Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 17 septembre 2018 à 16h00
Lutte contre la fraude — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, chers collègues, la fraude fiscale est quelque chose d'insupportable. Pour ma part, j'y ajoute l'évasion fiscale, dont elle est la version somme toute légale. Je considère que ceux qui s'y adonnent sont des voleurs et des malfaiteurs, qui pillent la richesse produite par nous tous. J'emploie volontairement ces mots afin de mettre en avant leur responsabilité, mais aussi les maux auxquels nous avons affaire.

Selon une étude de l'association Oxfam, 85 % de la richesse mondiale est détenue par les 10 % des personnes les plus riches, et la moitié de la population mondiale dispose de 0,5 % de la richesse. Ces chiffres ont été abondamment commentés lorsqu'ils ont été publiés par Le Monde. Bien entendu, ils ne s'expliquent pas entièrement par la fraude et l'évasion fiscales. Toutefois, celles-ci prennent largement leur part dans cette captation de la richesse par quelques-uns.

En France, la fraude et l'évasion fiscales atteignent un montant compris entre 80 et 100 milliards d'euros par an. Par comparaison, le plan pour la pauvreté du Gouvernement s'élève à 2 milliards par an. On pourrait donc financer uniquement avec ces sommes l'équivalent de quarante plans pauvreté Macron par an. La seule fraude fiscale représente entre 15 % et 20 % des recettes fiscales. En somme, on demande au peuple de toujours plus se serrer la ceinture, tandis que certains de nos concitoyens parmi les plus riches se soustraient à leurs obligations républicaines, à hauteur de sommes importantes.

Le fraudeur optimise, mais l'optimisateur est présumé non fraudeur. Selon nous, il faut inverser cette logique. Les fraudeurs sont des délinquants, et les optimisateurs des délinquants en puissance. En réalité, seule la loi distingue leur nature. D'ailleurs, l'objectif des deux est le même : l'un par des moyens illégaux, l'autre aux marges de la légalité cherchent à se soustraire à la redistribution des richesses et à l'impôt.

Rien qu'en traversant la rue, je peux vous trouver tous les montages fiscaux agressifs que vous voulez. Ils sont désormais couramment commercialisés par des cabinets de conseil et des institutions financières, avec un seul objectif : minorer sa contribution à l'effort collectif. Monsieur le ministre, vous avez très justement rappelé tout à l'heure qu'il y a là un problème en matière de démocratie représentative. On pourrait même parler de problème pour la démocratie tout court et pour la République. Voilà qui explique pourquoi nous avons déposé une motion de renvoi en commission, et qui me vaut de préciser tout de suite ce qui manque dans le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui.

Tout d'abord, chacun l'aura compris à l'issue de cette introduction, il s'agit d'un texte qui ne s'attaque qu'à certains aspects de la fraude, et aucunement à l'évasion fiscale. J'observe d'ailleurs que la majorité vient de déposer un rapport sur l'évasion fiscale où l'on trouve quelques bonnes idées. Il y a donc, me semble-t-il, une occasion manquée de légiférer globalement.

Ensuite, vous vous trompez de logique. Vous utilisez le vieux logiciel, comme l'a fait François Hollande avec le service de traitement des demandes rectificatives, lequel consiste à prier les riches particuliers et entreprises de bien vouloir se régulariser en échange de pénalités réduites. J'y reviendrai tout à l'heure. Certes, on fait rentrer de l'argent rapidement – c'est souvent l'argument que l'on avance pour justifier ces négociations – mais cela ne sert à rien si la lutte à long terme contre la fraude s'en trouve affaiblie.

Avant d'affiner la critique du projet de loi et les raisons pour lesquelles nous en proposons le renvoi en commission, j'évoquerai ce qui y manque à nos yeux, ainsi que les propositions que nous formulons.

Tout d'abord, il faut améliorer les dispositifs de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, par exemple en renforçant la sanction de l'abus de droit. Il s'agit de punir la planification fiscale agressive, faite de montages complexes permettant des optimisations aux limites de la loi. C'est d'ailleurs ce que recommande le rapport sur l'évasion fiscale publié aujourd'hui, proposant notamment d'assouplir les critères afin de faire en sorte que deux motifs exclusifs d'échapper à l'impôt fassent un motif principal.

Il faut ensuite empêcher la manipulation des prix de transfert des transactions intragroupes, c'est-à-dire des échanges commerciaux de biens et de services entre les filiales d'une même multinationale à des prix qui ne sont pas ceux du marché, dans l'intention de transférer les bénéfices vers des juridictions à faible fiscalité.

Il faut également établir une véritable liste des paradis fiscaux. Nous défendrons d'ailleurs un amendement visant à redéfinir les critères actuels afin d'y introduire la transparence fiscale, le respect des normes BEPS sur l'érosion de la base d'imposition et les transferts de bénéfices ainsi que l'absence de mise en place d'un régime fiscal dommageable, conformément d'ailleurs aux préconisations du Conseil de l'Union européenne et de l'OCDE. Cela permettrait par exemple d'intégrer à cette liste française un certain nombre d'États que l'on devrait considérer comme des paradis fiscaux, mais qui ne figurent pas dans la liste actuelle tels que les Bermudes ou les îles Caïmans, où les entreprises ne paient aucun impôt sur leurs bénéfices, ainsi que Hong-Kong, où les entreprises paient certes des impôts sur les bénéfices, mais uniquement sur ceux réalisés au sein du pays.

