Intervention de Raphaël Gauvain

Séance en hémicycle du jeudi 15 février 2018 à 21h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRaphaël Gauvain :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous approchons du but. Nous, députés, sénateurs, magistrats, professeurs de droit, ministres, hauts fonctionnaires du ministère de la justice, praticiens, avocats et notaires, qui avons participé depuis plus de dix ans à ce long, très long processus de réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, nous approchons du but.

L'objectif de cette réforme est de moderniser notre code civil, de le simplifier, d'améliorer sa lisibilité, de renforcer son accessibilité, de garantir la sécurité juridique et l'efficacité de la norme.

Car, enfin, voici bien une contradiction française. Des générations d'étudiants en droit – moi le premier – ont appris, et apprennent encore aujourd'hui, que la France est un pays de droit écrit garantissant, par rapport aux pays de common law, l'accessibilité et la sécurité juridique. Cependant, notre principal texte, le code civil, celui qui pose les bases du droit commun, était vieux de plus de 200 ans. Après plus de deux siècles, le texte ne correspondait plus au droit en vigueur qui reposait sur des solutions pour l'essentiel prétoriennes.

Il ne s'agit pas ici d'effectuer une présentation détaillée des près de 300 nouveaux articles du code civil ; il ne s'agit pas non plus de rouvrir les nombreux et interminables débats qui agitent la doctrine depuis plus de dix ans ; il ne s'agit pas enfin de refaire la totalité du débat de première lecture.

Il me semble cependant que, après l'ultime lecture au Sénat, quelques observations s'imposent, sur deux points : le contrat d'adhésion et la révision judiciaire en cas d'imprévision. Vous le savez, ce sont les deux innovations majeures du nouveau code civil, les plus commentées et les plus controversées depuis dix ans.

En premier lieu, la définition du contrat d'adhésion est essentielle dans la mesure où la caractérisation du contrat d'adhésion conditionne, pour l'essentiel, le mécanisme protecteur des clauses abusives prévu par l'article 1171. Initialement, l'ordonnance consacrait la notion doctrinale en définissant le contrat d'adhésion comme « celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties ». En première lecture, le Sénat a souhaité clarifier la définition. À notre tour, nous avons proposé une nouvelle version. Au Sénat, à l'initiative du garde des sceaux, et avec l'avis favorable du rapporteur, une quatrième définition du contrat d'adhésion a été adoptée : celui « qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l'avance par l'une des parties ». Le contrat d'adhésion est ainsi défini à partir de deux critères : la non-négociabilité et la prédétermination unilatérale par une partie.

Cette définition me semble claire, concise et elle prend en compte les critiques que nous avions formulées à l'égard de la rédaction adoptée par le Sénat en première lecture. Le groupe REM y est donc favorable. Il appartiendra au juge, et en tout premier lieu à la Cour de cassation, d'accompagner et d'encadrer cette définition du contrat d'adhésion, notamment au regard du mécanisme des clauses abusives.

En second lieu, concernant la révision judiciaire pour imprévision, l'ordonnance de 2016 a pour l'essentiel codifié à droit constant des solutions jurisprudentielles, en faisant cependant place à quelques innovations.

Le texte comportait ainsi des avancées significatives pour lutter contre le déséquilibre contractuel. À cet égard, une notion importante avait été introduite : l'imprévision, qui permet au juge, en revenant sur une très ancienne jurisprudence de 1876 dite « Canal de Craponne », de se substituer à la volonté des parties pour rétablir l'équilibre contractuel. Dans certaines circonstances strictement encadrées, le juge civil ne se contente plus désormais de procéder à la simple interprétation du contrat et de la volonté des parties. En cas d'événement imprévu, il peut intervenir pour rétablir l'équilibre contractuel.

Ce débat a eu lieu lors de la première lecture. Une fois encore, le Sénat est revenu sur le texte de l'ordonnance. Le groupe REM souhaite conserver le texte initial. Sur le fond, je rappelle une fois encore que cette innovation a fait l'objet d'une très large consultation depuis plus de dix ans et d'un consensus de la doctrine comme des praticiens. Là encore, il appartiendra au juge, et en premier lieu à la Cour de cassation, d'accompagner et d'encadrer ces évolutions.

L'enjeu de cet ultime débat sur le nouveau code civil est, à mon sens, de préserver la sécurité juridique des relations contractuelles. Rappelons que le texte est en vigueur depuis un an. Les praticiens, avocats, notaires et entreprises ont commencé à s'en imprégner et à l'utiliser, sans savoir précisément quelle portée lui sera donnée par la Cour de cassation. En outre, en application du principe de non-rétroactivité, rappelé dans l'ordonnance, les contrats signés avant octobre 2016 sont soumis à l'ancien droit ; ceux signés depuis octobre 2016 sont quant à eux soumis au texte de l'ordonnance, tandis que les contrats signés demain, après l'adoption de cette loi, seront soumis au nouveau texte.

Mes chers collègues, la meilleure chose à faire est à l'évidence de garantir la stabilité de notre droit, donc la sécurité juridique. Afin de préserver cette dernière, il convient d'adopter le texte de l'ordonnance en le modifiant à la marge.

Par la suite, le juge, et notamment la Cour de cassation, remplira son office d'interprétation. Rappelons à cet égard – c'est un point important au regard de la problématique de l'application de la loi dans le temps – que la jurisprudence, et notamment la Cour de cassation, s'affranchit du principe de non-rétroactivité. Par essence, la jurisprudence est d'application immédiate ; elle est rétroactive. Le droit est une matière vivante. Les décisions des juges, les interprétations de la jurisprudence, permettront ainsi d'unifier les différents droits applicables, et d'achever cette réforme.

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