Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du jeudi 12 avril 2018 à 9h30
Protection des données personnelles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Les modifications votées par le Sénat, entérinées, donc, par le groupe La République en marche de la deuxième chambre, rejoignaient, en tout cas, la ligne défendue au travers de nos amendements. Nous jugions celle-ci, et continuons à la juger, la mieux à même de protéger les libertés fondamentales, notamment au vu des moyens limités de la CNIL. Nous l'affirmions, et le sénateur Loïc Hervé, membre du groupe de l'Union centriste – et qu'on ne peut donc soupçonner de complaisance à notre égard – l'a indiqué : « Ce projet de loi n'est pas un texte technique, c'est un texte politique. » L'argument de l'urgence, de la nécessité de la transposition dans la précipitation, ne doit pas faire oublier cette dimension.

Nous l'avons dit et le redisons donc, la rédaction du texte a depuis le départ une logique politique que nous contestons : vouloir passer d'une logique d'autorisation préalable à une logique de contrôle, afin d'offrir aux entreprises du big data des possibilités de faire du business.

Oui, des protections complémentaires pouvaient et peuvent encore être décidées. La justesse de notre argumentation s'est ainsi trouvée validée par le Sénat, y compris, comme je l'ai dit, chers collègues, par son groupe La République en marche, qui a voté dans ce sens. Permettez-moi donc de souligner, pour la déplorer, cette incohérence de la majorité, qui a fait perdre du temps à la représentation parlementaire, avec l'échec de la CMP.

Nous regrettons encore plus que, lors de l'examen par la commission du projet de loi en nouvelle lecture, la plupart des ajouts du Sénat qui allaient dans ce sens positif aient été supprimés ou aient vu leur portée significativement amoindrie.

Alors que les soupçons de manipulations de masse fondées sur des collectes massives et non consenties de données défraient la chronique et soulèvent des questions démocratiques fondamentales, le texte qui nous est soumis en nouvelle lecture, est encore, de notre point de vue, terriblement insatisfaisant.

Il l'est parce que les moyens humains et financiers de la CNIL ne lui permettront pas d'assurer un réel contrôle systématique a posteriori – puisque tel est, chers collègues, votre choix – , là où un système d'autorisation oblige à l'examen.

Il l'est surtout car c'est aller à contretemps de la course à la collecte des données numériques que de réduire l'intensité du contrôle de la CNIL, alors que la numérisation de notre quotidien est de plus en plus importante, que les techniques de croisement des données se perfectionnent à une vitesse folle et que ces évolutions ont lieu – c'est peut-être en réalité la raison sous-jacente de ce changement de paradigme – alors que le marché de la collecte des données explose. Quelle grave insuffisance, en somme, face au risque d'un certain usage du numérique qui ébranle nos démocraties !

Cette réforme laisse donc le champ libre aux très grandes entreprises de l'internet pour faire du profit avec notre vie privée – ces très grandes entreprises dont certaines font déjà des profits d'un montant équivalant aux PIB de grands États. Pour elles, les sanctions prévues par le projet de loi, si par hasard la CNIL effectuait un contrôle, constituent des sommes risibles, susceptibles d'être anticipées et prévues dans leurs budgets annuels.

Ce choix de changer de paradigme est un choix de politique nationale, la directive européenne laissant aux États membres le champ libre dans ce domaine. Le gouvernement Philippe doit donc assumer la responsabilité de ses choix politiques et ne pas se défausser, une fois sur le Conseil constitutionnel, l'autre fois sur l'Union européenne et, par jour de neige, sur les deux.

Quant à nous, nous souhaitons prendre pleinement notre part de responsabilité dans ce débat important et garantir véritablement la protection des droits et libertés de nos concitoyens et concitoyennes. Voilà pourquoi nous avons choisi de vous proposer à nouveau une courte série d'amendements ; nous espérons qu'ils trouveront auprès de vous une meilleure écoute qu'en première lecture, et que la clarté et la consistance de notre argumentation, cette fois, emporteront pleinement votre adhésion.

Nous proposons ainsi : la garantie de publication des critères d'évaluation des membres de la CNIL, ainsi que des évaluations elles-mêmes, afin d'assurer une plus grande transparence de la procédure de sélection ; la publicité des délibérations en formation restreinte, notamment en ce qui concerne les sanctions ; un strict encadrement du pouvoir de sanction de la CNIL, afin d'en consolider le bien-fondé ; la possibilité de renchérir les amendes, en utilisant la marge de liberté laissée au législateur par la Commission européenne ; l'interdiction du profilage privé à des fins lucratives ; la possibilité d'un contrôle citoyen des algorithmes.

Notre groupe continue d'apprécier le potentiel extraordinaire de progrès sociaux, démocratiques, environnementaux et scientifiques attaché à une collecte de données à but non premièrement lucratif et correctement anonymisée. Nous appelons de nos voeux la réalisation d'une révolution numérique pour tous et toutes, au service de l'intérêt général. Il est impératif d'investir ce terrain législatif, car c'est là que s'inventent et s'inventeront les nouveaux outils de participation et de prise de décision collective. Croyez bien, chers collègues, que, dans ce débat comme dans tous les autres, nous continuerons à être activement présents.

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