Intervention de Claude Malhuret

Séance en hémicycle du lundi 9 juillet 2018 à 15h00
Débat sur la déclaration du président de la république

Claude Malhuret :

Je souhaite donc que vous considériez les remarques qui suivent comme constructives et non pas comme corrosives. Certaines portent sur les périls, sur les désappointements – provisoires, je l'espère pour vous et pour les Français – , d'autres concernent les défis.

Les périls, vous les connaissez, bien entendu. Pour commencer par les périls extérieurs, le terrorisme, auparavant éloigné et exogène, est désormais domestique. Que faire des djihadistes de retour sur notre sol ? Comment combattre la radicalisation ? Combien de temps notre armée parviendra-t-elle à être engagée simultanément sur plusieurs fronts étrangers et sur le territoire national ?

Les migrations, ensuite. Si les flux ont diminué cette année, seuls les esprits égarés ne voient pas que la tendance à long terme est une croissance inexorable, et une triple crise, politique, de conscience et d'identité, s'est ouverte en Europe.

La remise en cause du lien transatlantique par la guerre commerciale d'un populiste imprévisible et sans mémoire, qui cultive le doute sur son attachement à l'OTAN et traite les Européens comme des adversaires, est un autre péril. Les Européens sont en train de s'apercevoir qu'ils sont seuls. Espérons que ce constat sera un aiguillon.

L'essor des émergents est une des meilleures nouvelles qu'ait connue l'humanité puisqu'il a permis la sortie de la misère de milliards d'hommes et de femmes, cela, grâce au libéralisme économique inventé par nos démocraties il y a quelques siècles, contrairement aux imprécations des vendeurs de lendemains qui chantent. Paradoxalement, c'est à l'heure où ce libéralisme économique triomphe que les dictatures et les démocraties illibérales et sécuritaires connaissent un regain d'attrait, et ce n'est pas une bonne nouvelle.

Le dérèglement climatique en est peut-être une pire encore avec ses conséquences en termes de santé, de coûts, de risques géopolitiques, et surtout en raison des effarantes difficultés de la nécessaire transition énergétique.

Ces périls, vous les connaissez, je l'ai dit. Il n'y a pas un déplacement à l'étranger au cours duquel vous ne les ayez évoqués, tenté d'en résoudre certains. Mais chaque jour, la tâche paraît plus immense, la France plus petite face au reste du monde, et l'Europe un peu plus le cadre pour y faire face. Malheureusement, si l'Europe est la solution, elle est en même temps le problème, et le dernier péril est que la crise qu'elle traverse actuellement, à la différence de toutes les précédentes qui ont été surmontées, risque d'emporter l'édifice.

Les déconvenues, aucun gouvernement n'y échappe ; les états de grâce, comme la jeunesse et les roses, ne durent jamais, vous avez dû vous en apercevoir. Lorsque vous avez été élu, on a comparé votre situation à celle du général de Gaulle en 1958, ayant asséché le paysage politique au profit de son Rassemblement. Mais il y a une grande différence. Malraux disait : « Le parti gaulliste c'est le métro à six heures du soir ». En marche n'est pas le métro à six heures du soir. Ceux qui vous ont élu et ceux qui vous soutiennent aujourd'hui sont les Français des métropoles plus que ceux des territoires oubliés, ceux qui se sentent à l'aise dans la mondialisation plus que les perdants, ceux pour qui l'ascenseur social continue de fonctionner plus que les travailleurs pauvres ou les chômeurs. Vous devez trouver cela injuste, monsieur le Président, car vous êtes persuadé de travailler pour tous et de changer les méthodes, non parce que vous êtes antisocial, mais parce que notre modèle social est en panne.

Vous trouvez sans doute également injuste le désamour d'une partie des élus locaux. La conférence nationale des territoires s'ouvre dans deux jours en l'absence de leurs trois grandes associations. Vous avez beaucoup de raisons de trouver cela étonnant, vous dont le gouvernement a, pour la première fois depuis des années, amorti la baisse des dotations. Mais c'est ainsi, même si une grande part de la responsabilité en revient à une technocratie qui a planté les ministres en charge de vendre cette politique – tous les élus locaux me comprendront. Permettez au maire que j'ai été pendant vingt-huit ans de vous citer à nouveau le cardinal de Retz : « L'esprit dans les grandes affaires n'est rien sans le coeur. » Les élus de nos territoires sont prêts à accepter beaucoup, ils l'ont fait dans le passé, mais ils aimeraient, pardonnez ces mots qui peuvent paraître ici incongrus, des preuves d'amour, ou tout au moins d'affection, dont ils ont l'impression qu'elles tardent à venir.

Enfin, il y a les défis. Tout est défi pour un Président de la République, comme tous les périls et toutes les déconvenues que j'ai évoqués. Mais le principal est le défi de l'action, et celui-ci, vous l'avez parfaitement identifié. Alors que les parlementaires commencent à se plaindre des lois qui se succèdent en rafale, qu'ils sont, paraît-il, au bord du burn out, vous avez confié à The Economist vous reprocher, au contraire, de n'avoir pas fait des choses suffisamment tôt. C'est une grande lucidité.

Si je peux me permettre deux critiques, la première est que beaucoup de vos réformes vont dans le bon sens, mais qu'elles ne font parfois qu'effleurer les sujets. Mais cette critique est modérée : j'aurais mauvaise grâce à reprocher sa timidité au premier gouvernement depuis des années, qui a eu le courage de s'attaquer à plusieurs vaches sacrées de l'immobilisme français. L'on peut lui pardonner d'avoir dû faire quelques génuflexions bien-pensantes devant des adversaires souvent menaçants.

Ma seconde critique n'est pas un reproche, plutôt une attente. Nous sommes nombreux à la partager et je sais qu'elle vous hante. Il s'agit de la baisse des dépenses publiques, dans un pays dopé à la dépense publique. C'est la condition de votre crédibilité sur la scène européenne et internationale, la condition de votre réussite dans notre pays. Vous devrez faire des choix cornéliens, prendre des risques majeurs, et toutes les oppositions se conjugueront contre vous. In fine, la clef de la réussite, le juge de paix de votre quinquennat sera votre capacité à rassembler une France qui oscille entre la tentation atavique de la division et l'aspiration historique à l'unité, une France capable de relever le défi de l'Europe pour relever ceux du monde !

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