Intervention de Jean-Christophe Niel

Réunion du jeudi 21 juin 2018 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) :

– C'est, pour l'IRSN, un honneur et un plaisir de vous présenter son rapport d'activité pour l'année 2017. Nous entretenons effectivement une relation historique avec votre Office parlementaire.

L'IRSN est l'expert public du risque radiologique et nucléaire, sujet à fort enjeu sociétal. Pour permettre aux acteurs concernés par la gestion de ce risque – parlementaires, autorités publiques, industriels, associations et citoyens – de connaître sa perception par les Français, nous publions depuis trente ans un baromètre annuel réalisé en novembre. En 2017, les sujets de préoccupation majeurs demeurent, comme en 2016, le terrorisme, le chômage, la pauvreté et l'exclusion. La confiance dans la science reste élevée, mais moins inconditionnelle que par le passé. La reconnaissance de l'expertise dépend des conditions dans lesquelles elle s'exerce, notamment en matière d'indépendance des experts et de transparence de leur travail. S'agissant plus strictement du nucléaire, les Français craignent la survenue d'un accident grave et d'aucuns estiment que les risques liés aux installations nucléaires vont croître dans les dix prochaines années. Enfin, depuis deux ans, le baromètre indique une moindre perception, par l'opinion, de la compétence technique et de la crédibilité des acteurs chargés de la gestion du risque nucléaire. Certains résultats doivent cependant être éclairés par le contexte de l'enquête, réalisée alors qu'était médiatisée la détection de Ruthénium 106 dans l'atmosphère. Afin de répondre au mieux aux préoccupations des Français en matière de santé environnementale, l'IRSN porte une double exigence : assurer un haut niveau de protection des personnes et de l'environnement et contribuer au dialogue avec les citoyens.

L'IRSN est un établissement public de 1 800 agents, dépendant de cinq tutelles correspondant à ses missions : environnement, défense, énergie, recherche et santé. Nous nous occupons à la fois de sûreté, de sécurité et de protection des personnes, en exerçant une double mission de recherche et d'expertise au profit des pouvoirs publics, notamment l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), l'Autorité de sûreté nucléaire défense (ASND), le haut fonctionnaire de défense du ministère de l'environnement mais également les ministères de la santé et du travail. Le Parlement peut également nous solliciter : comme cela a été rappelé, nous avons ainsi réalisé, à la demande de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, un rapport sur l'entreposage à sec des combustibles irradiés. À l'instar des agences sanitaires, l'IRSN est un organisme distinct des décideurs publics. Il rend, dans le cadre de sa mission d'expertise, environ 850 avis par an, dont 500 pour l'ASN. En matière de surveillance de l'environnement, nous disposons d'un réseau de 400 balises de détection de rayonnement gamma et de quarante stations de mesure des aérosols, qui ont permis la détection du Ruthénium 106 en septembre dernier. Nous sommes, en outre, en charge de la surveillance de 380 000 travailleurs à risque radioactif, via les données dosimétriques que nous recevons : nous gérons la base de ces données et l'utilisons pour des études épidémiologiques. Il nous revient également d'alerter les personnes concernées, les industriels et les médecins en cas de dépassement avéré des seuils.

À moyen terme, l'IRSN participera à la mise en service de l'EPR de Flamanville ainsi qu'à la poursuite des projets Cigéo et de piscine centralisée d'EDF. Il travaillera également sur la prolongation des réacteurs d'EDF au-delà de quarante ans et organisera les examens de sûreté nucléaire prévus par la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, qui consistent en un contrôle approfondi des installations hors réacteurs, réalisé tous les dix ans afin d'en améliorer la sûreté. À la suite de l'accident de Fukushima, six réacteurs à l'uranium naturel graphite gaz doivent encore être démantelés. Par ailleurs, un enjeu majeur réside dans la gestion des déchets, au travers notamment du plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR). En matière de radioprotection, il convient de mettre en oeuvre la nouvelle réglementation résultant de la transposition d'une directive européenne et de surveiller les nouvelles techniques médicales à rayonnements ionisants.

