Intervention de Sabine Rubin

Séance en hémicycle du mercredi 28 mars 2018 à 21h30
Régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabine Rubin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, cette loi, qui se préoccupe d'assurer un meilleur contrôle des écoles privées hors contrat n'a d'intérêt, à mes yeux, que de mettre en évidence le silencieux mais bien réel désengagement de l'État dans ce qui construit les fondements communs d'une société : l'éducation ou plus précisément l'instruction commune.

Il n'est pas inutile de rappeler que la finalité de l'école de Jules Ferry était de former des patriotes républicains, soit de créer un attachement commun aux valeurs de la République. Presque cent cinquante ans plus tard, Emmanuel Macron lui-même réaffirme cette pensée. Hier, lors de son intervention aux assises de la maternelle, il l'a ainsi réactualisée en disant que : « Il en va de notre capacité comme République à préserver la cohésion sociale en faisant de l'école le lieu [d'une] égalité réelle, celle qui efface ce déterminisme social [… ]. »

Notre école à tous est donc bien celle de la République : ce creuset où se forme l'âme d'une nation, où se forge en commun un peuple de citoyens, où s'affirme peu à peu une communauté d'esprit et de sentiments. Nous en sommes tous d'accord. Pour revenir à la déclaration présidentielle, je dirais qu'elle est révélatrice des dysfonctionnements de notre système scolaire. D'une part, on alerte sur la nécessité de préserver une cohésion sociale, sous-entendant qu'elle s'émiette ; d'autre part, on reconnaît l'échec de l'école à effacer les déterminismes sociaux. Nous ne pouvons que souscrire à ce double constat.

Mais cette situation a bien une cause. On parle parfois du laxisme à l'école, mais le premier laxisme en matière d'éducation n'est-il pas l'abandon par l'État de ses missions essentielles ? Cette loi nous apprend, en effet, qu'il est plus facile d'ouvrir une école que d'installer une véranda. Nous verrons plus loin qu'elle ne modifie qu'à la marge les exigences requises. Quelles sont-elles ? Un acte de naissance, les diplômes et un extrait du casier judiciaire du porteur de projet ; et, si celui-ci est le futur directeur, son CV, c'est-à-dire les professions exercées les dix dernières années, avec une exigence de cinq ans d'expérience en matière d'éducation. À cela s'ajoute le plan des locaux, le plan de financement et le projet d'établissement, soit l'âge des élèves et les diplômes préparés.

Il est d'ailleurs important de rappeler que les écoles hors contrat ne sont pas obligées d'appliquer les programmes de l'enseignement, mais simplement d'assurer un socle commun, un minimum syndical plutôt imprécis : maîtriser la langue ; les principes élémentaires des maths ; la culture humaniste et scientifique ; la langue vivante.

Dans le rapport préalable à cette proposition de loi, on apprend que le contrôle de l'État ne touche que la moitié des établissements créés la première année et un quart après cinq ans d'exercice. On y lit aussi qu'un quart des contrôles effectués révèlent des manquements comme l'occultation ou l'interprétation de certains pans du savoir en histoire, en géographie, en sciences et en art, ou encore l'absence de preuve d'enseignement scolaire ou de développement de certaines compétences. Pour illustrer mon propos, je citerai le reportage « À l'extrême droite du père », que nul ne peut ignorer. À l'école Saint-Projet rattachée à l'église Saint-Éloi, on voit de chères têtes blondes apprendre que Charles de Gaulle était un déserteur et les SS, une troupe d'élite. Nous sommes ici bien loin de l'école de la bienveillance, aujourd'hui proclamée par M. Macron !

