Intervention de Laurence Dumont

Séance en hémicycle du jeudi 15 février 2018 à 9h30
Protocole no 16 à la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Dumont :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, face à l'augmentation extrême du nombre de requêtes devant la Cour européenne des droits de l'homme – de 6 000 en 1989 à 150 000 par an au début des années 2010, je le répète – , il devenait urgent de trouver un moyen de palier l'engorgement de la juridiction de Strasbourg.

C'est tout l'objet du protocole no 16, qui, en introduisant une procédure d'avis consultatif pour les juridictions suprêmes nationales devant la CEDH, instaure entre elles un dialogue nécessaire, à même de prévenir les conflits entre ces différents niveaux de juridiction. En effet, le système actuel, qui voit la CEDH, après épuisement des voies de recours internes, contredire les plus hautes juridictions nationales, ne pouvait que conduire à des tensions. A contrario, le protocole no 16, qui prévoit pour les juridictions nationales la possibilité, dans le cadre de la procédure d'avis, de présenter leur propre opinion sur les cas litigieux, pourra aussi, paradoxalement, avoir pour conséquence de contribuer à influer sur la CEDH.

Ce dialogue juridictionnel sera cependant tempéré par le fait que la Cour de Strasbourg pourra être saisie uniquement pour un litige pendant et sur des questions de principe. Elle disposera en outre du pouvoir discrétionnaire de refuser toute demande d'avis, à condition de motiver sa décision. La cohérence des avis consultatifs rendus par la CEDH avec sa jurisprudence ordinaire sera assurée par le fait que ceux-ci seront rendus par la grande chambre, son organe principal.

Je me félicite de l'inscription à l'ordre du jour de nos débats du projet de loi autorisant la ratification de ce protocole, qui permet de mettre en lumière le rôle fondamental de la Cour ainsi que l'augmentation du nombre de violations des droits de l'homme constatées dans l'Union européenne et son voisinage le plus proche, qui a amené la Cour à adapter ses procédures et à les assouplir mais aussi à renforcer son efficacité.

Ainsi, en 2017, la CEDH a statué sur près de 86 000 affaires, soit une augmentation de 123 % par rapport à 2016. Le nombre d'arrêts rendus s'est élevé à 1 068, dont près de 523 l'ont été par un comité de trois juges, soit une augmentation de 70 % du nombre d'affaires jugées en comité. Le nombre de requêtes pendantes s'élevait à 80 000 fin 2016 et à 56 000 fin 2017, soit une baisse de près de 30 %. Celle-ci est essentiellement due au rapatriement des requêtes au niveau national pour divers motifs, principalement le non-épuisement des voies de recours internes et la radiation massive de litiges dans le cadre de procédures pilotes.

Il arrive en effet que la CEDH soit confrontée à des contentieux de masse dus à des problèmes structurels ou systémiques. Pour y remédier, elle a mis au point la procédure de l'arrêt pilote, qui enjoint les États, une fois les principes posés, à légiférer ou à adopter les mesures nécessaires, sous l'autorité du comité des ministres du Conseil de l'Europe.

À cet égard, il n'est pas inintéressant de se pencher sur la géographie des contentieux devant la CEDH. En 2016, l'augmentation importante du nombre de requêtes était due à des recours contre la Turquie, après la tentative de coup d'État de juillet 2015 : près de 30 000 recours, soit une augmentation de 275 %. Actuellement, les plus gros pourvoyeurs de recours sont la Roumanie avec 9 900 requêtes, la Russie avec 7 700 requêtes, la Turquie avec 7 500 requêtes et l'Ukraine avec 7 100 requêtes.

Au-delà la jurisprudence de la CEDH, se pose une question qu'il ne nous est pas permis d'éluder : la situation des droits de l'homme au sein même de l'Union européenne. Alors que ces principes fondamentaux ont été au coeur de sa création, plusieurs régimes populistes, notamment ceux de la Pologne et de la Hongrie, ont érigé leur légitimité en les remettant en cause. Alors que la procédure de sanction pour non-respect des droits de l'homme prévue à l'article 7 du traité sur l'Union européenne semble inutilisable, il convient de s'interroger sur les moyens à employer pour mettre fin à ces situations où l'État de droit est menacé.

Ne nous y trompons pas : c'est la fermeté avec laquelle nous exigerons le respect de ces principes qui rendront à l'Union européenne sa popularité, pas des petits accommodements basés sur des non-dits prétendant sauver les apparences ! La renégociation des perspectives financières de l'Union européenne pour les années 2021-2026 pourrait être l'occasion de conditionner l'attribution des aides européennes au respect des principes de la démocratie et de l'État de droit. C'est un pis-aller mais il est nécessaire.

Dans le discours, déjà cité ce matin, qu'il a tenu devant la CEDH le 31 octobre dernier, le Président de la République affirmait que les droits de l'homme sont « un édifice que nous devons léguer intact aux générations suivantes ». Et il ajoutait : « Ce sera un combat. [… ] Ce combat sera aussi celui de la France car en ce domaine, pour reprendre la belle formule de Victor Hugo qui fut aussi une des devises de Clemenceau, il y aura toujours plus de terres promises que de terrains gagnés. » Dans ce domaine aussi, on verra si le Président de la République française a, ou pas, les moyens de ses ambitions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.