Intervention de Pierre Demeulenaere

Réunion du jeudi 21 juin 2018 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Pierre Demeulenaere, membre de la CNE2 :

– Vous avez évoqué tout à l'heure, en introduction, l'alternative entre l'entreposage et le stockage. Ces deux options n'ont pas les mêmes propriétés, ni les mêmes vertus. L'entreposage est une solution qui fonctionne et permet d'isoler les déchets. Mais il ne peut s'agir que d'une option de court terme, car il lui manque deux propriétés favorables du stockage. La première consiste dans la sûreté passive, qui est fondamentale sur la durée de vie de ces déchets ou, du moins, sur leur période de dangerosité. Ces durées s'expriment en milliers d'années, alors que nous ne connaissons même pas l'avenir proche de nos sociétés. Nous ne pouvons donc pas garantir que ces dernières seront capables de protéger efficacement les populations d'une interaction néfaste avec les déchets, dont on connaît la durée d'activité extrêmement longue et leurs potentialités négatives. La sûreté passive offerte par leur stockage dans une couche d'argile stable et inerte garantit la sécurité des populations sur le long terme. Une seconde considération est d'ordre moral : le stockage en profondeur permet aux bénéficiaires actuels de l'industrie électronucléaire de prendre en charge ses inconvénients et ses coûts, au lieu de reporter le problème sur les générations futures. Il existe aussi un aspect temporel : la durée d'un projet de stockage géologique est relativement maîtrisée, tandis qu'il est délicat de s'engager sur un entreposage pour une durée mal définie qui constituerait, en fait, un pari incertain.

On peut aussi comparer les coûts. Sur cent à cent-vingt ans, le stockage géologique apparaît, certes, comme la plus chère des deux solutions. Mais pour un entreposage potentiellement indéfini, on a du mal à déterminer la durée pertinente. Le calcul des coûts d'un entreposage ainsi prolongé est, en fait, impossible à faire. On entre alors dans des différences d'échelles si grandes qu'il devient difficile de comparer les coûts du stockage, à peu près maîtrisés et connus, avec ceux, d'une ampleur inconnue, de l'entreposage.

Paradoxalement, les solutions efficaces à court terme tendent à être sans cesse reportées. La Commission a voulu attirer l'attention sur les risques associés au fait de repousser indéfiniment les échéances. La dynamique du projet Cigéo et les compétences qui lui sont nécessaires risquent de s'en trouver affaiblies, voire perdues. L'aspect humain est décisif car, si les décisions de court terme peuvent toujours être reportées, les équipes qui en ont la charge ne pourront pas être mobilisées indéfiniment.

Nous nous sommes aussi penchés sur le cas de deux pays bien avancés dans leurs projets de stockage géologique, la Finlande et la Suède, qui apparaissent à la pointe de la technologie dans ce domaine. De manière factuelle, il nous est apparu que le système institutionnel avait favorisé, dans ces pays, la prise de décision, alors qu'en France il tend, au contraire, à la reporter. En Finlande, comme en Suède, les producteurs ont directement la charge du stockage des déchets qu'ils produisent et il n'existe pas d'agence dédiée à ce problème. Le législateur a aussi prévu, dans ces deux pays, des dispositions de principe contraignantes : les producteurs ne peuvent pas obtenir d'autorisation pour de nouvelles installations tant qu'ils n'ont pas engagé le stockage pour les déchets produits par les anciennes.

On observe aussi une différence d'approche des autorités de sûreté entre la Suède ou la Finlande et la France. Dans ces deux pays, les autorités de sûreté n'ont pas exigé un programme définitif pour autoriser l'engagement du processus et font davantage confiance aux retours d'expérience issus du processus de développement lui-même pour parvenir à des résultats fiables. En France, l'opérateur public est dépendant de l'État et les producteurs de déchets n'ont pas la charge du stockage. Nous savons aussi que c'est l'État qui devra prendre la décision. Les acteurs locaux n'ont pas de poids considérable dans la prise de décision, qu'ils soient favorables ou défavorables au stockage. À l'inverse, en Suède et en Finlande, les communes ont participé activement à la localisation du site choisi, à travers un processus démocratique développé, et ont accompagné la prise de décision, qui apparaît finalement très consensuelle localement.

Pour en revenir à la question de l'alternative entre entreposage et stockage, la Commission souhaite vraiment appeler l'attention des pouvoirs publics sur la nécessité de prendre une décision, en dépit de la complexité de notre système institutionnel. Les études de l'ANDRA garantissent la faisabilité de Cigéo, alors qu'il y aurait de grands risques à différer indéfiniment la décision de création de cette solution de long terme, pour se contenter de solutions de court terme. Comme il a été rappelé au début de notre exposé, le volume des déchets déjà produits est de 48 000 mètres cubes et pourrait encore augmenter, plus ou moins selon les différents scénarios retenus. Il convient de s'en occuper sans plus tarder.

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