Intervention de Émilie Cariou

Séance en hémicycle du lundi 17 septembre 2018 à 16h00
Lutte contre la fraude — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmilie Cariou, rapporteure de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, « Quand on affronte les problèmes de demain avec les organisations d'hier, on récolte les drames d'aujourd'hui. » Si je cite le grand sociologue Michel Crozier, c'est pour appeler à la nécessaire modernisation de notre action et de tous les acteurs pour lutter contre la fraude : tel est le sens du projet de loi que nous examinons aujourd'hui.

Alourdir les sanctions contre la fraude fiscale n'est pas uniquement un engagement de notre programme présidentiel, c'est devenu une nécessité chaque mois plus aiguë, tant la fraude aux administrations publiques, qu'elle soit fiscale, sociale ou douanière, constitue une atteinte au pacte républicain et est de plus en plus perçue comme une rupture insupportable de notre pacte social. Ceux qui prétendent pouvoir s'exonérer de leurs obligations doivent entendre notre détermination à lutter contre la fraude. Il était donc essentiel qu'après la loi sur le droit à l'erreur, promulguée en août, arrive un projet de loi relatif à la lutte contre la fraude.

Ce texte, longuement étudié au Sénat, comportait initialement deux titres, l'un relatif au renforcement des moyens et l'autre relatif au renforcement des sanctions. Au cours de la discussion parlementaire dans notre assemblée, un troisième titre a été ajouté, portant sur la réforme de la procédure pénale applicable à la fraude fiscale, c'est-à-dire essentiellement sur la refonte du verrou de Bercy. Je salue le Gouvernement pour avoir longuement travaillé et au final accepté nos propositions de réforme du déclenchement des poursuites contre la fraude fiscale. Je remercie également les parlementaires de tous les groupes d'avoir apporté leur contribution et d'avoir soutenu cette réforme. L'amendement que nous avons adopté en commission des finances fin juillet procède directement des travaux parlementaires de la mission d'information dont j'étais la rapporteure et Éric Diard le président.

Ensemble, nous avons fait la démonstration que le Parlement pouvait être force de proposition ; nous avons recherché et obtenu un consensus, et co-construit avec le Gouvernement notre réforme. Cette dernière permettra aux procureurs d'exercer leurs prérogatives, via l'opportunité de poursuites sur un nombre plus important d'affaires. Il y aura donc désormais une dénonciation automatique au parquet sur les dossiers les plus graves. Surtout, nous avons posé les bases modernes permettant une meilleure collaboration entre l'autorité judiciaire et l'administration fiscale, comme cela se pratique dans beaucoup de pays. Les bases prometteuses d'une action moderne, en réseau, contre la fraude sont, à notre sens, posées. Nous serons donc attentifs à la prise rapide et au contenu des textes d'application de la loi, notamment de la circulaire dont vous venez de nous parler, monsieur le ministre.

La discussion parlementaire a considérablement enrichi le texte présenté par le Gouvernement, qui comportait onze articles : le Sénat en a ajouté dix-huit, dont notre commission des finances a supprimé la moitié. Dit autrement, nous avons conservé la moitié des articles insérés par le Sénat, en particulier concernant la répression du délit de blanchiment douanier, les obligations déclaratives pour les comptes détenus à l'étranger, l'extension de la convention judiciaire d'intérêt public en matière de fraude fiscale, la lutte contre les trafics sur le tabac, ou encore le rétablissement de la faculté transactionnelle de l'administration fiscale en cas de poursuites pénales. Je le redis, le temps parlementaire très important laissé au Sénat depuis mars a été mis à profit, et je salue l'investissement du rapporteur général Albéric de Montgolfier et des sénateurs qui ont voté la loi.

Nous avons, en revanche, rétabli l'article 1er, supprimé par le Sénat, créant le nouveau service de police fiscale rattaché directement à Bercy. Ce service agira en complément de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale – BNRDF – et n'a pas vocation à s'y substituer. Le Gouvernement a pris et réitéré des engagements très clairs en la matière, notamment de bonne coordination, pour faire suite aux réserves du Conseil d'État. J'appelle ainsi à ce renforcement de nos moyens policiers spécialisés pour lutter contre la fraude, et je soutiendrai donc cet article.

Nous avons, par ailleurs, introduit dix nouveaux articles. Parmi eux, quatre sont issus d'amendements de Bénédicte Peyrol pour mieux lutter contre l'évasion fiscale, dont l'opportun article 11 bis B, qui étend la notion de pays à régime fiscal privilégié et qui permet ou facilite, par ricochet, la mise en oeuvre de toute une série d'outils anti-abus.

Nous avons également inséré dans le texte deux articles à l'initiative de Daniel Labaronne et des députés du groupe La République en marche, l'un prévoyant un alignement des prérogatives des officiers fiscaux judiciaires sur celles des officiers des douanes judiciaires, l'autre un meilleur contrôle du train de vie en matière de taxation d'office. Un autre article a été inséré par amendement du rapporteur général de la commission des finances, M. Joël Giraud, pour moderniser la procédure d'autorisation d'accès aux données de connexion par l'Autorité des marchés financiers.

Deux articles proviennent d'amendements de Vincent Ledoux et de plusieurs membres du groupe UDI, Agir et Indépendants. Le premier prévoit un aménagement de la procédure fiscale et le second instaure un dispositif national de traçabilité des produits du tabac. Un article est issu d'un amendement de Jean-Louis Bourlanges et de plusieurs membres du groupe MODEM. Il facilite les procédures de dépôt de plainte de l'administration fiscale.