Grâce à l'adoption en commission de l'un de nos amendements, cosigné par d'autres formations – je vous fais d'ailleurs observer, monsieur Darmanin, qu'en énumérant les groupes qui ont tâché d'enrichir le projet de loi vous avez oublié celui de La France insoumise, mais ce n'est pas très grave – les pays de l'Union européenne ne seront plus automatiquement exclus de la liste des paradis fiscaux. Il s'agit d'une avancée, mais disons entre nous qu'elle ne suffit pas. Il faudrait à présent adopter les critères que nous proposons afin que ces paradis fiscaux situés au sein même de l'Union européenne soient réellement inscrits sur la liste.

Cet amendement renforcerait également le poids du Parlement, qui débattrait de l'application effective des critères et de cette liste, sur la base d'un rapport remis par le Gouvernement. Il aurait le dernier mot, en décidant de valider ou non la liste.

Enfin, nous prévoyons une clause de sauvegarde au bénéfice des pays reconnus comme les moins avancés par l'Organisation des Nations unies et qui ne disposent pas d'un centre financier. Il ne s'agit pas en effet de pénaliser les États les plus fragiles socialement et économiquement dans notre combat contre la grande délinquance financière, qui souvent ne les utilise que comme support, sans aucune répercussion positive pour leurs peuples.

Nous estimons aussi qu'il faut lutter davantage contre les transferts de bénéfices. Nous proposons donc un amendement qui vise à rendre redevables de leurs obligations fiscales les enseignes qui usent de mécanismes d'optimisation fiscale.

Je pense notamment à McDonald's – d'où le nom que notre proposition a pris : « l'amendement McDonald's » – qui organise, par des mécanismes fiscaux agressifs, tout un système d'affaiblissement des bénéfices de certaines de ses filiales au profit d'autres, dans le but d'échapper à l'impôt français sur les sociétés et de ne pas redistribuer ses bénéfices aux salariés qui oeuvrent pour son activité. McDonald's fait d'ailleurs de même avec l'ensemble de leurs droits sociaux : il se sert d'un système de franchises porté à un niveau extrême pour ne devenir, finalement, qu'un simple loueur de surfaces, ce qui fait que les salariés se retrouvent avec des droits différents selon les filiales. Ce mécanisme empêche la répartition équitable des bénéfices au profit de tous les salariés. Je tiens à saluer au passage les salariés de Marseille – le McDo Saint-Barthélemy – et de Paris, dont la lutte contribue non seulement à protéger l'emploi mais aussi à lever le secret sur ces pratiques scandaleuses.

Il faut également renégocier les conventions bilatérales et créer de nouveaux dispositifs contre l'évasion fiscale. Nous proposons pour notre part un mécanisme d'impôt universel. Cela permet de distinguer ceux de nos compatriotes qui partent à l'étranger dans le seul but d'optimiser leurs impôts de ceux qui partent de manière honnête pour travailler ailleurs. La taxation différentielle, pratiquée par les États-Unis, vise les expatriés qui payent un impôt faible dans leur pays d'accueil : l'expatrié doit régler les impôts dus à son pays d'accueil puis s'acquitter de la différence auprès de la France, sur la base des modes de calcul de l'impôt français. Ce système permettrait de lutter contre l'exil fiscal des grandes fortunes, dont les efforts d'expatriation deviendraient sans objet.

Nous voulons également une taxation des GAFA sur leur chiffre d'affaires. Les GAFA doivent rendre l'argent ! Ils usent de mécanismes fiscaux agressifs qui leur permettent, selon la Commission européenne, de payer moins d'impôts que les entreprises traditionnelles. Le nomadisme des entreprises et le développement de l'économie de l'immatériel depuis une quarantaine d'années rendent la matière imposable complexe à appréhender et donc à contrôler. Nous avons donc déposé un amendement qui vise à permettre à la France de contrecarrer les schémas d'évasion fiscale pratiqués par ces multinationales du numérique en renforçant le contrôle effectué sur les entreprises non résidentes ayant une activité économique numérique continue sur le territoire national. Le principe est simple : imposer une taxation du chiffre d'affaires des entreprises non résidentes ayant pourtant une activité économique marquée en France.

Enfin, de nombreux amendements seraient nécessaires pour remédier à l'un des manques les plus criants de ce texte, en tout cas s'il veut être suivi d'effets : depuis 2002, Bercy a perdu 40 000 fonctionnaires ! Il faut, selon nous, réembaucher tous ces agents. Comment agir contre la fraude fiscale si nous affaiblissons le ministère des finances ? Vous avez rendu hommage aux Douanes, monsieur le ministre. Faut-il rappeler qu'un poste de douanier est supprimé chaque jour, puisque 350 environ disparaissent chaque année ?

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