Intervention de François-Michel Lambert

Séance en hémicycle du mardi 1er février 2022 à 15h00
Stratégie de l'union européenne pour la décarbonation de l'électricité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois-Michel Lambert :

Atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050 : voilà l'horizon ambitieux que nous a fixé l'Union européenne avec le Pacte vert. Pour y parvenir, il faut remplacer des millions de véhicules thermiques, rénover en masse les bâtiments ou encore décarboner des processus industriels lourds ; il nous faut aussi, et surtout, revoir radicalement nos modes de production et de consommation de l'énergie. À ce sujet, la France, seul pays de l'Union européenne à avoir manqué ses objectifs en matière de déploiement d'énergies renouvelables, a encore de gros progrès à faire – c'est un euphémisme. Nous n'entendons d'ailleurs pas beaucoup la majorité s'expliquer sur cet échec.

Nous devons baisser notre consommation énergétique en attaquant nos problèmes structurels.

Ainsi, nous souffrons de la mobilité contrainte, celle qui oblige à utiliser la voiture : adoptons au contraire une stratégie de la ville du quart d'heure et du territoire de la demi-heure. Réinstallons à proximité des gens des services, du travail, des soins, des loisirs, des commerces.

La mobilité de nos marchandises est désordonnée. La France est seizième au classement mondial de la performance logistique – encore un chiffre que la majorité ne cite pas beaucoup – et seulement huitième à l'échelle européenne. Nous avons perdu la boussole logistique lorsque votre gouvernement a enterré, en septembre 2017, France Logistique 2025. Chaque tonne de marchandises déplacée pour rien, n'importe comment, c'est de l'énergie consommée et des gaz à effet de serre émis.

Nous devons maîtriser notre société de gaspillage : nous détruisons trois fois plus de matières premières que ce qu'autorisent les limites de notre planète. Il nous faut une véritable stratégie d'économie circulaire pour mieux utiliser les ressources ; nous devons créer plus de richesses par kilogramme de matière utilisée, apprendre à partager l'usage plutôt que la propriété d'un bien… Il y a de formidables leviers pour ne pas surconsommer, donc ne pas produire de gaz à effet de serre.

La stratégie de l'Union européenne pour l'intégration du système électrique, présentée en juillet 2020, entend relever ces défis en utilisant trois leviers : une meilleure utilisation des sources d'énergie existantes, une électrification massive et un recours à de nouvelles énergies propres. Évidemment, je souscris à ces grands objectifs. Mais les derniers arbitrages pour relever le défi de la décarbonation ne me semblent pas aller dans le bon sens.

J'en veux pour preuve la décision prise par la Commission européenne – et soutenue par le gouvernement français – d'inclure le nucléaire et le gaz dans la taxonomie verte. Certes, ce classement est subordonné à certaines clauses : les investissements dans les centrales nucléaires ne seront qualifiés d'écologiques qu'à condition que le projet dispose de fonds de démantèlement suffisants et d'un site pour éliminer les déchets radioactifs en toute sécurité. Mais l'on peut s'inquiéter du fait que l'État et EDF ne provisionnent pas des montants suffisants pour le démantèlement des centrales et la gestion des déchets radioactifs, ce que nous pouvons déjà constater.

D'ailleurs, cette nouvelle condition ne résout pas le problème de fond : avec le nucléaire, il n'y aura jamais de sécurité absolue, pas plus qu'il n'y aura de confiance totale. Qui peut prédire aujourd'hui les conséquences à long terme d'un accident sur notre santé et sur la biodiversité, mais aussi plus prosaïquement sur le cours en bourse d'EDF et sur sa capacité à maintenir notre réseau électrique en état de fonctionnement ? Même un accident à l'autre bout de la planète provoquerait l'effondrement du cours en bourse d'EDF et ébranlerait notre système électrique. Voilà la réalité !

Quant à la capacité de cette énergie à répondre à l'urgence climatique, elle est illusoire. Nous ne verrons pas émerger de nouvelles centrales avant une dizaine, voire une vingtaine, d'années. Or la décennie à venir sera déterminante pour notre capacité à faire face au changement climatique. Il nous faut vite répondre à la demande croissante en électricité, et cela passera nécessairement par le déploiement d'énergies véritablement renouvelables. C'est l'un des enjeux de la stratégie de la sobriété.

Le ministre de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Luxembourg le dit clairement : à courir derrière la chimère du nucléaire, nous ratons le train des énergies renouvelables.

Concernant l'efficacité énergétique, nous devrons tirer profit de la présidence française du Conseil de l'Union européenne pour mener à bien les négociations sur la révision de la directive sur le sujet. Dans ce cadre, une question me semble avoir une importance toute particulière : celle de l'énergie fatale. C'est à ce jour un impensé de nos politiques publiques. Sa récupération pourrait pourtant nous permettre de faire des économies d'énergie substantielles : on parle de l'équivalent de la consommation électrique de l'Île-de-France, pour la seule énergie fatale des grandes entreprises. Or il n'y a pas de stratégie en la matière.

La question de la transition énergétique est en outre indissociable de celle de la justice sociale. À ce titre, il me faut évoquer le fonds social pour le climat, annoncé et défendu par la Commission européenne. Les institutions communautaires proposent, grâce à ce mécanisme, d'atténuer les impacts sociaux attendus de la mise en place d'un nouveau marché du carbone pour les émissions liées aux secteurs du bâtiment et du transport routier.

À l'heure où les marchés européens de l'énergie font face à une crise historique, causée principalement par l'envolée des cours des énergies fossiles, il me semble urgent de réfléchir aux moyens d'accompagner les plus précaires dans la transition écologique. Le Gouvernement a fait part de ses réticences concernant le fonds social pour le climat. Allez-vous défendre une alternative au cours de six prochains mois ?

Pour conclure, un seul modus operandi semble actuellement se dégager au sein de l'Union européenne : celui selon lequel il est urgent d'attendre. Or à l'heure de l'urgence écologique et climatique, nous devrions au contraire nous en préoccuper bien davantage. La France est toutefois loin de favoriser le consensus – nous l'avons vu s'agissant du nucléaire et du gaz : notre pays participe plutôt des divisions et de l'immobilisme, en défendant mordicus un secteur nucléaire contesté partout ailleurs.

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