Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 12 juillet 2018 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, député, premier vice-président de l'Office, rapporteur :

Il existe depuis fort longtemps des projets de trains à hypergrande vitesse, en particulier à sustentation magnétique, avec des projets français, allemands, suisses ou japonais. Certains ont été abandonnées pour des raisons techniques ou économiques, d'autres sont en cours de construction. Le Transrapid Maglev chinois, en particulier, qui est en activité commerciale sur une courte distance, permet des vitesses de l'ordre de 600 kmh en pointe et 300 à 450 kmh en exploitation.

Il se pourrait que la cartographie des transports à vitesse rapide soit radicalement transformée par l'arrivée des transports à hypergrande vitesse sous vide, auquel correspond l'acronyme THV, sous la dénomination commerciale Hyperloop.

Dès le XIXe siècle se sont développées des idées de transport dans des tubes sous une atmosphère raréfiée, mais cela a été remis au goût du jour de façon spectaculaire par le célèbre et très médiatique entrepreneur Elon Musk en 2013, dans un Livre blanc dans lequel il présentait un projet de liaison très rapide entre Los Angeles et San Francisco, avec une promesse de transport à plus de 1 000 kmh, mais aussi avec un coût qui aurait été beaucoup plus faible que celui d'une ligne de train à grande vitesse sur le même trajet.

Compte tenu de la personnalité d'Elon Musk, le débat a alors été vigoureusement relancé, sur la comparaison avec les TGV et avec les lignes aériennes court et moyen-courriers : devons-nous anticiper une révolution des transports, qui aurait des incidences sur nos habitudes mais aussi sur l'aménagement du territoire à l'échelle, par exemple, des plus grands pays européens, voire d'un continent entier ?

A contrario, de fortes réserves ont été émises par certains acteurs techniques, aussi bien des experts individuels que des institutions ou des entreprises parties prenantes, par rapport aux prédictions d'Elon Musk. Certains ont même pu parler de « chimères » : il nous a donc semblé intéressant de nous saisir de ce dossier et d'arriver à identifier ce qu'il peut être important de porter à la connaissance des pouvoirs publics en la matière, en ce qui concerne l'investissement, la recherche, la préparation économique, l'anticipation, etc. Imaginez, par exemple, que l'on puisse disposer dans quelque temps d'une ligne hyperrapide entre Paris et Berlin, à la vitesse de l'avion et pour un coût écologique et une simplicité d'usage qui seraient ceux du train…

Pour évaluer ce dossier, nous avons fait appel à divers experts et organismes, dont la liste est donnée dans la feuille additionnelle aux quatre pages de la note. Ces experts étaient issus du domaine de la physique, de l'économie des transports, d'autres encore plus impliqués dans le développement économique des projets ; nous avons également fait un travail avec l'Académie des technologies, ainsi qu'avec le service pour la science et la technologie et le service économique régional de l'ambassade de France aux États-Unis. Cela a révélé des appréciations parfois très différentes et nous avons ainsi pu construire un dialogue entre les questionnements de l'Académie des technologies et certains tenants des projets en cours. Nous n'avons pas été en mesure de tout analyser, notamment en raison de limites de confidentialité, de concurrence et de protection de la propriété intellectuelle, mais avons pu constater que ce qui permettrait de faire la différence entre les projets en lice faisait, aujourd'hui, l'objet d'un véritable secret économique.

Elon Musk ne participe lui-même à aucun de la demi-douzaine de projets sérieux qui sont actuellement en cours de développement : le plus important, en termes de déploiement de capitaux, est le projet porté par Virgin Hyperloop One, entreprise basée en Californie et qui a réussi à mobiliser presque 300 millions de dollars, avec l'entrée spectaculaire récente à son capital d'un autre homme d'affaires extrêmement médiatique, Richard Branson. Il est intéressant de noter que, parmi d'autres acteurs, la SNCF a investi dedans.

Un autre grand projet s'est développé, basé en Californie, dénommé Hyperloop Transportation Technologies : c'est le projet le plus ancien, il a démarré avec le Livre blanc d'Elon Musk et fonctionne selon un modèle très original de production participative, ou crowdsourcing, qui est un peu au développement technologique ce que le modèle du logiciel ouvert ou libre est au développement logiciel en général. Beaucoup des participants à ce projet sont rémunérés non pas en salaires mais en prise de participation dans les bénéfices futurs de l'entreprise, avec une communauté de chercheurs et d'ingénieurs dans le monde entier qui participent à ce projet avec des responsables du développement économique et du développement scientifique du projet. Si le projet est basé en Californie, ses forces vives sont, pour une large part, en Europe pour ce qui concerne le développement scientifique et l'innovation ; en particulier, un important centre se situant à Toulouse, nous avons pu échanger longuement, avec l'appui du secrétariat de l'Office, avec le responsable scientifique du projet, qui est espagnol. Pour le projet canadien Transpod, sensiblement plus petit en termes de levées de fonds, nous avons pu obtenir des informations par le Français Sébastien Gendron, cofondateur ; ce projet bénéficie d'un apport de capitaux italiens, notamment, mais aussi provenant d'autres pays européens : Pays-Bas, Espagne, Pologne, etc.

Les autres projets sont de taille plus petite mais reposent, eux aussi, sur les mêmes grands fondamentaux : deux tubes parallèles sous vide posés sur des pylônes. Les deux tubes sont nécessaires pour permettre des liaisons dans les deux sens. Le transport se ferait dans des capsules pressurisées qui, dans les projets actuels, sont prévues pour 20 à 40 passagers, ou pour des marchandises.

