Intervention de Roger Genet

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 10h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Roger Genet, directeur général de l'ANSES :

Vous avez abordé, M. Ouzoulias, la question de la coordination du financement de la recherche en France, dans l'optique de dynamiser la communauté scientifique sur les domaines concernés. Il faut savoir que l'ANR est représentée dans notre comité d'orientation du programme national de recherche « environnement santé travail » (PNREST) mais que chacun est sur un mode différent. La question s'est posée à un moment dans notre pays de savoir s'il fallait une seule agence de financement de la recherche, publique et privée, fondamentale comme bottom up. Or cela est très compliqué pour une seule et même structure. Aux États-Unis par exemple, la National Science Fundation finance la recherche fondamentale, le NIH la recherche biomédicale, d'autres agences intervenant dans d'autres domaines. Le fonds NTP est la démonstration que l'on a besoin de recherches particulières. Une étude de génotoxicité sur le glyphosate coûte entre 3 et 5 millions d'euros : cela correspond quasiment à un financement annuel de l'ANR ou de l'ANSES et explique que ces travaux soient menés par de gros consortiums ou par les industriels. Il n'est pas envisageable de mobiliser simplement nos ressources nationales si l'on veut conduire de grandes études transversales comme celle-ci. Il est nécessaire de se placer à un niveau européen. C'est la raison pour laquelle nous portons l'initiative de création d'un fonds de 150 millions d'euros par an pour financer ce type d'étude. En effet, ni l'ANR, ni l'ANSES ne sont en capacité de financer seules de tels travaux.

Le PNREST existe depuis le premier plan « santé environnement » et « santé travail » : cofinancé par les ministères de l'environnement et du travail, il visait non seulement à financer de la recherche, mais aussi à accompagner des équipes vers cette thématique, à construire une communauté scientifique sur ces sujets, démarche qu'il n'est pas nécessaire d'accomplir sur tous les champs scientifiques en France. Nous sommes très complémentaires et essayons de nous articuler sur nos appels à projets.

Il existe au niveau du commissaire européen Andriukaitis, ainsi que vous le souligniez M. Médevielle, une réflexion sur le lancement d'une stratégie sur les perturbateurs endocriniens. Nous en sommes actuellement à la troisième en France, mais on perçoit assez nettement la façon dont on pourrait mieux s'articuler entre le niveau national et l'échelon européen, en déclinant un certain nombre de priorités, pour peu que l'Europe se propose, à partir de la DG Environnement, de la DG Santé et de la DG Recherche, de réfléchir de la même façon qu'à l'échelon national. Il pourrait ainsi y avoir des niveaux d'intervention différents, y compris dans les études conduites soit à l'échelle nationale, soit au niveau européen. Ces deux niveaux doivent s'articuler, être complémentaires et ne se substituent pas l'un à l'autre.

Les sujets traités sont extrêmement techniques et les questions de la communication et de la formation absolument essentielles. Nous menons une réflexion régulière sur la manière d'améliorer la communication. Nous avons organisé par exemple l'an dernier, avec l'ensemble des parties prenantes, un séminaire sur la communication de l'Agence (comment communique-t-on ? Avec quels outils ? Vers quelle cible ?). Il est parfois difficile, sur des thématiques aussi techniques que celles que nous traitons, d'expliquer au grand public la base même des évaluations. L'Agence dispose d'un service presse qui entretient des dizaines de contacts quotidiens avec les médias nationaux et régionaux ; mais le fait d'intervenir sur des sujets scientifiques et techniques engendre des difficultés à être entendu, relayé et à simplifier le propos pour le rendre accessible.

Vous interveniez, Mme Genetet, sur l'intégrité et les données. Je suis d'accord avec vous sur le fait que nous n'avons pas forcément besoin, dans nos comités d'experts, de spécialistes et qu'un regard externe et un peu naïf est nécessaire sur certains sujets. Nos comités s'appuient justement sur des experts de disciplines très différentes, qui sont chacun naïf dans la discipline des autres. Les sujets traités sont, par construction, complexes et nécessitent d'être abordés sous différents axes. Finalement, la composition pluridisciplinaire de nos comités, avec la place accordée notamment aux sciences humaines et sociales, permet de disposer de la vision de personnes qui ne sont pas expertes dans le sujet de l'autre. Le principe même de l'expertise est la collégialité et la contradiction au sein du comité. Toutes les positions exprimées, minoritaires, divergentes, sont rendues publiques, tracées dans nos avis et accessibles sur le site internet de l'ANSES. Tout est communiqué.

Concernant les données, il faut savoir qu'aucune conclusion ou recommandation ne s'appuie sur un article ou des informations uniques. Le principe appliqué est, comme en sciences, celui de la reproduction. Un article en lui-même ne vaut rien. Il ne vaut que s'il est reproduit, éventuellement par des méthodes différentes, par d'autres équipes dans le monde. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles nous rencontrons parfois des difficultés avec certains de nos collègues scientifiques ou avec les médias, qui reprennent un article scientifique nouveau en annonçant que la découverte présentée change totalement le paradigme de l'évaluation de risques, alors qu'elle n'apporte en réalité que des éléments complémentaires, mais rien de suffisamment nouveau par rapport à la littérature mondiale sur laquelle nous nous appuyons pour changer le niveau d'évaluation. Jamais un article unique, sauf peut-être à ce qu'il s'agisse d'une publication vraiment révolutionnaire, ne suffit pour modifier totalement un processus d'évaluation de risque. Nous prenons en compte les données nouvelles, mais celles-ci s'ajoutent au panel dont nous disposions déjà et le complètent.

L'année dernière par exemple, nous avons été saisis à la suite de la publication de l'INRA sur les effets du dioxyde de titane sur une ulcération gastro-intestinale chez les rats (publication dans laquelle il était d'ailleurs clairement indiqué, d'une part, que cela n'induisait pas de cancer sur les lots de rats témoins, mais que les stades d'ulcération constatés pouvaient y conduire, d'autre part, qu'il n'existait aucune argumentation permettant de dire que l'effet serait le même chez l'homme) : nous avons repris cet article dans les deux mois qui ont suivi, invité l'équipe de l'INRA à venir siéger, convié nos collègues de l'EFSA et de l'ECHA à se joindre à nous pour cette audition, et réévalué cette publication scientifique en nous questionnant sur ce qu'elle apportait de nouveau par rapport à notre évaluation sur le dioxyde de titane. La question était de savoir si les données apportées étaient suffisamment nouvelles pour que nous recommandions au gouvernement de demander à l'EFSA une réévaluation en urgence, sachant que la substance concernée est un additif alimentaire entrant par conséquent dans le champ de compétence de cette agence. Notre conclusion a été négative : cet article est intéressant, mais n'amène rien de nouveau justifiant un changement du calendrier et témoignant d'un risque accru par rapport à notre propre évaluation. Je rappelle que l'ANSES avait déjà effectué un signalement, notamment dans le cadre de la classification REACH et CLP, pour demander un classement de cette substance en « cancérogène suspecté ». Nous ne sommes d'ailleurs pas totalement suivis aujourd'hui sur cette demande de classification.

Le processus mis en oeuvre prend donc en compte la diversité des sources et garantit que chaque source est toujours examinée dans un contexte de mise en perspective par rapport à l'ensemble des données disponibles.

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