Intervention de Marc Le Fur

Séance en hémicycle du mardi 22 mai 2018 à 21h30
Équilibre dans le secteur agricole et alimentaire — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Le Fur :

Ma première crainte, c'est donc que ce texte, élaboré pour partie par l'un de mes collègues du conseil régional, coordonnateur des travaux, ne déçoive énormément.

Ma crainte, c'est aussi que ce texte ne charrie beaucoup d'idées redoutables pour notre agriculture. Quand je vois que l'association L214 est écoutée dans cette enceinte, dans certaines commissions, quand je vois que L214 – très intelligemment, reconnaissons-le – publie sur YouTube, à la veille de nos débats, des vidéos qui condamnent le monde paysan en multipliant les amalgames, quand je vois que L214 est engagée avec Greenpeace dans une course aux subventions publiques et aux dons des particuliers – car il n'y a pas autre chose – , je m'inquiète.

J'espère, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que vous saurez résister aux pressions.

Ce texte avait notamment pour but de forcer la main à la grande distribution, aux centrales d'achat. Or, ces dernières semaines, ces derniers mois, nous assistons à une concentration inouïe dans la grande distribution – d'un côté Auchan et Casino, de l'autre Système U et Carrefour. Face à ces regroupements gigantesques, nos instances, nationales et européennes, chargées de suivre les questions de concurrence, ne disent strictement rien. J'eusse souhaité entendre un refus très clair de la puissance publique. Mais je n'entends rien.

Et puis on nous a rabâché la promesse de 5 milliards pour l'agriculture pendant la campagne, puis lors des États généraux. Que sont-ils devenus ? Je n'en entends plus parler. J'espère, monsieur le ministre, que vous allez maintenant nous expliquer comment cet argent, promis avant l'élection, arrivera dans nos circonscriptions et chez nos agriculteurs.

Quant à l'évolution européenne, elle est inquiétante, puisque la Commission européenne envisage très ouvertement une baisse du budget de la PAC. Vous avez, monsieur le ministre, estimé qu'une telle diminution serait inacceptable, et je vous en remercie.

Le Président de la République s'est exprimé solennellement sur l'Europe en plusieurs occasions. J'ai étudié les quatre grands discours qu'il a prononcés à Athènes, à Strasbourg, à La Sorbonne et récemment à Aix-la-Chapelle : la question agricole n'est évoquée dans aucun de ces quatre discours fondateurs sur l'Europe. Comment prétendre qu'il s'agit d'une préoccupation importante lorsque le chef d'État de la République française n'en fait pas mention ? Comment mobiliser nos interlocuteurs européens sur le sujet si nous ne le mettons pas nous-mêmes en avant ?

La PAC n'est pas une affaire franco-française. Elle ne concerne pas seulement les intérêts de nos agriculteurs. C'est la logique européenne qui est en cause. L'Europe doit-elle exister dans les domaines stratégiques majeurs que sont l'agriculture et l'agroalimentaire ou les abandonne-t-elle à ses concurrents nord-américains, sud-américains, russes ou ukrainiens ?

Le piège qui est tendu dans ce texte consiste à réserver l'agriculture à des marchés de niche – ces marchés existent, il faut les conquérir, mais ils sont limités. Nous devons être présents sur les grands marchés agricoles. Cet enjeu n'est pas seulement national ou européen, il est géopolitique. Oui ou non, serons-nous encore présents dans ces domaines comme nous l'avons été pendant des années ou choisirons-nous de nous concentrer sur des aspects très minoritaires des affaires agricoles ? Cette dernière option serait une erreur.

Vous nous aviez promis, monsieur le ministre, des dispositifs fiscaux et sociaux. Certes, des réunions auxquelles l'opposition participe – je parle sous le contrôle de ma collègue Véronique Louwagie – sont organisées sur la fiscalité. Mais j'eusse souhaité que les deux débats soient concomitants, car, en matière fiscale et sociale, jusqu'à présent, nous n'avons eu que des mauvaises nouvelles. Le syndicalisme agricole avait obtenu du précédent gouvernement – la gauche existe encore, même très minoritaire, dans cette Assemblée – , une baisse sensible des cotisations sociales. Or, cette baisse a disparu – cela s'est fait très secrètement durant l'été dernier. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous preniez, dans la discussion de ce texte, des engagements clairs et précis dont je peux comprendre qu'ils soient débattus lors de l'examen de la prochaine loi de finances.

Le texte est muet ou presque sur les conditions de travail des agriculteurs et des salariés de l'agroalimentaire, qui sont montrés du doigt. L'idée de filmer les ouvriers des abattoirs les indigne, car elle met en cause leur professionnalisme et introduit une contrainte dans leur vie quotidienne. Les salariés de l'agroalimentaire attendent autre chose. Pas un mot sur les troubles musculo-squelettiques qui sont l'une des maladies professionnelles les plus fréquentes dans les abattoirs. Je sais de quoi je parle, car ma circonscription compte deux abattoirs employant chacun 3 000 personnes – j'espère que vous y viendrez, monsieur le ministre ; vous avez réservé votre visite aux projets des zadistes en Loire-Atlantique, mais j'espère qu'il y aura tout de même une place pour les départements dans lesquels on travaille et on s'efforce de développer une agriculture respectueuse des lois et des règles.

Les débats que nous commençons aujourd'hui ne doivent pas être une source de déception. Je vous fais spontanément confiance a priori car, je le sais, ces questions vous sont chères et vous les maîtrisez. Mais j'espère que vous ne décevrez pas. Ce qui revient de nos territoires aujourd'hui, c'est la crainte de la déception, de l'échec, d'un nouveau loupé. Chaque législature a donné lieu à une loi sur l'agriculture, dont la portée était peut-être limitée mais qui allait plutôt dans le bon sens. Il est à craindre que, avec ce texte, nous n'allions dans le mauvais sens et que nous ne nous éloignions des préoccupations de nos agriculteurs. J'espère que nous éviterons ces écueils. Donnons-nous le temps de travailler et d'adopter les amendements que le groupe Les Républicains défendra avec la plus grande ardeur.

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