Le texte que nous allons examiner à partir d'aujourd'hui comporte donc désormais trente articles. J'ajoute que des amendements ont été adoptés sur les articles du projet de loi initial ou sur ceux ajoutés par le Sénat. Je ne reviendrai pas sur l'amendement que j'ai porté sur la réforme du verrou de Bercy, sauf pour signaler que des sous-amendements de Laurence Vichnievsky et de Charles de Courson ont fixé le seuil de transmission des dossiers au parquet à 100 000 euros de droits éludés.

Je signale également un amendement d'Éric Coquerel et de plusieurs membres du groupe La France insoumise, qui a étendu aux personnes physiques le dispositif de publication des sanctions administratives prévu à l'article 6. Enfin, des amendements identiques des groupes de la GDR, des Socialistes, du MODEM et de la France insoumise ont prévu, à l'article 11, la possibilité d'inclure des États de l'Union européenne dans la liste des ETNC.

Je souhaite apporter dès maintenant quelques précisions sur trois sujets importants, que sont les plateformes, les conseils fiscaux, et les paradis fiscaux.

Vous avez évoqué, monsieur le ministre, le sujet des plateformes, qui fait couler beaucoup d'encre, souvent de façon étonnamment mal informée. Il est traité à l'article 4 de ce projet de loi. Je l'ai dit en commission, cela figure dans le rapport, mais ma présence en tribune m'oblige à le répéter : cet article ne change en rien le traitement fiscal des revenus que nos concitoyens tirent des plateformes. Cet article 4 porte sur des obligations déclaratives pour les plateformes, qui permettront de mieux identifier ceux qui cherchent à éviter l'impôt. Ainsi, ce qui est aujourd'hui imposable, comme la location meublée, le restera dans les mêmes conditions, et ce qui est aujourd'hui exonéré, comme les revenus tirés du covoiturage ou de la vente de biens d'occasion entre particuliers, le restera.

Lors de l'examen en commission, je m'étais toutefois interrogée sur l'opportunité de transmettre à l'administration fiscale des informations sur les activités exonérées. Le Gouvernement présente un amendement qui en tient compte, mais il ne me semble pas tirer toutes les conséquences de cette problématique. Aussi vous proposerai-je un amendement qui prévoit une dispense de transmission à l'administration pour les revenus exonérés, afin d'éviter une charge injustifiée pour les plateformes et une submersion de l'administration par des millions de données, qui risqueraient de noyer dans la masse les données utiles fiscalement.

J'en viens à un autre sujet délicat, traité à l'article 7 : celui des prestations fournies par certains conseils qui entraînent des comportements abusifs. Je sais que cet article a suscité beaucoup d'émoi parmi les avocats. Je tiens à rassurer les auteurs d'amendements : cet article n'a pas pour objet dissimulé de mettre à mal la profession d'avocat ; il ne constitue pas une atteinte au secret professionnel, ce dernier restant applicable, sauf évidemment, si le client le lève ; enfin, il ne méconnaît pas le principe de légalité des peines ni ne vise à contourner le juge ou quoi que ce soit d'autre.

Alors, que fait cet article ? Il sanctionne d'une amende les intermédiaires qui, par leurs prestations, ont permis de réaliser de graves manquements. Ces manquements ne sont pas nécessairement poursuivis pénalement, mais restent dommageables : les activités occultes et les abus de droit sont autant de comportements sanctionnés par la loi, dont les complices doivent également être sanctionnés. Je le dis dès maintenant, je serai défavorable à tous les amendements qui entendent réserver la sanction de l'intermédiaire à une condamnation pénale ou à une sanction définitive du contribuable abusivement conseillé. Ce dernier point, qu'avait d'ailleurs introduit le Sénat, a été supprimé en commission : il aurait privé la mesure de toute efficacité et l'aurait détournée de son objectif. En réalité, cet article ne vise pas les avocats en tant que tels, mais bien toutes les officines qui, en dehors de tout cadre réglementé, fournissent des solutions clefs en main pour échapper à l'impôt.

Autre sujet important, les paradis fiscaux sont traités à l'article 11, qui transpose en droit français la liste européenne des juridictions fiscales non coopératives, ce que nous avions demandé lors de l'examen de la loi de finances pour 2018. Beaucoup se sont émus de la taille de cette fameuse liste noire des paradis fiscaux. Je rappelle qu'elle a une soeur, la liste grise, et que nous y serons bien évidemment attentifs. Ces pays doivent se soumettre à un certain nombre d'obligations, et nous aurons l'occasion de les examiner.

La bataille contre l'optimisation fiscale agressive comprend également le sujet des ETNC, et nous aurons l'occasion d'en discuter. Il y a des questions relatives aux listes, mais je rappelle aussi que certaines procédures du code général des impôts concernant les pays à fiscalité privilégiée peuvent nous permettre d'atteindre les mêmes objectifs, sans forcément inscrire des pays sur des listes.

Pour conclure, je forme le voeu qu'à l'issue de la discussion, tous les groupes votent ce texte. La lutte contre la fraude est un objectif que nous partageons tous. La tâche est rude, mais ce texte contribue à résoudre une partie des grandes difficultés que nous rencontrons, en dotant l'administration et la justice de nouveaux outils adaptés à la typologie des fraudes du XXIe siècle. Nous ne pouvions pas nous résoudre à lutter contre des comportements frauduleux de plus en plus astucieux et massifs avec les outils conçus au siècle précédent. Ensemble, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous aurons accompli une partie du chemin. La lutte contre la fraude nécessitera encore des avancées, et ce projet de loi, examiné dès la première année du quinquennat, constitue la boussole pour les prochaines années.

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