Mais ce travail nous rappelle aussi et surtout une terrible et dangereuse réalité : la sensible augmentation – 60 % en sept ans – des écoles privées hors contrat, avec une croissance exponentielle ces trois dernières années. Entre 2014 et 2017, leur nombre a en effet augmenté de 344, contre 163 entre 2010 et 2014. De plus en plus de familles désertent l'école publique, les unes ayant perdu confiance dans sa capacité à instruire et éduquer leurs enfants correctement, les autres recherchant des pédagogies alternatives, soucieuses du développement harmonieux de ces derniers, les autres encore souhaitant transmettre leur culture religieuse.

À ce stade, je voudrais à nouveau faire miens les propos d'Emmanuel Macron lors des fameuses assises de l'école maternelle : « Le destin de notre pays s'est toujours forgé, gravé dans son système éducatif, qui en est [… ] le miroir ». Je souscris à ces propos : notre système éducatif est véritablement à l'image de la société d'aujourd'hui, une société non pas diverse dans ses approches, mais fragmentée. Fragmentée sur des critères religieux : 45 % des 73 000 élèves en écoles hors contrat sont dans un établissement confessionnel. Fragmentée culturellement et socialement, les familles disposant d'un bagage culturel ou d'argent orientant leurs enfants dans des écoles pouvant coûter entre 5 000 et 10 000 euros par an. Et même fragmentée en fonction du genre, certaines écoles proposant des contenus pédagogiques ayant des fondements clairement sexistes.

Certes, ces écoles ne concernent que 0,5 % des effectifs d'élèves scolarisés, mais comment parler encore de cohésion et de mixité sociale dans le système éducatif quand, par ailleurs, la dernière réforme – celle du lycée public – enfonce plus encore le clou de l'autonomie des établissements, remet en cause le caractère national du bac et organise des parcours individualisés de connaissances, réduisant au minimum le socle commun ?

Du constat partagé à la solution concrète, il y a bien du chemin, et en politique, comme en amour, seules les preuves comptent. Je comprends d'autant mieux l'intérêt du Président pour le service national : il s'agit de créer une mixité et une cohésion nationale autour des valeurs de la République quand le système éducatif échoue à le faire.

Malgré la contradiction que je pointe entre les réformes en cours et les beaux discours présidentiels, je m'y réfère une dernière fois : « Il y a toujours quelque chose d'éminemment politique [… ] lorsqu'on parle [… ] de l'éducation ». En effet, mais de quelle politique parle-t-on ? C'est une politique libérale qui n'a de vision pour l'école que celle dictée par la Commission européenne et son obsession « austéritaire ». Cette vision libérale se traduit dans les faits par moins de service public, ou un service public délaissé y compris en matière d'éducation, et donc un soutien tacite aux écoles privés, au nom de la liberté d'enseignement, sans garantie de contrôle de l'État pour harmoniser ce patchwork d'établissements et d'enseignements. Et cette loi n'y fera pas grand-chose.

Au-delà de ces considérations politiques, trop souvent oubliées, voilà le contexte dans lequel s'inscrit cette proposition de loi. Malheureusement je n'invente rien : les rapports parlementaires, les documentaires, les articles de presse sont suffisamment éloquents sur les dérives de l'école hors contrat. La rapporteure au Sénat a d'ailleurs décrit la situation ainsi : « Face à des phénomènes de radicalisation religieuse, de sectarisme, d'amateurisme ou d'insuffisance pédagogique, l'inadéquation et la dangerosité des dispositions actuelles sont patentes ».

J'en viens maintenant au coeur du sujet. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, au vu de cette situation, je m'interroge sur ce qu'apporte votre texte pour résoudre de manière concrète la crise structurelle que traverse notre école, qui se manifeste dans toute son ampleur dans les écoles privées hors contrat. Cette crise, vous la regardez passer de loin mais il ne me semble pas que vous ayez pour ambition d'y répondre réellement. Véritable pis-aller, ce texte dont se contente la majorité nous fait penser, nous, à un pansement sur une fracture ouverte. On me répondra qu'il va dans le bon sens, que c'est un pied dans la porte, qu'il est le fruit d'un équilibre subtil entre liberté d'enseignement et contrôle de l'État.

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