seulement au Maroc, mais aussi en France – le Sahara occidental est d'ailleurs l'une des trois questions taboues au Maroc, avec le Roi et la religion. Quand on se rend au Maroc pour un motif lié au Sahara occidental, on est en situation illégale. C'est ce que je subis, alors que si j'étais mariée à un Marocain emprisonné pour une autre raison – le trafic de drogue, par exemple – je ne subirais pas toutes ces difficultés. Je suis donc victime d'une situation politique qui renvoie à la question de la reconnaissance de la souveraineté des Sahraouis sur leur territoire du Sahara occidental.

Jusqu'en 2016, j'ai été reçue par l'ambassade de France, mais c'était toujours pour me faire dire tout le bien possible du Maroc. Cependant, à partir de la condamnation du Maroc, ça a été fini et jamais je n'ai été soutenue par le ministère des affaires étrangères et par le consulat, sauf lorsque j'ai fait cette grève de la faim de trente jours. Il est grave de devoir en passer par là pour pouvoir exister ! Comme vous le savez, en effet, pour le peuple sahraoui, le seul moyen d'exister est bien de résister et les prisonniers sont là pour montrer que la cause sahraouie existe toujours.

Quant aux territoires occupés, ils sont une vraie prison à ciel ouvert. Depuis 2013, aucun étranger qui vient pour rencontrer des Sahraouis ne peut y entrer et on peut être expulsé, comme cela a même été le cas pour cinq eurodéputés. Plus de 300 personnes ont ainsi été expulsées du Sahara occidental depuis 2013.

Depuis la reprise des combats, voilà un an, en novembre 2020, c'est encore pire : les défenseurs des droits humains et les militants n'ont absolument pas le droit de prendre la parole ni de manifester. Sultana, dont nous avons évoqué le cas et qui est une icône de la lutte des Sahraouis dans les territoires occupés, est martyrisée, empêchée de sortir de chez elle depuis plus d'un an et agressée tous les jours. Le territoire étant interdit à toute personne étrangère, il n'y a aucune image, aucun journaliste ne peut se rendre sur place et c'est donc comme si cela n'existait pas.

Hélas donc pour le gouvernement français, le peuple sahraoui existe et nous sommes là aujourd'hui pour en parler. Il serait bon que, tout simplement, la France permette à l'ONU d'élargir le mandat de la MINURSO à la surveillance des droits de l'homme. Comme vous le savez, en effet, il s'agit de la seule mission des Nations unies au monde dont le mandat ne comprenne pas ce volet. La MINURSO, qui est par exemple présente à Laâyoune ou à Boujdour, où se trouve Sultana Khaya, n'a aucun pouvoir pour décrire ce qui se passe dans les territoires occupés.

En revanche, les associations de soutien au peuple sahraoui sont nombreuses en France, en Europe et dans le monde. On en compte en effet plus de 250 dans le groupe de Genève qui, tous les jours, alerte le Haut-Commissariat des droits de l'homme. Tous les mécanismes spéciaux ont été sollicités et tous ont condamné le Maroc, depuis onze ans, pour faits de torture, d'empêchement des avocats de se rendre au Maroc, de détention arbitraire et d'empêchement du droit de visite, du droit de manifester et de parler. Cependant, cela ne débouche sur rien et le peuple sahraoui continue de souffrir pour la seule raison qu'il se bat depuis quarante-cinq ans maintenant pour pouvoir exister dans son territoire, comme tout peuple a le droit de le faire.

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