Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du mercredi 20 juin 2018 à 21h30
Règlement du budget et approbation des comptes de l'année 2017 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

De fait, l'élément qui a provoqué la crise des subprimes en 2008 est toujours présent : le différentiel toujours plus important entre l'économie réelle et la bulle spéculative, que nous voyons sans cesse enfler sans que les gouvernements agissent. Il se passe même le contraire, puisque, comme on le voit dans votre politique, on continue à donner aux actionnaires des milliards sans contrepartie. Cette bulle, vous la créez vous-même, vous l'entretenez, avec tous les risques que l'on connaît.

Les chiffres publiés par l'INSEE annoncent des choses très précises pour le premier trimestre, notamment, à nouveau, une hausse du chômage, de 0,3 %. Pourtant, fin 2017, j'entendais, venant du Gouvernement, un « cocorico ! » ravi, expliquant que c'était la politique menée qui commençait à porter ses fruits. L'on voit malheureusement que, dès lors qu'au plan international, le climat économique se détériore, il se détériore également en France, avec une hausse de 0,3 % du chômage, la baisse de la consommation populaire au premier trimestre 2018, et une perte de confiance des entreprises – celle-ci ne concernant pas notre seul pays mais s'étendant à toute la zone euro. Ces éléments montrent malheureusement que nous sommes très certainement à la veille d'un nouveau fléchissement de l'activité économique, pour ne pas dire d'une nouvelle crise. Je dis « malheureusement » parce que ce n'est pas ce que nous souhaitons à nos concitoyens. En tout cas, il faudrait se guérir de cette cécité qui empêche de voir ce qui est en train d'arriver.

Le climat économique, qui reflétait des niveaux d'activité très élevés en décembre, s'est replié, et je m'inquiète des conséquences qui pourraient en résulter si vous poursuivez votre politique de l'offre, qui repose sur le maintien du déficit budgétaire en dessous des 3 % du PIB ainsi que sur la fidélité au théorème de Schmidt. M. Le Maire avait exposé ce dernier ici, de manière très correcte et très franche, prétendant qu'alimenter la rente des actionnaires permettait de préparer les investissements de demain et les emplois d'après-demain. Je n'en suis pas d'accord, car ce théorème, qui avait été énoncé en 1974 par le Chancelier allemand Helmut Schmidt, n'a jamais été prouvé. J'ai bien peur, monsieur le ministre, qu'au nom de cette politique à double assise, vous ne prépariez des lendemains qui déchantent et que vous ne laissiez l'économie française fort démunie pour affronter un choc financier supplémentaire.

Sur ce point, les plans de relance monétaire et budgétaire que certains États ont mis en place ont permis que la récession commencée en 2007 ne se transforme pas en dépression, même si les dirigeants européens ont refusé de reconnaître ce rôle positif de l'intervention publique. Je pense notamment aux milliards d'euros qui ont été injectés dans la politique économique aux États-Unis ou au Japon. À l'inverse, on a constaté que les pays qui ont été le plus loin dans l'austérité budgétaire, tels la Grèce, le Portugal et l'Espagne, contraints en cela par la troïka, ont connu une véritable période de dépression économique dont, quoi qu'on en dise, ils ne sont toujours pas sortis. Il ne faut d'ailleurs pas analyser autrement la situation politique actuelle de l'Italie.

À mes collègues qui répètent sans cesse qu'il faut baisser la dépense publique, je rappelle que si l'économie française n'est pas entrée en récession entre 2009 et 2015, c'est grâce à la dépense publique. Celle-ci a garanti un niveau de consommation, donc des recettes, alors même que le secteur privé était, lui, atone. Dès lors que vous faites des coupes dans les budgets – de fausses coupes puisque les crédits augmentent, me dira-t-on, alors que nous savons, les uns et les autres, qu'ils n'augmentent pas à la hauteur des prévisions d'accroissement naturel de la population et des besoins – , c'est-à-dire que vous attaquez frontalement la dépense publique, notre économie va fortement en pâtir. Je crains fort que nous ne disposions plus, dans une telle hypothèse, du matelas qui avait permis à notre pays d'amortir un tant soit peu la crise de 2008.

Au lieu de renforcer l'État pour soutenir l'activité, vous l'affaiblissez par des coupes budgétaires, et désormais par des privatisations que vous avez annoncées. Le Gouvernement a déjà bradé une partie d'Engie en septembre 2017, qui plus est en vendant les actions en dessous du prix du marché. Vous poursuivez aujourd'hui cette privatisation à travers le projet de loi PACTE – Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises – , et allez engager celles de la Française des jeux et d'Aéroports de Paris.

S'agissant d'entreprises absolument stratégiques, en particulier Aéroports de Paris qui compte parmi les plus importantes en Europe, c'est une faute de considérer que le marché – pourquoi pas des opérateurs chinois, comme cela s'est passé pour l'aéroport de Toulouse-Blagnac – plutôt que l'État peut prendre en charge la sécurité aérienne et la sécurité tout court. Cela me laisse pantois.

Mais me laisse plus pantois encore la fort mauvaise affaire que vous organisez pour l'État. Chacun sait que le produit de la vente de ces entreprises, qui abondera un fonds pour l'innovation, sera moindre que ce que lui rapportent aujourd'hui les dividendes attachés aux actions qu'il détient dans leur capital. De ce point de vue, le calcul est arithmétiquement irréfutable. De ces privatisations, je suis sûr qu'on dira dans quelques années, sur tous les bancs de cette assemblée, comme nous nous le demandons aujourd'hui s'agissant des sociétés d'autoroutes : mais pourquoi ont-ils fait cela ? Nous devons d'ailleurs à cette privatisation des sociétés d'autoroutes d'avoir réussi à faire adopter le seul – ou presque – amendement issu de notre groupe, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, plus personne aujourd'hui n'osant défendre cette privatisation, vu ce qu'elle a coûté à l'État.

À côté de cela, vous conjuguez la hausse de la contribution sociale généralisée, la CSG, à la baisse de 5 euros de l'aide personnalisée au logement, l'APL, dont nous avons appris en catimini qu'elle ne serait même plus indexée, …

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