La mission de recherche bénéficie, pour sa part, de 40 % des crédits de l'organisme, malgré un recul continu depuis dix ans. L'expertise de l'IRSN lui permet d'attirer des chercheurs fort qualifiés, au nombre d'environ 300. Plusieurs partenariats nous lient à d'autres organismes de recherche, comme le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) sur la radiobiologie ou, moyennant le respect de règles déontologiques, certaines industries.

L'IRSN développe également une démarche volontariste d'ouverture à la société. Ainsi, sauf application du secret-défense, ses avis sont rendus publics comme l'exige la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Nous entretenons un dialogue technique avec l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (CLI) dans les territoires, comme avec l'ASN, notamment sur la prolongation de l'exploitation des réacteurs au-delà de quarante ans ou sur les anomalies relevées dans la composition de l'acier de la cuve de l'EPR de Flamanville. Notre démarche d'ouverture à la société concerne aussi la recherche : le comité d'orientation des recherches en sûreté nucléaire et radioprotection, qui réunit des élus locaux et nationaux, des associations, des industriels et des experts, a ainsi pour vocation d'orienter nos travaux par rapport aux attentes de la société. Il oeuvre aux côtés du conseil d'administration, qui décide des investissements, et du conseil scientifique, qui contrôle la qualité des recherches réalisées. Nous développons enfin une ouverture au milieu scolaire avec des ateliers de radioprotection réunissant tous les ans des jeunes de France et de l'étranger, notamment venus du Japon et de Biélorussie.

S'agissant de l'expertise en sûreté, une partie de nos travaux est programmée à long terme, l'autre porte sur des imprévus. L'IRSN termine le processus d'analyse de sûreté de l'EPR : aucun élément rédhibitoire à la mise en service n'a été identifié, même si quelques points relatifs au risque incendie des câbles électriques ou aux conditions de protection des piscines contre le risque de vidange demeurent à finaliser. L'EPR se trouve désormais en phase d'essai de démarrage, sous le contrôle de l'IRSN, afin de vérifier en pratique la conformité des installations. Il est apparu que des matériaux utilisés pour les tuyauteries n'étaient pas au standard et que des soudures étaient défectueuses. Pour ce qui concerne Cigéo, l'IRSN a rendu, l'an passé, un avis constatant la maturité du projet, malgré un certain nombre d'interrogations portant, en particulier, sur la maîtrise du risque incendie des déchets bitumés. En 2017, l'IRSN a fait face à plusieurs événements classés niveau 2 nécessitant de répondre aux demandes des autorités, comme celui impliquant la digue du Tricastin, dont il est apparu qu'elle ne disposait pas des caractéristiques physiques nécessaires pour résister à un séisme de type Fukushima. Il a alors été décidé d'arrêter ses réacteurs, le temps qu'EDF la renforce. Depuis dix ans, le nombre de dossiers reçus par l'IRSN a crû de 25 % à 30 %.

Nous avons récemment été audités par le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres), comme le sont tous les organismes de recherche : son analyse était cohérente avec notre auto-évaluation. La reconnaissance internationale des travaux de l'IRSN, ainsi que son ouverture à la société, ont été jugées favorablement. Il nous a été recommandé d'organiser nos partenariats autour de quelques priorités structurantes, de développer la recherche exploratoire et de réfléchir à la création d'une direction scientifique. Après Fukushima, la France a affecté des moyens supplémentaires à des programmes de recherche en sûreté nucléaire en radioprotection : le projet Denopi sur le dénoyage des piscines pour mieux comprendre la thermo-hydraulique, c'est-à-dire la manière dont l'eau se comporte en cas de perte de refroidissement dans une piscine d'entreposage ; le projet expérimental Perfroi sur la perte du refroidissement d'un réacteur nucléaire ; une étude sur les effets de la prise répétée de comprimés d'iode pour éviter que le rejet d'iode radioactif ne se fixe sur la thyroïde ; la simulation d'un accident nucléaire dans un réacteur par perte de la maîtrise de la réaction, comme ce fut le cas à Tchernobyl ; enfin, la mise en service d'une installation à Cadarache pour étudier l'effet des irradiations chroniques sur les écosystèmes.