Les projets initiaux avec coussin d'air se sont avérés trop complexes à mettre en oeuvre, et c'est vraiment sur la sustentation magnétique, certes avec des variantes, que se sont orientés tous les acteurs, avec une propulsion par moteurs linéaires à impulsion. Il faut s'imaginer que, peut-être à chaque minute aurait lieu un démarrage de capsules, allant toutes à la même vitesse, avec un système d'aiguillage dans les gares au départ et à l'arrivée, qui peut être assez complexe pour réaliser les embranchements.

Les défis sont considérables : on l'a vu aussi à l'importance des remarques que l'Académie des technologies a pu émettre sur le Livre blanc d'Elon Musk, soulevant de nombreux problèmes : nous avons cependant pu acquérir la conviction, en discutant avec les entreprises, que ces défis technologiques étaient en passe d'être résolus pour certains, déjà résolus pour d'autres, notamment la dissipation de l'énergie en cas de freinage brutal ou les perturbations à l'approche de la vitesse du son, la définition des trajectoires, la stabilisation de la capsule, les bons alliages de métal pour construire les tubes en tenant compte de la dilatation thermique, la bonne gestion du vide à l'intérieur du tube, la réalisation d'infrastructures antisismiques et les questions de sécurité et de sûreté, etc.

Il y a des avantages écologiques indéniables à ce nouveau mode de transport : faible consommation d'énergie, voire autosuffisance éventuelle par pose de panneaux solaires sur la surface disponible ; faibles émissions de CO2, sous réserve de la nature de la source à partir de laquelle l'électricité est produite ; niveau sonore attendu très limité ; décongestion possible des routes et autoroutes ; absorption d'une partie du trafic aérien, etc.

Cependant, il a fallu « mettre de l'eau dans le vin » initial, par rapport au projet d'Elon Musk, pour ce qui est de la vitesse : nous serions, en effet, plutôt autour de 600 kmh que de 1 000 kmh ou a fortiori plus.

Pour ce qui est du coût de construction, plus personne n'imagine qu'il se limiterait à 10 % de celui d'une ligne à grande vitesse, mais plutôt aux alentours de 60 % à 100 %.

S'agissant de la géographie des trajets, elle dépendra beaucoup du relief des terrains à traverser : c'est précisément ce qui va parfois limiter la vitesse.

Néanmoins, il demeure que, même si on prend en compte toutes les incertitudes, de grandes promesses sont encore sur la table.

Des incertitudes difficiles à démêler en termes économiques pèsent également sur le montant des billets : sera-t-il effectivement aussi bas que ce qui a été promis ? Cela dépendra d'un grand nombre de facteurs, qui ont été analysés en détail par les opérateurs, mais pour lesquels il est impossible de se faire un avis étayé aujourd'hui à notre niveau, car les données ne sont pas accessibles. Il faut tenir compte de la possible sous-évaluation des coûts d'exploitation, du rythme d'usure', du débit maximal compatible avec l'ensemble des contraintes, de comment cela contribuera à alléger d'autres modes'de transport, étant entendu que l'Hyperloop exigera une interconnexion avec d'autres modes de transport, la gamme de distances privilégiées par les opérateurs étant de l'ordre de 500 à 1 000 km. L'interconnexion posera d'autres questions telles que celle de savoir où aménager les gares à interconnecter, ce qui demandera encore beaucoup de travail au stade du développement.

L'ensemble des défis technologiques pèsent sur la rentabilité économique, avec une concurrence vive vis-à-vis des investisseurs. On constate, à cet égard, une grande vigueur des pilotes des projets en lice pour susciter de premières commandes et, aussi, naturellement, construire des démonstrateurs.

Les entreprises ont des calendriers variables en termes de réalisation : certaines annoncent des mises en service de ligne dès 2020, d'autres évoquent plutôt l'horizon 2025, voire 2030. Des démonstrateurs sont en cours de construction en France, avec un démonstrateur près de Toulouse, et un autre près de Limoges : cela peut être décisif. Une première ligne qui pourrait être annoncé dans les Émirats arabes unis avec, en ligne de mire, la perspective d'une démonstration à l'Exposition universelle qui arrive bientôt.

Face à tout cela, il faut demeurer prudents, faire preuve d'abord de bon sens, regarder attentivement ce qui se passera dans les toutes prochaines années, mais avec une grande incertitude pour l'instant.

Comment la France et l'Europe peuvent-elles se positionner sur ce sujet ? Notre pays est fier d'être pionnier dans le domaine des transports, et notamment pour les lignes à grande vitesse : il importe de demeurer actifs dans la recherche et développement.

Tant l'implantation toulousaine, même émanant d'un projet californien, que le développement en France du projet canadien Transpod nous incitent à suivre ce dossier de près, à rester au plus près du savoir-faire et à investir, avec prudence.

Il est également opportun de réfléchir à une évolution du cadre réglementaire européen pour s'adapter à ce nouveau mode de transport à haute vitesse, pour anticiper l'analyse de risques et les exigences de certification : l'Europe est forte en matière de normes de réglementation et de certification et ce sera important aussi, si l'exploitation commerciale se développe dans le futur, d'être prêts, pour profiter des opportunités de développement en Europe comme sur d'autres continents.

L'analyse que je viens de vous présenter me semble en conclusion, pour l'Office, une première manière d'alimenter les travaux préparatoires au futur projet de loi d'orientation sur les mobilités, de se positionner avant les débats budgétaires qui auront lieu en la matière. En tout état de cause, ce projet a été aussi une manière de « réveiller » certains de nos acteurs et de défendre l'expertise de notre pays sur le sujet.

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