Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 9h30
Reconnaissance comme maladies professionnelles des pathologies psychiques résultant de l'épuisement professionnel — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Dans Le Jour d'avant, le dernier roman de Sorj Chalandon, un agriculteur tente de dissuader son fils Joseph d'entrer à la mine. Il lui promet la silicose, le charbon dans les poumons, ajoutant : « Et tu sais quoi, Jojo ? Personne ne la reconnaîtra, ta maladie. À la visite médicale, devine ce que les médecins conseillent aux mineurs qui toussent ? D'arrêter de fumer. Ils trafiquent leur bilan de santé. Et si le gars meurt, il faut prouver que c'était la silicose. Il faut le déterrer. Il faut l'autopsier. Il faut l'emmerder une dernière fois pour que ses poumons dégueulent la vérité. Tout ça pour que les Houillères acceptent de payer trois francs de pension à sa veuve. »

On en est là, aujourd'hui, pour les troubles psychiques ; on en est là pour les silicosés du cerveau.

Joseph, aujourd'hui, c'est David, un copain du foot, qui s'est retrouvé chez moi un jour, complètement défait, abattu, après dix-huit ans de carrière à la direction d'un magasin Lidl. « Jamais je n'aurais pensé tomber aussi bas, au point de devoir consulter des psychiatres, des psychologues » me dit-il, et il conclut : « ce que je n'ai toujours pas compris, c'est cette difficulté à faire reconnaître ma maladie comme maladie professionnelle, pour que ce soit Lidl qui paye. Tous les médecins, et même mon avocate, m'ont dit : « Ne vous lancez pas là-dedans, c'est « hors tableau ». Aujourd'hui, se faire reconnaître en maladie professionnelle, c'est quasiment mission impossible. »

C'est ce qu'ont confirmé tous les syndicalistes, tous les avocats en droit du travail que nous avons auditionnés, en évoquant un véritable « parcours du combattant », une « impasse », un « dédale ».

C'est ce que confirment également les statistiques. Le dernier rapport de la Caisse nationale d'assurance maladie, qui vient de paraître, est consacré aux affections psychiques liées au travail. On s'y félicite que le nombre de cas reconnus ait été multiplié par sept en cinq ans. Soit, mais pour parvenir à combien ? 596. Or, de combien de troubles mentaux liés au travail parlons-nous ? « Quelques centaines de milliers de cas par an ». Voilà l'ordre de grandeur.

Cette estimation est approuvée par tous les experts, de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, de la

Caisse d'assurance maladie, de l'Institut de veille sanitaire, l'INVS. On est dans ces eaux-là, quelques centaines de milliers de cas par an, à comparer aux 596 reconnus.

Ce sont « des chiffres dérisoires » : ce n'est pas moi qui le dis, mais le psychiatre Patrick Légeron, membre de l'Académie nationale de médecine et auteur d'un rapport sur la question. Il souligne un paradoxe extraordinaire : d'un côté, l'Organisation mondiale de la santé pointe le stress au travail comme premier risque pour les travailleurs ; de l'autre, les troubles psychiques sont absents de notre tableau des maladies professionnelles. Il considère ce décalage comme inacceptable et juge absolument nécessaire une reconnaissance des maladies mentales liées au travail.

Sur l'écran qui est derrière moi, il est écrit que nous voulons faire reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle. Je tiens à préciser que ce n'est pas ce que nous demandons.

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