Pour ce qui concerne la surveillance environnementale, l'IRSN a lancé un projet pédagogique et collaboratif de mesures en partenariat avec l'Institut français des formateurs risques majeurs et protection de l'environnement (IFFO-RME), l'université Pierre-et-Marie Curie et l'association Planète sciences, qui a pour vocation de sensibiliser les jeunes à la pratique de la science. L'idée est simple : grâce à un détecteur, vous pouvez mesurer la radioactivité et envoyer vos données géolocalisées à un site internet via l'application OpenRadiation. À la suite de la détection de Ruthénium 106 par 161 stations dans vingt-huit pays européens, dont faiblement en France, notre analyse, sur le fondement de rétro-calculs météorologiques, a fait état d'un rejet d'une ampleur de 300 terabecquerels en provenance du Sud de l'Oural. La Russie ne s'est toutefois pas rangée à cette conclusion, partagée par d'autres pays, ni n'a fourni davantage d'explications.

S'agissant des problématiques de santé, je souhaiterais aborder le sujet du radon, gaz radioactif issu du sous-sol, à la durée de vie de quelques jours. Il peut s'accumuler dans les maisons, qu'il convient à cet effet d'étanchéifier et de ventiler. Pour les logements les plus anciens, nous avons engagé, avec les collectivités territoriales, une action de sensibilisation et distribué 800 détecteurs. Les 700 mesures ainsi relevées indiquent qu'une large proportion des habitations se trouve au-dessus du seuil fixé à 300 becquerels par mètre cube. Des réunions ont été organisées avec les personnes concernées et la Fédération française du bâtiment (FFB) et il a été constaté que les travaux effectués avaient eu des conséquences bénéfiques sur la concentration de radon. Par ailleurs, nous avons réalisé une synthèse, prévue par notre contrat d'objectifs, de cinquante ans d'épidémiologie des travailleurs du nucléaire. Les niveaux de référence pour la radioprotection ont été construits relativement aux conséquences des essais nucléaires et des explosions atomiques de Hiroshima et Nagasaki, soit des explosions à forte dose pendant un temps très court et extrapolés pour des expositions de longue durée et de très faible niveau. La population d'étude est définie depuis les années 1940 et stable avec un effectif de 90 000 personnes suivies individuellement, en relation avec les industries et la médecine du travail. Notre synthèse a conforté la méthode de calcul utilisée. Nous allons poursuivre le suivi de cette cohorte et l'étendre aux sous-traitants du secteur nucléaire.

Enfin, l'IRSN joue un rôle de conseil des pouvoirs publics en matière de gestion de crise consistant à évaluer la situation, l'état de l'installation concernée et à proposer des moyens d'intervention. L'IRSN fut ainsi le premier organisme à annoncer une fusion de coeur à Fukushima. Nous allons d'ailleurs disposer prochainement d'un nouveau centre de crise, en sus des capacités d'intervention locale qui nous sont allouées : dix véhicules de mesure de la radioactivité, onze véhicules destinés à des prélèvements sur les personnes et 400 agents habilités à rejoindre une organisation de crise. Chaque mois, six exercices sont organisés. En 2017, nous avons répondu à plusieurs imprévus, dont un plan d'urgence incendie d'un réacteur de la centrale du Bugey, diverses intrusions sur sites et la détection de Ruthénium précédemment évoquée. Dès 2005, bien avant l'accident de Fukushima, la France a engagé une réflexion sur les actions à mener en cas d'accident nucléaire, une fois la phase d'urgence passée. En 2012, l'ASN a émis sa doctrine sur le post-accidentel, en cours de révision avec la contribution de l'IRSN. Nous avons, à cet égard, proposé de mieux articuler les différentes phases de l'accident et de réduire la complexité des zonages. Parallèlement, nous poursuivons notre ouverture à la société et améliorons la transparence de nos travaux. En 2017, nous avons ainsi été sollicités près de quarante fois par les CLI et avons engagé quinze interventions. Notre projet IRSN 2030 vise à renforcer l'efficacité et l'adaptabilité de l'IRSN aux nouveaux enjeux des pouvoirs publics et des citoyens. Il s'agit d'une démarche participative en interne, avec une dimension numérique importante.

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